Pinocchio Négro

Andréa Papus Ngombet Malewa

Toute cette agitation c’est pas bon pour Moi se disait Mame Fatou
DIARRA. Elle haletait et faisait la grimace.
La Diangoma l’avait échappé belle. De peu même.
Elle avait grandi là dans Fass au abord du canal IV. Elle se souvenait de la misère qui l’avait poussé au Mbarane d’abord puis, plus loin, loin dans les eaux troubles. Oui, la vie de prostituée avait du bon. Le sourire rassasié des frères après le déjeuner, les éclats de rire de la mère devant le boubou neuf. Plus maintenant. Avec tout ces niaks délurés, fous de leur sale fric, puant l’alcool.
C’est plus de ton âge Mame Fatou se disait elle. Je vais me consacrer aux ouvriers et charretiers. Je vais baisser mes tarifs.

Le reflet de la pleine lune dans la baie de Soumbédioune. Le clair de lune illuminait la chaude nuit. La même odeur de poisson empestait la zone. Cette odeur rance colle au lieu. Des générations de pêcheurs y ont mêlé leurs sueurs aux restes de poissons à proximité du delta du canal IV et de ses arômes.

Les noctambules comme des essaims de moustiques étaient à l’oeuvre dans les coins chauds de la ville. Dans la baie de Soumbédioune, les accords grinçant d’une sorte de musique luttaient avec le son de la mer. Les vagues roulaient les galets de la baie. Appuyé sur la terrasse d’une jetée, un jeune homme dégueulait.
Derrière lui des tables pêle-mêle. Les tables où s’agglutinaient les crapauds enivrés d’alcool.
Le principe du Show voulait que l'on ne débarrasse pas la table. Alors on l'ornait de cadavre de bouteille d’alcool comme d’autant de trophée de la capacité financière de la bande de crapauds. De la bande de grand Coquin.
Les accords grinçant s’amplifiaient. Alors qu’on s’approchait des battants, - ça djafoule – lit on. Un toit de chaume. Un sol sale sans esthétique. De mauvais alcool au rabais. Des nationalités mêlées. Quelques Toubabs en quête de dysenteries. Des accords de Soukouss et de décalé coupé. Farot Beach. Il n’y a rien de Farot. Un sombre couloir qui s’allonge en direction du boulevard Martin luther king en travaux. Ça pue la merde.

Au croisement qui donne sur Gueule Tapée, Mame Fatou Diarra tentait de reprendre son souffle. Vêtu d’un strech noir brillant, appuyé sur ses genoux, elle n’avait plus de haut. Sa poitrine nue. Ses pieds nus. Ebouriffé.
Elle repris son souffle petit à petit et recommença son trot vers Fass et sa misérable chambre. NDEYE SAN !
J’y suis né pensait-elle. Dans cette chambre. J’y ai grandi. Mon vieil oncle Modou y a abusé de moi. Oui, ma première expérience sexuelle c’est lui. Mon père m’y a possédé plusieurs fois. Avec le consentement de ma mère. Trop vieille pour satisfaire son mari. Trop faible pour me protéger. C’est normal, je suis une fille. Je suis faite pour cela. Yallah Bakhna. Mes petits frères ? Des fainéants. Yamba rek. Il fallait bien que je ramène la N’Déki. C’est un métier comme tout autres.

La nuit avançait et les Niaks étaient de plus en plus grisés par les cocktails d’alcool.
Dans une allée sombre du village des artistes où se situe le Farot Beach, Pinocchio gisait comme mort dans son vomi et son sang. Sa nuit au Faro avait été laborieuse. Il gisait dans ses pompes et sans vêtements. L’instrument à l’air libre portait encore un condom. Il gisait en chien de fusils. Exhalait des vapeurs de Whisky qui se mêlaient joyeusement aux arômes subtils de la baie de Soumbedioune.
- A Farot la fête de continuer et les grands coquins de s’enivrer -
Un mouvement de poitrine, un râle, Pinocchio était en vie. Non loin,
Crapule, les yeux sur la lune, s’était vidé de son sang. Les oreilles de baudet et
le nez long.

