PETIT ARRANGEMENT
hector-ludo
PETIT ARRANGEMENT
_ Puisque tout le monde est là, nous pouvons commencer. Greffier, veuillez prendre note de ce que déclarera Monsieur Pascani. En premier lieu J’aimerai que vous me parliez de votre mariage.
_ Je pense, Monsieur le Juge d’instruction, que vous évoquez de l’état de mon ménage.
Et bien, il n’était pas au mieux de sa forme. Quel couple n’a pas quelques problèmes relationnels après sept ans . Mais, nous nous aimions toujours. Il suffisait que je lui offre un petit bouquet de fleurs pour que nous tombions dans les bras l’un de l’autre.
_ Votre femme n’avait-elle pas entamé une procédure de divorce ?
_ Oui, sur un coup de tête qu’elle regrettait déjà. Elle devait annuler cette demande au retour de notre voyage.
_ Pourtant, votre épouse avait indiqué des faits de violence comme motif.
_ Un regrettable accident domestique suivi d’un malentendu, Monsieur le juge.
_ J’ai sous les yeux, deux rapports de police, se rapportant à des interventions, suite aux appels de vos voisins.
_ Des gens médisants et envieux, ces voisins. Certes, il y avait des disputes à la maison,
nous sommes tous les deux du sud. Je ne m’appelle pas pour rien Pascani et elle, son nom de jeune fille est Tosti. Nous élevons rapidement la voix et la vaisselle s’envole aussi vite.
Si jamais, j’avais essayé de lever la main sur elle, je suis sûr qu’elle se serait vengée immédiatement.
_ Venons-en à ce voyage.
_ Cette croisière, c’est moi qui en ai eu l’idée. Ma femme trouva que c’était une excellente initiative. Elle me dit, et je vous répète très exactement ses paroles, Monsieur le Juge, « ce voyage nous permettra de nous retrouver. De remettre à plat nos petits différents et de repartir sur de bonnes bases. »
_ Ce n’est pas ce que nous a confié Madame Lise Paraille, son amie. D’après elle, votre épouse lui aurait déclaré qu’elle avait autant envie de partir en croisière avec vous que de se pendre.
_ Lise Paraille ! Son amie ! Pas du tout. Je me rappelle plutôt une femme seule, jalouse, qui me faisait des avances et aurait été ravie de prendre la place de ma tendre moitié.
_ Mais, je suppose que vous n’êtes pas du genre à succomber ?
_ Je suis un homme fidèle, Monsieur le juge, mais je ne suis que cela. Parfois les femmes font preuve à mon égard d’une conduite honteuse et je me vois contraint de céder. Pourtant, mon amour n’est que pour mon épouse.
_ Je vous plaindrais presque. Mais laissons cela. Vous embarquez donc ?
_ Dans la joie, je précise. Vous pensez, c’était la première croisière que nous faisions. Pendant tout le trajet en train jusqu’à Gènes, le port d’embarquement, nous étions énervés comme des enfants.
_ Hum ! Des enfants turbulents, puisqu’il semblerait que votre femme vous a jeté sa boisson à la figure au bar de la voiture-restaurant.
_ Jamais de la vie ! Les personnes qui vous ont dit cela se sont trompées de couple. Je ne l’aurais pas oublié.
_ Vous arrivez tous les deux la main dans la main sur le quai de départ.
_ Très exactement, Monsieur le juge. Voir ce grand bateau blanc immense la laissait pantoise. Elle nageait dans le bonheur en montant à bord.
_ Elle nageait peut-être dans le bonheur, mais, d’après une des personnes de l’accueil, votre épouse le montrait d’une façon assez curieuse. Je cite : « Pourquoi je viens sur ce bateau de merde ? Je sens déjà que je suis malade. »
_ Monsieur le juge, soyons sérieux, avec la foule bruyante qui embarquait, les sirènes du bateau et la musique de fond, cette personne a mal compris. De surcroît, ma femme n’a jamais été vulgaire. Il est strictement impossible qu’elle ait dit ça.
_ Votre cabine était agréable ?
_ Parfaite ! J’ai pensé à ce moment-là qu’une autre lune de miel commençait. Vous savez, il n’y a plus de hublots sur ces paquebots. Nous disposions d’une vaste baie vitrée et d’un balcon. Nous dominions les vagues d’une hauteur prodigieuse.
_ Vous étiez parfaitement installé, mais votre femme n’est pas sortie de la cabine avant le troisième jour. Pourquoi ?
_ Mon épouse a toujours eu une petite santé. Le voyage en train l’avait fatigué, en plus elle écopa d’un sérieux mal de mer dés le premier soir. Il lui fallut un peu de temps pour récupérer.
