Pigeon vole
Antoine Berthe
Pigeon vole
Pas à dire, il avait la technique.
Les pigeons convergeaient vers lui, délaissant les quelques miettes que leur concédaient chichement les touristes, au profit de la source d’approvisionnement autrement plus sérieuse qu’il leur proposait. Au bout de quelques minutes de tâtonnements et d’hésitations pour le principe, quatre ou cinq oiseaux se posèrent sur son bras tendu, se chamaillant pour attraper la nourriture déposée au creux de sa main. Le ballet des volatiles roucoulant autour de lui dans un chatoiement de plumes grises et bleues ne tarda pas à provoquer l’effet escompté : attirer l’attention du groupe de jeunes hollandaises qui traînaient sur le parvis de la cathédrale.
Enthousiasmées, les jeunes filles échangèrent des "look", "nice" et autre "so pretty" et s’en vinrent piailler et voleter autour de lui. Elles étaient trois. Une brune au visage sans éclat mais à la poitrine opulente mal contenue par un t-shirt taille quatre ans, une moche en sandalette avec des chaussettes, un bob enfoncé sur les yeux et le nez qui pèle, et enfin, une grande blonde un peu maigre avec de grands yeux clairs, des lèvres charnues, et un cul à damner n’importe quel dévot de n’importe quelle religion. C’était celle là qu’il visait. Il aimait lorsqu’elles avaient cet air naïf de petite fille. Elle respirait la gentillesse et on la voyait mal rembarrer violemment un papy ami des bêtes.
Il plongea sa main dans le sac plastique qui lui pendait à la ceinture et en sortit une pleine poignée de mie de pain. Enfin. De mie de pain. C’était en réalité un peu plus que ça. Il avait mis des années à peaufiner sa recette pour arriver à mettre au point sa "marinade à pigeons". C’était une mixture dont il gardait jalousement le secret et dans laquelle il faisait tremper des miches entières avant de venir à la bataille sur le parvis de Notre Dame. Son pain attirait irrésistiblement les pigeons et le regroupement de ceux-ci autour de lui attirait inéluctablement les touristes en général, et les spécimens féminins de ceux-ci en particulier.
OK, ça baigne, constata-t-il, j’ai ferré le poisson. La blonde et ses copines étaient maintenant toutes proches, les yeux brillants, charmées par le spectacle. Il leur adressa la parole dans un mélange de français et d’anglais, prenant soin de ne pas postillonner et de ne jamais cesser de sourire de manière bienveillante. Il réussit à s’intercaler entre la blonde et les deux autres filles puis l’invita à caresser les pigeons perchés sur son bras, ce qu’elle fit avec des cris de petite fille le matin de Noël. Là c’est sûr, il voulait de la femme-enfant, il allait en avoir. Il se contrôlait pour ne pas fixer l’élastique de la culotte qui dépassait du pantalon taille-basse de la fille sans que celle-ci ne semble en éprouver la moindre gêne. La mode avait du bon parfois, mais pour le moment, il s’agissait pour lui d’éviter de passer pour un papy pervers et de conserver une image saine aux yeux de sa proie. On n’en était pas encore au stade de l’effeuillage, loin de là.
Et maintenant, faut lui porter l’estocade.
Il chercha des yeux la colombe blanche qui appartenait à la colonie de pigeons. Où qu’elle était cette conne ? Ah, la voilà qui arrive. Il emplit à nouveau sa main de pain et fit des petits bruits avec la bouche pour l’attirer vers lui. Une fois qu’il l’aurait, il pourrait passer à la phase drague proprement dite : offrir la colombe à la nymphette tout en lui déclamant des vers, l’oiseau passant de sa main à celle de la jeune fille scellant le début de leur idylle. C’était une technique bien rodée qui avait fait ses preuves et qui permettait de briser la glace.
La colombe venait lentement vers lui de son pas dandinant.
Allez petite, grouille un peu, arrive quoi merde !
L’oiseau bifurqua au dernier moment et, prenant son envol, vint se poser sur le doigt tendu d’un jeune homme qui se tenait non loin de là. C’était le Péruvien. Un gars à la peau mate d’une trentaine d’années qui utilisait du maïs trempé dans du miel comme appât. Il fit un clin d’œil au papy – enfoiré va ! – et, affichant un sourire étincelant, marcha vers les filles, offrant la colombe à la blonde tout lui servant un poème non identifié traitant pêle-mêle de la blancheur de la peau des vierges et des dents de porcelaine d’Aphrodite.
Elle rougit en acceptant le présent cette conne.
Et merde ! Saligaud ! Il me l’a fauchée !
Quelques minutes plus tard, les Hollandaises partirent avec le Péruvien qui s’était galamment offert comme guide. Tu peux lui faire confiance pour connaître les hôtels à ce pourri ! Il est capable de se goinfrer la brune et la blonde pendant que la moche gardera les sacs des copines, voire se la taper aussi ce pervers !
Découragé, le papy posa ses soixante dix ans sur l’un des bancs de bois après avoir distribué quelques coups de pied aux rats volants qui ne voulaient pas lui lâcher la grappe.
C’est pas encore aujourd’hui qu’il allait baiser.
Ni ce mois ci d’ailleurs.
Et cette année ?
Est-ce qu’il avait même encore une chance de connaître ne serait qu’un petit flirt avant de décaniller ?
J’en doute.
Quoique.
Un car de japonais était en train de déverser sa cargaison non loin du parvis. Parmi eux, on comptait de nombreuses femmes, des beautés et des boudins, le tout entreprenant d’envahir la place.
Il se redressa et, après un bref round d’observation, se dirigea vers un groupe l’air de rien, farfouillant dans son sac plastique à la recherche de munitions.
Ça avait marché dans le temps, y’avait pas de raison que ça ne marche plus aujourd’hui.
:-)
· Il y a presque 11 ans ·Trop dur de vieillir dehors quand on est encore jeune dedans !
chastout