 - Bien avant cette agression macabre -

Un vendredi comme d’autre à l’école de Mustapha. La jeunesse studieuse râlait et échafaudait les rumeurs de la semaine prochaine. Les Crapules et les grand Coquins, les insouciants Pinocchio et les Gémini Criquets piaillaient, caquetaient.
Pinocchio était en pause quand Geppetto le phona du bled. Un Dring. Oui.
Note. Les dix chiffres. Oui. C’est noté. Merci. Tâche de bien gérer.
Déjà sur Pinocchio une armée de grand Coquins et que la journée de cours se déporte au cinquième round chez la tante.
Une porte dérobé en face d’une Mosquée. Des bières fraîches. C’était un vendredi banal. Un vendredi de fin de mois. On le reconnaissait au barbe mal rasé et aux envies de show. Grand Coquin lui avait dit que se pouvait être beau.
Chez la tante, il rencontra Crapule. Un ancien Pinocchio plus en avant dans le vice.Ils se plurent. Oreilles de baudets. Nez long de leur mythomanie. Gémini criquet si ce n’est noyé dans les vapeurs d’alcool ou occupé à obtenir sa moyenne servaient de souffre douleur à la joyeuse assemblée. –Ah ! Tais toi !
Tu es au sucré-
On dépensa sans compter. Les Pinocchio abreuvèrent les grands coquins.
Les crapules insultèrent et surtout s’étonnèrent de la liberté bachique. Ensemble, on vanta les vertus de la dive gazelle. – rapport quantité prix –
Autour du pot se résolvaient les problèmes de l’Afrique. En un rot, les
économies étaient fleurissantes. On se donnait des airs de sérieux pour discuter politique. On critiquait dans le dos en se défendant d’en faire autant puis dans des serments éthyliques, on se jurait des amitiés éternelles.
Dix Sept Heures pétantes pointaient sur les écrans LCD des portables.
Crapule et Pinocchio prirent congé des grands Coquins. La nuit s’annonçait chaude.

Mame Fatou frappait à sa porte. « Ko Kan là ? » demanda le père
proxénete. « Déjà de retour ? ». Il ne se préoccupa pas de l’état dans lequelle l’apparu son gagne pain.
« Retourne d’où tu viens ! Tu n’es qu’une bonne à rien ! Pourquoi Dieu
m’a ainsi puni en me donnant une fille comme toi ! Les autres ramènent de l’argent toi que des ennuis ! Bonne à rien ! Regarde ta copine Bintou, elle a acheté à son père un taxi ! » etc. etc.
Trop épuisé pour répondre aux invectives de son géniteur, elle se contenta de pleurer sur sa misère. Des larmes grosses de putain chagrin.

- A l’orée de la nuit -

Dakar c’était paré de lumière et de guirlande. Elle voulait oubliée la
dureté du quotidien et donc noyée dans les alcools ses soucis et les rigueurs de sa foi islamique. Sauf que les soucis savent nager à son grand malheur !
Des Almadies au plateau les tchin-tchin et les bin-bin s’agitaient. Les
éclats de rires et les grosses coupures. Dans les ruelles dérobées de Grand Dakar ou de Médina, les culbutes presto Discount.
Pinocchio avait le sou. Il délaissera ce soir le Tangana le Coq au privilège d’une meilleure table.
Avec crapule ils optèrent pour Diakarlo et son poulet avarié. –triage de
grand coquin–.
La ville voulait s’oublier. Oublier sa solitude d’île, d’île-pays entouré
d’atlantique. Dakar est un port où selon un navire trop longtemps rester à quai et qui s’ennuie des vieilles histoire de gloires des marins.
Les marins c’est nous, les multiples naufragés que la fortune avait jeté sur ce rivage.
On arrivait à Dakar toujours comme par naufrage. On demeurait par fatalité. On s’y plaisait par sexualité. Et souvent, on y trouvait un foyer par contingence.
Dakar résumait l’Afrique de ces années là : ses audaces et ses
contradictions. L’Afrique et son énergie, l’Afrique et ses archaïsmes.
Avec la montée des grammes d’alcool dans le sang, les hormones avaient pris le dessus sur la raison.
L’assaut des taxis, qui des voitures personnelles, qui des scooters aux
abords des boîtes de nuits et autres lieux de divertissement.
Par banc d’espèces, toubabs, Saï, Nare, Cabo et Niaks qui par la densité était les plus bruyant et actif de la nuit dakaroise. Et ces bancs de Niaks, loin d’être
homogène se divisaient en factions qui s’inter-détestaient. Le but : savoir qui serait l’incontestable maître du godet et des bas fond chelou.
Pinocchio et Crapule furent d’un convoi en direction du Faro.
Les accords de la musique se firent lointain.
Il dormait désormais dans son vomit.
Crapule n’avait pas eu autant de chance.
Le rire des grands Coquins déchiraient le reste de nuit tandis qu’à grande eau Mame Fatou faisait sa toilette intime.

– Matin–


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