_ Je trouve curieux que, ces jours-là, vous ayez tenu à apporter vous-même les repas à votre épouse. Alors que du personnel est prévu pour ça.
_ Lorsque ma femme était malade, elle ne supportait aucune présence. En lui portant moi-même ses repas, je pensais lui faire plaisir.
_ Je crois plutôt, en me basant sur les déclarations de certains autres passagers, que vous attendiez que le cocard, qu’elle cachait derrière des lunettes noires à sa première sortie le troisième jour, soit résorbé. Est-ce vous qui lui aviez offert ce cadeau ou bien s’était-elle cognée toute seule ?
_ Vous savez, Monsieur le juge, un bateau de croisière, c’est comme un petit village de campagne. Les gens n’ont rien à faire que de cancaner. Critiquer ses voisins de table ou de transat est une forme de sport pour eux. Mon épouse n’a jamais eu d’œil au beurre noir.
_ Vous n’avez guère sympathisé avec les autres vacanciers. Etait ce pour empêcher votre femme de communiquer avec d’autres personnes ?
_ Pas du tout ! Parfois, au cours d’un voyage, vous tombez sur des gens avec qui vous vous sentez en symbiose. Il arrive, aussi, que ce ne soit pas le cas et vous les évitez. C’est ce qui s’est passé.
_ Parmi six cents passagers, ce n’est pas de chance ! Au restaurant vous vous retrouviez avec huit autres convives. Nous avons interrogé ces personnes, elles sont très critiques quant à votre attitude.
_ J’étais toujours au petit soin pour mon épouse. J’avais à cœur, de prévenir ses moindres désirs.
_ Au point de répondre systématiquement à sa place au cours de la conversation ? Et la réduire à l’état de potiche.
_ Ma femme avait, malheureusement, l’habitude de sortir assez régulièrement des sottises. Elle manquait cruellement d’instruction. Par ma prévenance, je lui évitais de tomber dans le ridicule.
_ Votre épouse était donc sotte. Ce devait être pénible à la longue, non ?
_ Je l’aimais, Monsieur le juge, et elle m’aimait, alors…
_C’était aussi une preuve d’amour de la part de votre femme de vous faire ces réflexions qui nous ont été rapportées : « Tu me coupes l’appétit ». « Sale hypocrite » ?
_ Elle était un peu soupe au lait, et puis vous n’êtes pas sans savoir que nous ne sommes pas toujours récompensés de nos efforts.
_ Le repas à la table du capitaine, cela vous rappelle des souvenirs ?
_ Ah oui ! Et pas des bons ! Le Pacha, il se faisait appelé ce vieux cochon. Il n’a pas arrêté de faire du plat à ma femme. Il se pavanait dans son beau costume blanc d’officier de marine. Ce fut extrêmement pénible.
_ Surtout que votre épouse a participé pleinement à la discussion cette fois-ci.
_ Participé ! Comme vous y allez, Monsieur le Juge, elle se contentait de dire oui, oui, oui, en poussant des soupirs incroyables. Fascinée par le prestige de l’uniforme et la péroraison incessante du capitaine.
_ Veuillez m’expliquer, maintenant, pourquoi, le dernier soir de la croisière, vous avez décidé de vous rendre au bar. Vous n’y aviez jamais mis les pieds jusque-là.
_ C’est exact. Il faut que je vous révèle une face pas très reluisante de mon épouse. Elle avait tendance à boire, à vrai dire elle était quasiment alcoolique. C’est pour cette raison que je refusais toujours de l’emmener dans un des bars du paquebot. Le dernier soir j’ai cédé à ses sempiternelles réclamations.
_ J’espère que des témoignages viendront étayer vos dires, il est un peu trop facile d’accuser d’alcoolisme une morte. Continuez votre récit.
_ Je ne vous raconte pas de sornettes. Nous sommes donc arrivés au bar après un petit tour sur le pont avant. Elle a préféré s’installer sur un des hauts tabourets plutôt qu’à une table.
_ Combien de personnes étaient présentes ?
_ Environ une quinzaine, personnel compris. Il était déjà tard, presque minuit à notre arrivée. Nous avons commandé à boire. Ma femme, comme à son habitude, a descendu ses deux premiers verres en très peu de temps. Évidemment, elle a commencé à déraper. Dés qu’elle avait bu, elle devenait tour à tour, agressive, dépressive, injuste et horriblement bavarde. J’ai essayé de canaliser un peu au début, mais, au bout d’une heure environ, j’ai laissé tomber. Je suis sorti et, l’abandonnant, j’ai rejoint ma cabine ou je me suis couché.
