Petit Sapin
Frédéric Dessault
Il était une fois un tout petit sapin, qui attendait, au coin d'une rue froide, qu'une famille vienne le chercher. Il était minuscule, pas plus haut qu'une chaise, et aussi frêle qu'un roseau. Ses branches rachitiques lui donnaient un air triste, et ses aiguilles vertes, aussi piquantes que des dards, empêchaient quiconque de vouloir l'approcher.
C'était bientôt Noël, et le petit sapin était bien malheureux de son état, lui qui n'avait qu'un seul rêve, qu'une famille aimante l'adopte et l'emmène loin d'ici.
Mais le petit sapin savait comme il était difficile d'attirer les regards, qu'avec son physique ingrat il faisait peine à voir. Qui pourrait bien vouloir de lui ?
Quand les humains venaient, pour choisir l'arbre qui ornerait leurs salons, ils ne s'arrêtaient pas devant lui, ne le regardaient jamais, lui préférant toujours les fiers et majestueux conifères qui se trouvaient à ses côtés.
Et chaque fois qu'un grand sapin était emporté par une famille, le petit sapin se morfondait.
— Qu'il semble heureux celui-là ! Quelle chance il a ! Connaîtrais-je, moi aussi, un jour cette joie ?
Et, loin de s'attendrir, ses imposants voisins, hautement dressés, prenaient plaisir à le moquer :
— Mais enfin, regarde-toi petit sapin ! lui disaient-ils. Ne vois-tu pas à quel point tu semble ridicule à côté de nous ?! Tu es beaucoup trop petit, trop fragile et fort laid. Tu ne ferais pas belle impression au milieu d'un grand salon.
Et ils riaient tous. Et le petit sapin ne leur répondait rien, car, pensait-il, ils avaient certainement raison. Personne ne voudrait jamais de lui, d'un sapin si lamentable. Et tandis que les autres, ces sapins orgueilleux, se réchaufferaient dans les maisons, ces lieux magiques, où résonnent les rires et les chants des enfants, lui resterait seul, dans le froid de l'hiver, triste et glacé.
Le vendeur de sapin, quant à lui, ne faisait rien pour le rassurer, bien au contraire. Plusieurs fois déjà il avait reconnu, ne pas savoir quoi faire de cet arbre disgracieux, se demandait par quel subterfuge il pourrait en tirer un prix raisonnable.
La journée s'écoula lentement pour le petit sapin. Il en vît tant d'autres partirent, alors que lui resterait là.
Puis l'air se fit plus frais. L'obscurité vint. Les lumières s'éteignirent.
Cette nuit-là, le petit sapin ne dormit pas, mais il rêva tout de même. Il s'imaginait dans une belle maison, aimé et respecté, décoré de multiples couleurs et coiffé d'une étoile, comme on le lui avait raconté.
Au petit matin, alors que le jour n'était pas encore levé, il reconnut le vendeur qui installait son matériel, et il l'entendit, une fois de plus, se plaindre de lui : — Que vais-je en faire de celui-là. Personne n'en voudra, soupirait-il. Il est bien trop petit et bien trop laid. Et puis il ne fait pas bonne impression à côté des autres, il gâche mon échoppe, et va finir par m'empêcher des affaires. C'est décidé, s'il n'est pas vendu d'ici la fin de la journée, je le découperais moi-même. J'en ferais du petit bois. Sûr qu'au moins il brûlera bien !
Le petit sapin avait tout entendu et en était épouvanté. On voulait le couper, le jeter, le réduire en cendres… Quelle horreur ! Et tout cela parce qu'il était laid… Quelle injustice !
Même les autres sapins, cette fois-ci, n'osèrent se moquer de lui. Certains le prirent même en pitié, notamment un vieux sapin qui, sage et bon, tenta de le réconforter.
— Mon pauvre petit. Tu n'es pas beau, cela est vrai, mais je te plains. Aucun sapin, si petit soit-il, ne mérite les flammes.
— Mais que puis-je faire ? lui rétorqua le petit sapin.
— Tu n'as pas le choix mon petit. Il te faut d'urgence trouver une famille.
— Facile à dire, mais personne ne veut de moi ! Cela fait des jours maintenant que j'attends, que j'espère dans le froid, et rien ne vient… Comment faire pour que l'on s'intéresse à moi ?
— Je vais t'aider petit sapin, ne te fais pas de mauvaise sève, déclara l'ancien.
Le petit sapin sut, à ce moment-là, qu'il s'était fait un bon ami. Mais, malgré tout, malgré le réconfort que lui procurait ce soutien, il ne pouvait cesser de s'inquiéter, car il s'agissait tout de même qu'il finisse, le soir venu, en petit bois, bon à brûler, s'il ne trouvait pas d'acquéreur.
— Petit sapin, je vais t'apprendre une technique apprise du temps où je vivais dans les bois. C'est un vieux chêne qui me l'avait montré pour se faire admirer des promeneurs. Et cela fonctionnait à merveille, sois en sûr.
Le petit sapin écouta avec attention la leçon de l'ancien.
— Lorsque quelqu'un passe à côté de toi, aspire le vent, gonfle ton bois, étire tes branches, montre toi dans toute ta force et ta noblesse. Alors les gens te trouveront beau et audacieux. Ils te regarderont et t'admireront.
— Merci de tes conseils, lui répondit le petit sapin. Je vais essayer de faire comme tu m'as dit.
Le petit sapin attendit.
Et quand, enfin, un enfant approcha, il aspira tout le vent qu'il pouvait, il gonfla son bois, étira ses branches, voulant s'étendre et s'agrandir aussi loin et aussi haut qu'il le pouvait. Mais il gonfla si bien et s'étira si fort que, maladroitement, ses aiguilles vinrent piquer le nez de l'enfant, surpris et apeuré, qui se sauva en hurlant.
Le vendeur, qui avait tout vu, se fâcha. Le petit sapin venait de lui faire perdre un client et il ne pouvait tolérer cela.
Il s'approcha du petit sapin et lui réitéra sa menace : — Je te le dis une fois de plus, dès ce soir je ne veux plus te voir. Tu seras vendu ou bien brûlé. Au moins ne me feras-tu plus perdre d'acheteur.
Le petit sapin se sentit honteux et fort triste de son échec, mais surtout effrayé par les nouvelles menaces du vendeur.
— Mon pauvre ami, tu n'es vraiment pas verni, lui dit l'ancien.
— Je ne sais pas ce qui a cloché. J'ai pourtant fait comme tu me l'as dit.
— Je le sais bien. Je l'ai vu. Mais il va falloir trouver autre chose.
— Ho cela ne sert plus à rien de toute façon, puisque je suis condamné.
— Allons ! Allons mon jeune ami ! Ne te résigne pas si vite. Nous trouverons une solution.
Et la matinée passa. L'ancien ne trouva pas de solution, et le petit sapin désespérait, ne pouvant qu'imaginer le triste sort qui l'attendait quand viendraient la Lune et le silence.
..................................................................................................................
Merci de m'avoir lu.
Pour lire la suite, je vous invite à vous diriger sur le lien suivant : https://lescahiersdecritures.com/2017/12/24/cahier-de-textes-9/#more-1746
Frédéric