Piotr Kowalski

Franck Bessieres

                                                PKDP

                            (Piotr Kowalski Détective Privé).

                          Episode 1   « Nuits de rêves ».              

L’entrée de son cabinet est assez discrète, l’idéal pour un détective privé. Une impasse étroite coincée entre une agence d’assurances et un caviste. Au bout, une courette pavée surplombée d’un immeuble bas mais cossu. Son bureau est ici, juste au dessus du marchand de vin. Piotr Kowalski  est  d’ailleurs un fin connaisseur des grands crus français et italiens. Lorsqu’il en a le temps, il descend à la boutique pour humer et juger les fameux arrivages du moment. Il se constitue ainsi, et au fil du temps, une prodigieuse petite cave sous son pavillon de banlieue.  Il est comme tout bon détective, un passe-partout. Dans la rue, il ressemble à Monsieur tout le monde. Pas d’imperméable gris, pas de chapeau, pas de voiture tape à l’œil, ni de ray ban. Sa panoplie se compose d’un appareil photo reflex, un dictaphone, un portable, une paire de talkies-walkies, deux ordinateurs, un véhicule lambda, et enfin une moto japonaise.

Piotr est un fin limier, il s’est installé en indépendant depuis maintenant quatre ans. Il a brillamment obtenu à vingt-six ans son diplôme d’état d’enquêteur privé à l’université Panthéon Assas Paris 2. Enfant déjà en Pologne, dans la banlieue de Poznan, il jouait souvent au  gendarme et au voleur avec son frère aîné Jacek, mais c’était toujours lui le gendarme !         

Sur la porte du deuxième étage est apposé une plaque professionnelle. Y figure,

« Piotr Kowalski, Détective Privé diplômé d’état, 10h00-12h00 les Mardi et Vendredi ».                    

En supplément,  il est conseillé de sonner avant d’entrer. Clarisse De Calmejac s’exécute.  

Il est dix heures tapantes, elle est ponctuelle. Grande avec de longs cheveux blonds, elle n’est pas moche, mais certainement un peu trop artificielle de maquillage et de bijoux ostentatoires. Elle prend place dans la petite salle d’attente feutrée, et guette nerveuse le bureau du détective. Il est au téléphone derrière ses cloisons phonétiquement bien isolées. Enfin  il sort, souriant, et salue d’une main ferme sa cliente.

-Entrez Madame De Calmejac, prenez place je vous prie.

La cliente s’assied et pose son sac Vuitton noir sur ses genoux.

-Madame, expliquez moi en détail ce qui me vaut votre venue.

-Bien, c'est-à-dire que …, enfin…, bon ce n’est pas facile à dire mais voilà…, je, je pense que mon mari me trompe !

-Madame De Calmejac, depuis quand en avez-vous pris conscience, et surtout quels événements ont pu vous alerter jusqu’ici ?

La cliente réfléchit quelques secondes puis enchaîne.

-Voilà, Il y a environ six mois, mon mari Antoine De Calmejac qui est à la tête d’une importante chaîne hôtelière Française a découché. C’était bien la première fois en vingt-trois ans de mariage ! C’est à ce moment là que mes premiers doutes sont apparus.

-Quelles explications vous avait-t-il fourni ?

-Il devait rejoindre notre maison de Neuilly vers minuit, comme il en a l’habitude après un conseil d’administration dans la capitale. Cette fois, il m’a appelé pour me signaler une rixe très sérieuse entre un client et le veilleur de nuit d’un de ses hôtels de Normandie. Ce dernier aurait été gravement blessé à l’arme blanche. Il se devait donc d’être présent sur place auprès de son personnel, ainsi que des forces de l’ordre locales.  

-Je présume qu’il n’est rentré que le lendemain vu l’heure tardive et la distance ?

Lui demande Piotr.

-Oui, il aurait dormi quelques heures sur place, avant son retour à la maison le samedi en début d’après-midi.

L’entretien va durer près de deux heures. Clarisse De Calmejac va énumérer un à un la demi-douzaine d'imprévus qui ont fait que son mari soit rentré plus que tardivement et de manières récurrentes ces derniers temps. Comme ce soir de juin, quand il lui avait détaillé un accident de la circulation à la sortie d’un repas d’affaires. Sa berline allemande accidentée, il avait alors  regagné au petit matin le domicile conjugal à bord d’un véhicule appartenant à l’un de ses collaborateurs.

Piotr comprend bien que sa cliente vise et redoute à la fois le constat d’adultère. Il se saisit d’une chemise verte plastifiée, et y note soigneusement sur l’étiquette « Madame De Calmejac Clarisse ». 

Piotr est toujours célibataire à trente ans. Il a pourtant un physique avantageux et sportif.     Sans doute est-il trop accaparé par son travail au cabinet, et surtout en filature. Beaucoup de déplacements et pas d’horaires fixes. Sa dernière conquête, une journaliste, l’a plaqué il y a maintenant plus de six mois !

La famille Kowalski avait rejoint Paris au début des années quatre vingt dix.   

Pawel son père avait été affecté a la Sorbonne en tant que Professeur de langue et littérature Polonaise. Sa mère Felicia a continué à peindre et à organiser des galeries d’arts contemporains. Quand a Jacek, lui est devenu un grand chef cuisinier sur la place de Paris. Il a été formé à la haute cuisine française. Seulement a présent, ses racines slaves l’ayant rattrapé, il propose dans son restaurant uniquement des spécialités polonaises et russes.

