Phèdre & Associés

Julien Aubert Schiappapietra

Je suis une victime.

Victime et coupable à la fois. J’aimerais que mon cœur ne batte plus pour toi.

Ca peut sembler paradoxal mais quand on souffre d’un trop plein de mémoires, on est la victime de ses souvenirs tout en en étant le principal coupable. Mais si leur torture est si mordante, c’est parce que les évoquer replonge dans des instants qu’on sait perdus à jamais, et que par contraste, le présent parait sans issue, sombre et noyé dans le terne noir de la banalité.

Mais on est aussi coupable. Coupable de sa souffrance. Un souvenir, par essence, ce n’est rien. Ca a été, ça n’est plus. C’est creux et plein de vide. Alors pourquoi est-ce que le passé remue ? Si le passé, ce n’est rien ? Parce que les souvenirs, les souvenirs sont et demeurent quand plus rien ne va, quand plus rien n’est là. Mais les souvenirs… Rien d’exceptionnel, en somme. Des lèvres, des contacts, deux peaux qui se frôlent ou des mains qui se tendent. Mais quand on aime, chaque mouvement est preuve, chaque parole est contrat, évangile, psaume. 

Je les ai tellement idolâtrés, vénérés ces souvenirs que je m’en suis perdu dans le passé. Vivre dans l’illusion du passé, c’est se parer de taffetas d’or et de soie. Un tas de trucs qui s’abîment. C’est beau. Mais ça ne sert à rien. Parce qu’après, la soie se fait rêche et l’or ternit. Et ça se transforme en une prison superbe. Une cage dorée dont les barreaux se resserrent autour du soi. 

En cela, je suis coupable de ma souffrance. A trop idéaliser on en perd tout sens du vrai. J’ai construit ma cellule de mes mains en pensant m’en libérer. J'aimerais trouver des mots à poser pour exorciser le passé, sortir de cette cage cadenassée. Mais j'ai beau écrire mes maux en prose, mes vers brisés, rien n'y fait, et toutes les rimes du monde, en vers et contre tous ne serviront à annihiler les instants d'extase. 

Idéaliser un passé brisé, pas réalisé, certes c'est malsain, je sais. Je n'y peux rien. C'est involontaire. Mais même toute la bonne volonté est fatuité quand il s'agit d'oubli. Le temps reste seul la suture illusoire de la plaie béante de la désillusion. Mais quand même le temps se refuse à ronger de son oxyde perverse les cadenas pesants de la mémoire, que reste-t-il comme échappatoire ?

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