Peur de celui qui sourit

D. A.

Poésie /slam

La peur du noir, du vide, du silence, du voisin d'en face qui dort deux heures par nuit, du pantin désarticulé traînant sur l'oreiller ou de la photo de l'oncle disparu il y a des années. La peur de la violence du père, des pleurs de la mère, de l'indifférence du frère. D'être trop maigre, trop laide, trop blanche, trop noire. La peur de claquer en traversant la rue, en nageant un peu trop loin du bassin, en oubliant d'éteindre la cuisinière tellement on réfléchit aux galères des nuits dernières. La peur d'être aveugle, de fermer les yeux et de les fermer si fort qu'on devient cernés comme si on avait oublié de pieuter depuis des années; on a des yeux qui deviennent aussi sombres que des trous noirs. On dirait des creux si profonds qu'on pourrait même y trouver de l'or à force de laisser la lumière piocher dedans ! Mais surtout la peur de celui qui nous suit ou de celui qui sourit. De perdre le contrôle, de vaciller sur une ligne déjà tracée, de tomber face contre terre, de laisser place à la colère. La peur d'être blessée par celui qui nous suit, ou d'être trahie par celui qui sourit.

Alors on ferme tout, violemment comme on claque un verre sur la table, comme on donne un coup de poing dans les murs : les volets, les portes coulissantes, les fenêtres,... le cœur. Alors on ferme tout. Sauf les yeux bien sûr. Et puis les jambes parfois aussi, parce qu'on croit que le cœur peut se détacher du reste, c'est bien connu on peut ouvrir les jambes le cœur fermé non ? La peur d'aimer. La peur de celui qui nous suit ou de celui qui sourit. La peur d'être trompée, de faire confiance, d'offrir notre temps, nos bras, nos mots, nos lèvres à celui qui quitte trop tôt notre lit. La peur d'être quittée sur le pallier, dans le cellier, d'être larguée sur un bout de papier ou derrière un PC. On voit l'amour comme un monstre, dévoreur d'âmes, comme un démon qu'il faut éviter, dépecer, tuer. La peur de tender la main, de devenir aveugle, de fermer les yeux si fort qu'on devient cernés comme si on avait oublié de pieuter depuis des années.

Mais arrive un moment où ça devient trop difficile de lutter, alors on faiblit, on lâche les armes bien malgré nous, on laisse les larmes sur nos joues, on oublie d'ouvrir les yeux, on dissimule alors les creux. La peur de perdre pieds, d'être maltraitée, jugée, blessée,...Tout disparaît, pause sur télécommande, off sur radio, stand-by ! Celui qui sourit n'est plus celui qui nous suit. Et puis on sourit aussi, à celui qui sourit. La peur d'aimer s'évanouit. Alors au contraire, on apprend à dire oui, à ouvrir les volets qu'on avait fermé par peur d'être trompée. On tombe amoureuse de celui qui sourit. Et puis...on se met à rêver de lui sourire toute une vie.

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