Pinocchio’s not dead
Antoine Berthe
Pinocchio’s not dead
Je ne peux baiser que les filles pour lesquelles je n’éprouve rien.
Sentimentalement j’entends.
Avec celles qui m’attirent simplement physiquement, ça ne me pose aucune difficulté.
Au contraire. Au risque de me vanter, c’est plutôt sportif. J’ai même eu des plaintes des voisins.
Bref, baiser n’est pas un problème, c’est faire l’amour qui en pose un.
J’ai en effet dans le second cas une difficulté d’ordre technique.
Que ce soit pour baiser ou faire l’amour, il faut bander.
Or, moi, je ne parviens à hisser le drapeau que lorsqu’il s’agit de forniquer bestialement.
A chaque fois que j’ai été mordu d’une fille et que je lui ai manifestée mes sentiments, que ce soit par un sobre "je t’aime" ou par des déclarations plus enflammées, ça a été la panne.
Dans le même temps, si pour parvenir à mes fins avec une gonzesse dont seul le cul m’interpelle, il faut en passer par des proclamations d’amour éternel, no problémo, j’ai la trique adéquate.
Tout cela a fini par me peser. J’en suis arrivé à un stade où être à la tête d’un harem ne me fait plus fantasmer. Je voudrai enfin pouvoir vivre le grand amour sereinement et bâtir quelque chose. Je sais bien qu’il n’y a pas que le sexe qui compte à cet égard, mais quand même, c’est l’une des composantes du truc, me semble-t-il. Et puis comment vivre une vraie love story si dès le départ je sais que l’adultère en sera une composante, compte tenu de la nécessité de satisfaire mes besoins physiques ?
J’ai donc attaqué une psychothérapie.
Ma psy est une quarantenaire charmante aux grands yeux bleus et à la poitrine généreuse.
Nous avons beaucoup travaillé.
J’ai parlé des heures, lui détaillant mes galipettes par le menu, sécurisé par sa capacité à ne pas juger. Plutôt que de hausser le sourcil au récit de mes exploits sur quelques sièges arrière de voitures ou dans le confessionnal d’une charmante chapelle de Provence, elle m’encourage à détailler au maximum.
Ce qu’elle a déduit du récit de ma vie c’est que je ne peux avoir d’érection que lorsque je mens à ma partenaire.
Que je crie mon amour à une fille de passage levée dans un bar et alors je suis un véritable étalon. Par contre, si j’avoue à la femme de ma vie que je suis raide dingue d’elle, c’est la catastrophe assurée, mes corps caverneux se vident et ça se dégonfle comme une baudruche.
Pourquoi ?
Selon ma psy, ça s’explique par un évènement de ma petite enfance.
Lorsque mes parents sortaient, il me confiait au bon soin de la voisine, une jeune fille sur les genoux de laquelle je suis demeuré des soirées entières alors qu’elle me lisait mon livre préféré : Pinocchio.
J’ai passé de longs moments, le pouce dans la bouche, serrant mon doudou dans les bras, la tête callée entre ses seins alors qu’elle me narrait sans relâche les aventures du pantin dont une partie du corps prenait d’autant plus de vigueur que de ses mensonges s’accroissaient.
Je ne suis pas certain de ne pas reconstruire a posteriori mais il me semble bien que les tétons de la baby-sitter me chatouillant les oreilles provoquait chez moi quelques émois dont je n’avais alors pas perçu l’intérêt.
Du fait de cette pédophile inconsciente et de bonne volonté, je me trouve comme la marionnette italienne affublé d’un organe qui durcit lorsque je fabule.
Ma psy a trouvé l’origine du problème mais ne l’a pas résolut.
En effet, toute charmante qu’elle est, je n’éprouve aucun sentiment amoureux pour elle. Le divan s’en souvient. D’ailleurs, la femme de ménage n’a pas réussi à ravoir toutes les tâches.
On continue les séances mais je la soupçonne de ne plus véritablement se préoccuper de ma pathologie.
Il n’y a qu’à voir les mensonges qu’elle m’encourage à proférer.