_ C’est là que j’ai un problème, cher Monsieur, les témoins présents dans le bar affirment qu’elle n’a pas eu à proprement parler de comportement déplacé et que, plutôt que de tenter de restreindre sa consommation d’alcool, vous l’encouragiez. Ils ont déclaré également que vous aviez quitté le salon beaucoup plus tard. Environ un quart d’heure avant sa fermeture, vers les deux heures.
_ Impossible, Monsieur le juge, je ne peux supporter qu’elle s’enivre et à cette heure je dormais déjà.
_ Je ne crois pas. Ma conviction est que vous avez fait boire votre femme, beaucoup plus qu’elle n’en avait l’habitude, lorsque vous avez senti qu’elle était fin saoule, vous vous êtes esquivé. À la fermeture du bar, vous l’avez guetté, attendant le moment, et l’endroit propice et vous l’avez jeté par-dessus bord.
_ Vous n’avez pas le droit de dire cela !
_ Bien, alors dites-moi votre version des évènements.
_......
_ Allons, répondez ! La vérité finira toujours par apparaître.
_ Je vais tout vous dire. Mais je voudrais parler d’homme à homme, seulement vous et moi. Sans le greffier ni mon avocat. Après m’avoir entendu, nous pourrons recommencer l’interrogatoire à votre guise.
_ Hum. Ce n’est pas très régulier, mais, pourquoi pas. Messieurs, veuillez nous laisser, s'il vous plaît. Rester à portée de voix. Voilà, nous sommes seuls à présent. Je vous écoute.
_ J’avoue que j’ai menti sur plusieurs points.
_ C’est un bon début.
_ L’état de mon mariage par exemple. C’était une vraie catastrophe, nous ne nous supportions plus. Les disputes étaient permanentes sur n’importe quel sujet, même le plus futile.
_ Cela durait depuis longtemps ? _ Depuis au moins quatre ans. Les trois premières années de notre union, j’étais très amoureux. Par suite complètement aveugle et idiot. D’un seul coup, pour je ne sais quelle raison, le voile s’est déchiré. Ma femme m’est apparue sous son vrai jour. Sotte, mesquine, intéressée, jamais contente et fort peu attachée de moi.
_ Bigre, vous ne lui faites pas de cadeau.
_ Je dis la vérité. Lorsque je l’avais rencontré, j’étais jeune, j’avais confondu sexe et amour. Cette femme avait une sensualité exacerbée et des besoins sexuels importants. Redevenu lucide, je compris, également, que je n’étais pas le seul à lui permettre d’assouvir ses penchants.
_ Vous prétendez qu’elle vous trompait ?
_ Oh, oui ! Et depuis belle lurette. J’ai eu plusieurs fois les preuves de mes infortunes. C’est dans ces moments là que je ne me maîtrisais plus et que les disputes tournaient aux pugilats.
_ Vous la frappiez vraiment ?
_ Elle le méritait.
_ Et vous ? Vous étiez fidèle ?
_ Au début, par la moindre anicroche dans le contrat. J’ai repris ma liberté de manœuvre au fur et à mesure de ses incartades.
_ À un moment, elle en a eu assez de cette situation intenable, puisqu’elle a demandé le divorce ?
_ Pas si simple, Monsieur le juge. Nous gagnions honorablement notre vie, mais mon statut de responsable d’achats et pour elle de secrétaire lui apparaissait comme trop vulgaire et sans prestige. Ma femme savait compter, elle exigea de divorcer le jour où elle trouva l’amant idéal. Celui qui était susceptible de lui apporter de l’argent et cette respectabilité bourgeoise qui lui manquaient.
_ Comment avez-vous deviné, que cet homme correspondait à sa quête.
_ Elle avait la bêtise de ces sottes qui se croient plus futées que les autres. Elle accumulait les détails la trahissant. Petites annotations, appels téléphoniques soi-disant erronés,
Tickets de parking à des endroits illogiques. Sentant que cette fois-ci elle s’accrochait sérieusement, je la fis suivre. J’obtins ainsi tous les renseignements voulus. Photos, adresse, etc. …
_ Et vous pouvez fournir ces pièces bien sûr ?
_ Tout à fait. Jamais je n’avais eu de preuves absolues des excès de mon épouse. La première fois que je la voyais, nue, en train de faire l’amour avec un autre homme. Mon sang italien n’a fait qu’un tour. Heureusement, j’avais reçu les photos le matin et je ne l’ai revu que tard dans la soirée. Entre-temps je m’étais calmé et j’avais réfléchi.
_ Réfléchi à la façon de l’assassiner ?
