Philippe Lacheau, l'appel du grand écran

Julien Gourdon

Babysitting, le premier film de Philippe Lacheau en tant que réalisateur, est le fruit d'un parcours semé d'embûches. Itinéraire d'un enfant que le milieu du cinéma n'aura pas vraiment gâté.

L'histoire de Philippe Lacheau est celle d'un mec qui, depuis qu'il est tout gamin, caresse le rêve de faire du cinéma. Comique, de préférence. Enfant de la Télé des Inconnus, des Nuls et des Petites annonces d'Elie, l'acteur tentera ses premiers sketchs à l'adolescence, avec ses potes, à l'aide d'un caméscope VHS. Le résultat est sur cassette et sans doute assez pitoyable. Qu'importe, le virus est chopé et ne le quittera plus.

Mais Philippe Lacheau doit apprendre la patience. « Mes parents m'ont dit : d'abord le bac, ensuite tu feras ce que tu veux ». Alors, sitôt le diplôme en poche, il s'inscrit dans un BTS cinéma, « dans l'unique but de trouver des stages », avoue-t-il. C'est dans une boîte de production de dessin animé qu'il fourbira ses premières armes. Il tanne ses parents pour lui acheter la caméra numérique de ses rêves. Ses derniers, persuadés du talent de leur fils mais n'ayant pas suffisamment de sous, demandent à leurs voisins de leur avancer l'argent. Ils acceptent. Il ne suffit plus que d'un ami informaticien pour cracker le logiciel de montage adéquat et voilà Philippe Lacheau aux pays des merveilles. « A partir de ce moment là, raconte-t-il, je n'ai plus arrêté de filmer. J'ai pris mes potes, je les ai déguisés et j'ai tourné une cinquantaine de sketchs. »

Premier passage télé

de Philippe Lacheau dans le Morning Live

Comme il ne doute de rien, il fait le tour des boîtes de production et n'hésite pas à aborder des personnalités de la télé dans la rue. Moustic, de Groland, ou Michel Field, ont ainsi eu les fameux sketchs entre les mains, sans pour autant donner suite. Le premier à le faire passer à la télé est Mickaël Youn, qui présente alors le Morning Live sur M6. « J'avais envoyé une VHS à la chaîne, quelqu'un dans son entourage a dû tomber dessus, et il a appelé chez mes parents à 7h30 du matin, en plein direct. » La cassette est envoyée à Fun TV, une chaîne du groupe, qui fini par l'embaucher comme co-animateur suite à un casting. Il y reste deux ans avant de passer à l'étape supérieure, Canal +, le Graal pour un humoriste. Comme toujours, c'est au culot qu'il force son destin : « j'ai contacté Karl Zéro pour lui proposer un projet. Il m'a demandé de réaliser un pilote. J'ai réuni mes copains, on a tourné le pilote et on s'est fait embaucher ». Le voilà donc tous les dimanches au Vrai Journal de Karl Zéro, dans une pastille intitulée « La cave à l'info », où Philippe et sa bande traitent de l'actualité de manière décalée. Un an plus tard, les producteurs du Grand Journal lui propose d'intégrer l'émission phare de la chaîne cryptée, d'abord dans une pastille intitulée « L'anniversaire », puis l'année suivante en direct sur le plateau. A 25 ans, beaucoup se seraient contentés de cette place tant convoitée. Pas lui : « Pour moi, le but a toujours été de faire du cinéma. La télé n'était qu'un moyen d'y arriver ». C'est donc tout naturellement qu'il quitte Canal + en 2007 lorsqu'il rencontre des producteurs de cinéma. « A l'époque, je n'y connaissais rien. Je savais juste que je voulais en faire. Avec ma bande, on avait convaincu des producteurs de réaliser une parodie de Titanic, à l'époque le film le plus vu au monde. On s'était donc dit que ça allait forcément marcher. » La bande vend le scénario aux producteurs, qui se rétractent finalement, jugeant le film trop cher à monter.

Philippe Lacheau se rend compte alors qu'il vient peut-être de faire une erreur qui peut lui coûter cher. Il a quitté le monde de la télé mais celui du cinéma se refuse à lui. Qu'à cela ne tienne, il empruntera d'autres voies pour atteindre son but. Il propose donc une pièce de théâtre à Dominique Farrugia, Qui à tué le mort ?, qu'il jouera pendant plusieurs mois au Splendid entre 2008 et 2009. Il en profite pour inviter des producteurs de cinéma à venir voir sa pièce. Idée judicieuse, puisqu'une société de production repère la bande et leur propose de réaliser leur premier film. La bande à Fifi, pleine d'espoir, s'attelle alors à l'écriture d'un nouveau scénario. Nouvelle désillusion. « Une nouvelle fois, on nous explique que le film coûte trop cher, qu'on ne peut pas le financer sur nos noms parce qu'on n'a rien fait dans le milieu du cinéma. » Philippe et sa bande vendent leurs droits et se retrouvent à nouveau sur la paille. Virage de la trentaine oblige, les doutes commencent à surgir. « A cette époque, je me suis posé beaucoup de questions, avoue-t-il. Je me suis même demandé si je ne devais pas changer de voie ».