_ Oui, Monsieur le juge. J’aurais étranglé ma femme si je l’avais eu sous la main tout de suite. Le soir, j’avais compris l’inutilité de passer quelques années de prison pour cette moins que rien qui me pourrissait la vie.
_ L’idée de la croisière vous est venue à ce moment-là ?
_ À peu près. Je suis tombé sur une publicité le lendemain. Un accident en mer, quoi de plus facile à faire admettre à la justice ?
_ Laissez-m’en être juge s'il vous plaît. Votre femme a accepté de vous suivre sans rechigner ?
_ Elle a d’abord râlé bien sûr. Mais, elle imagina rapidement une nouvelle idylle en mer, avec un beau capitaine en tenu de parade. Comme dans les romans-photos qu’elle lisait à longueur de journée. Bref, elle finit par accepter.
_ Seulement une fois à bord, vous lui avez maintenu la bride sur le cou.
_ Je ne voulais pas de rencontres intempestives. Je comptais également sur cette semaine de vie commune, qu’elle ne supportait plus, pour la mettre à bout de nerf. J’étais persuadé qu’ainsi, elle se défoulerait d’autant plus sur les alcools le dernier soir.
_ Préméditation totale, donc ?
_ Totale, Monsieur le juge. Tout se déroula comme prévu. Ma femme se précipita sur les cocktails pour me contrarier. Elle s’enivra consciencieusement en jetant des œillades à tous les males présents. Lorsque je l’ai abandonné, il ne restait plus qu’un couple et le barman. C’est là que j’ai perdu le contrôle de la situation.
_ C'est-à-dire ?
_ Ma femme est sortie avec un homme. Il la soutenait fermement, elle avait les jambes qui fléchissaient. Il l’a emmené sur le pont arrière, je suivais dans l’ombre. À un moment elle s’est accrochée au bastingage et s’est penchée par-dessus bord. Certainement pour vomir. Le type a profité de cet instant pour regarder plusieurs fois dans toutes les directions. Puis, d’un mouvement rapide, il s’est incliné, a saisi les chevilles de ma femme et a soulevé. Elle a basculé, sans un cri, dans la mer. Il a fallu moins d’une seconde à cet homme pour réaliser mon projet.
_ Vous croyez que la justice va avaler votre histoire ?
_ Non, je ne pense pas. Pour la simple et bonne raison qu’elle n’en saura rien.
_ Je ne vous suis plus.
_ Réfléchissez, Monsieur le juge, lorsque cet homme est reparti après son forfait, il m’a croisé sans me voir. Son visage est passé dans la lumière et là, je l’ai reconnu. C’était l’amant de ma femme, l’homme des photos. Celui dont je possède toutes les preuves de sa relation avec mon épouse.
_…
_ Je me pose depuis, la question suivante, Monsieur le Juge ? Pourquoi avez-vous fait cela ?
_ Oui, pourquoi ? C’est simple et banal, Monsieur Pascani. Votre femme voulait révéler notre liaison à mon épouse. Elle avait effectivement trouvé un homme qui pouvait lui apporter ce supplément de respectabilité dont elle rêvait. Mais cet homme était marié. Elle avait donc décidé que je devais divorcer pour l’épouser, elle, ensuite. Votre femme était vraiment très simple dans ses raisonnements. Lorsqu’elle m’a parlé de la croisière, j’ai, moi aussi, vu l’avantage que je pourrai en tirer.
_ Vous avez pensé que le mari serait évidemment soupçonné. Hélas, pour vous j’ai les photos.
_ En plus, vous m’avez compliqué la vie dès le départ en serrant de si près votre épouse. Le dernier soir je vous surveillais au travers des fenêtres du bar. Vous étiez à peine sorti que je rejoignais votre épouse. Dans l’état où elle était, elle ne manifesta aucune surprise de me voir. Elle me suivit docilement. Vous savez la suite.
_ Comble d’ironie, monsieur le juge d’instruction, j’étais prêt à raconter toute l’histoire, lorsque mon avocat a prononcé votre nom. Quelle coïncidence n’est-ce pas ?
_ Que compter vous faire maintenant ? Me dénoncer ?
_ Vous dénoncer ! Quelle horreur, Monsieur le Juge, quelle drôle d’idée. Je voulais tuer ma femme, vous vouliez tuer votre maîtresse, vous avez tué ma femme, vous avez tué votre maîtresse, vous m’avez rendu service, vous avez résolu votre problème. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. L’affaire est close.
_ Et je classe l’affaire sans suite faute d’éléments.
_ Voilà, votre conclusion est décès accidentel. Nous sommes d’accord, Monsieur le Juge d’instruction ?
_ Nous sommes d'accord, Monsieur Pascani. Greffier, vous pouvez revenir.