Le brouillard avant l'éclaircie

Mais son désir est trop fort, sa passion trop ancrée dans ses gênes pour qu'il se permette de renoncer, même après deux échecs consécutifs. Une nouvelle idée prend alors forme dans son esprit : « Des films comme Paranormal Activity ou le projet Blairwich avaient cartonné en salle. Ces films se vantaient de coûter pas chers mais de rapporter gros. J'ai commencé à réfléchir à un concept dans ce genre, parce que les films en found-footage n'existaient pas en France, et encore moins dans le domaine de la comédie. » C'est depuis son domicile, alors qu'il prend son bain, que les prémices du Babysitting prennent forme. « J'ai rédigé un synopsis de 5 pages que j'ai envoyé à tout Paris. » Passe alors de longs mois avant qu'une grosse société de production ne le contacte. « Le type que j'ai au téléphone me dit que l'idée lui plaît mais qu'il lui faut une version dialoguée pour qu'il puisse envisager de signer mon scénario. Sauf qu'une version dialoguée, ça veut dire 100 pages ». Avec l'aide de sa bande et de son frère, Philippe passera plus de 4 mois à l'écriture du scénario. Quand la première version est enfin bouclée, le producteur avec qui il est en contact se rétracte finalement. « Ca ne marchera pas », lui répond-il simplement. Ok, pas de problème, Philippe a l'habitude. Maintenant qu'il a un scénario abouti dans sa poche, il contacte à nouveau tout Paris. Aucune réponse (ça serait trop simple) dans un premier temps, avant que les deux producteurs Christophe Cervoni et Marc Fiszman manifestent leur intérêt.

Un film à 2 millions d'euros

Mais avoir des producteurs est une chose, obtenir le financement pour monter le film en est une autre. Commence alors une nouvelle série de galères à n'en plus finir. « Pour trouver le financement, il fallait présenter le casting, explique t'il. On a donc contacté plusieurs acteurs, qui ont dit oui, puis non. Au départ, à part ma bande et nos producteurs, personne ne croyait à ce film ». Philippe finit par contacter le fils de Gérard Jugnot sur facebook, qui le met en contact avec son père, qui lit le scénario et lui propose un rendez-vous. « La rencontre s'est super bien passé. Gérard avait aimé le scénario, mais je crois que ce qui lui plaisait avant tout, c'était de bosser avec des jeunes.» Pour autant, Philippe tremble lorsque Gérard lui pose la question qui tue : « Il nous a demandé si on avait de l'argent, avec un petit sourire en coin. On a répondu non, c'était limite si on lui a pas proposé de nous en donner un peu, s'amuse-t-il. Mais Gérard a été génial. Il nous a expliqué qu'il n'avait jamais tourné un film pour de l'argent et qu'il était prêt à faire des concessions. » Le casting commence donc à prendre forme. On cherche maintenant un distributeur. Là encore, rien n'est facile. Les refus s'enfilent à la chaîne, jusqu'à ce qu'Universal accepte. Philippe reprend donc espoir. Pas pour longtemps. Les chaînes refusent de financer le projet, même Canal +, pour laquelle il a travaillé de nombreuses années. « Sans chaîne de télé, il est pratiquement impossible de financer un film », souligne-t-il. Sauf qu'à l'impossible, Philippe Lacheau n'est pas tenu. « La seule solution pour nous était de réduire tous nos coûts. On a donc condensé le tournage sur 34 jours, ce qui est rien, et tout le monde a accepté de faire des concessions. Au final, le film a coûté moins de 2 millions d'euros, une somme dérisoire. »

L'atmosphère change alors subitement. « Pendant le tournage, on a senti que quelque chose se passait. Les techniciens étaient supers, l'ambiance géniale, Gérard et Clotilde (Coureau) adorales. Tout s'est merveilleusement bien déroulé ». A tel point que le film, à peine monté, est sélectionné au festival du film de comédie de l'Alpe d'Huez. « Les deux jours avant la projection du film au festival, je n'ai pas dormi, reconnait Philippe. C'était la première fois qu'on le montrait à un vrai public. Il y avait aussi une foule de journalistes et de célébrités. J'étais ultra stressé. » Ce stress se transforme en chaire de poule lorsque le public applaudit à certains gags pendant la projection. « Je n'arrivais pas à y croire, c'était presque irréel. J'ai demandé à quelqu'un en sortant de la salle si ça arrivait souvent. On m'a répondu que c'était la première fois que le public applaudissait pendant un film ». Le jury du festival ne s'y est pas trompé, puisqu'il a décerné deux prix à Babysitting, dont celui du public.

« Ce film va ringardiser le cinéma comique français »

(un agent)

Dès lors, les bonnes ondes se transforment en succès avant l'heure. Tout le milieu ne parle plus que de ce film, dont un agent influent n'hésite pas à dire qu'il va « ringardiser le cinéma comique français. » Les producteurs se ruent sur Philippe, ceux-là même qui avaient refusé de financer ses projets. « A l'Alpe d'Huez, certains sont venus me féliciter en me disant qu'ils auraient bien aimé faire partie du projet. Je leur ai répondu que je leur avais envoyé mon scénario, qu'ils pouvaient vérifier sur leur boîte mail, mais qu'aucun d'eux ne m'avaient répondu. » Le PDG d'une des plus grosses boîtes de production lui a même téléphoné en personne pour s'excuser de ne pas y avoir cru. Une réunion de crise s'est récemment tenue dans une société de distribution, les dirigeants demandant des comptes à leurs employés pour ne pas leur avoir transmis le scénario de Babysitting. « Actuellement, c'est un peu la folie. Je reçois des propositions de tous côtés alors même que le film n'est pas encore sorti. C'est très nouveau pour moi, mais c'est vrai que ça fait plaisir. »

Mais ce dont Philippe est le plus fier, c'est d'avoir su rester lui-même. « J'ai réussi à réaliser mon premier film sans avoir arnaqué personne, souligne-t-il. Personne ne peut dire que je lui ai planté un couteau dans le dos. Je le dis, parce que c'est quand même un milieu un peu bizarre. »

Bizarre ou pas, le milieu du cinéma va désormais devoir compter sur lui. Car à entendre les éclats de rire des spectateurs lors des avant-premières, on peut d'ores et déjà annoncer que Philippe Lacheau n'a pas fini de faire rire sur grand écran.


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