Ce soir, Piotr part de nouveau en planque devant cette usine de légumes surgelés. Il va encore « faire la guérite » comme il dit. Le but étant de prendre en flag’ par photos, et de finaliser une affaire de vols en interne. Plus précisément, le gardien de nuit et le responsable des expéditions seraient en chevilles dans le but de sortir illégalement des denrées alimentaires de l’entrepôt. Piotr a déjà passé cinq ou six nuits en planque sans parvenir à immortaliser la scène. Autrement dit, il lui manque la preuve absolue pour son client, le Directeur de l’entreprise.

Une fourgonnette rouge ralentie et arrive devant le poste de garde. La barrière se lève et le véhicule se dirige aussitôt vers le quai de chargements. Piotr est bien renseigné, il sait parfaitement que ce soir aucun départ de commandes n’est prévu. Seul un arrivage d’emballages plastiques par une semi-remorque est programmé. Le responsable des expéditions apparaît et commence à charger des cartons lourds dans la fourgonnette avec l’aide du chauffeur. C’est le bon moment pour Piotr ! Il les mitraille de son reflex à téléobjectif, et il prend bien soin de fixer la plaque d’immatriculation de la camionnette. Cette fois c’est certain, l’affaire touche à sa fin !

Antoine de Calmejac avait pris à l’époque la suite de ses parents alors propriétaires sur Bordeaux de deux hôtels, assez modestes certes, mais parfaitement tenus.

Il est aujourd’hui un homme largement comblé professionnellement.            

Le groupe hôtelier De Calmejac est en effet l’un des plus puissant de France. Sa chaîne de luxe « Nuits de Rêves » est présente en France, en Belgique, et depuis peu en Angleterre.

Clarisse a toujours été à l’écart des affaires professionnelles de son mari. Ce n’était pas un choix personnel, mais surtout une exigence de son époux. Il a toujours voulu séparer le travail de la vie familiale. Elle gère donc, et en toute autonomie, une petite boutique de maroquinerie campée aux portes de Paris. Même Margot leur fille unique, a préféré suivre des études en médecine, dans l’espoir de s’établir plus tard Docteur en gynécologie.

L’affaire des surgelés bouclée, Piotr s’attaquera dés lundi à l’énigme Calmejac.        

Pour l’instant c’est dimanche, et il a décidé d’aller déjeuner chez Jacek.       

-Piotr frérot, les parfums de Pologne te manqueraient t-ils?  

-Oh que oui mon Jacek, et pas qu’un peu !

La table numéro douze avec vue sur la terrasse et jardin à toujours sa préférence. Il s’y installera comme d’habitude, après avoir salué la brigade en cuisine, puis l’équipe du service. Il n’oubliera pas non plus d’aller goûter deux ou trois trucs succulents au fond des cocottes  frémissantes et abondamment parfumées. Il se fera d’ailleurs une fois de plus invectiver par le grand chef Jacek Kowalski.

-Un porterowka Monsieur Piotr ? demande la serveuse, (cocktail d’alcool de grain, bière brune, sucre vanillé et sucre cristallisé). 

-Oui, avec quelques paluszki, (biscuits apéritifs à base de pommes de terre).

-Vous avez choisi ?

-Alors ce sera, une kapusniak (soupe chaude de choucroute, pommes de terre et lard), suivie    

d’un golabki  (chou vert farci à la viande de bœuf, oignons et riz sauce tomate). Vous mettrez également une eau plate minérale. Piotr ne prend jamais de vin lorsqu’il est seul à table.

-C’est bien noté Monsieur Piotr.

Comme toujours, il n’en laissera pas une miette, au grand bonheur des cuisiniers et de son   frère aîné.

Lundi matin six heures, Piotr ouvre ses volets et la journée s’annonce belle et chaude. Il va commencer la journée par un footing de dix kilomètres sur les sentiers boisés et chantants de son quartier. Il s’impose un rythme régulier de quatre séances semaine, sa manière a lui de répondre au stress qu’il accumule au long de ses enquêtes. Il est vrai que son métier lui fait parfois vivre des situations dramatiques mais aussi cocasses. Comme ce jour, quand dissimulé derrière une haie de cyprès, Piotr vit la femme qu’il filait s’approcher droit sur lui. Elle ne l’avait pas repéré, elle venait en fait pour se soulager d’une envie pressante !      

Neuf heures et trente deux minutes, Antoine de Calmejac quitte sa propriété seul à bord de son véhicule sombre. Il part pour ses bureaux du huitième arrondissement de Paris, Avenue Monceau. Piotr le prend discrètement en filature à bord de sa clio blanche.   

Le PDG emprunte la raide pente vers les souterrains dans le but de rejoindre son stationnement attitré. Piotr est chanceux ce matin, une place se libère dans la rue à quelques mètres seulement de la sortie des parkings. Il va de nouveau faire la guérite pour un temps indéterminé.   

Trois quarts d’heure seulement se sont écoulés quand Antoine de Calmejac apparaît à la sortie de l’immeuble. Il est accompagné d’un homme brun et assez râblé. Ils empruntent à pied la rue Galilée, puis plus haut virent à droite sur l’Avenue des Champs Elysées. Au numéro 104, face au métro George V, les deux acolytes pénètrent dans un établissement à la devanture luxueuse. Son enseigne indique, « Aviation Club de France ». C’est un des cercles de jeux légendaires de la capitale. Aussi un haut lieu de tournois pour joueurs de poker internationaux !

Pendant que le duo se dirige illico vers le vestiaire, non sans avoir salué d’un geste prompt les hôtesses, Piotr qui les a suivi jusque là entre à son tour. Il fait mine de s’intéresser et de prendre connaissance auprès de ces dames des modalités d’adhésion au cercle. Il vient de comprendre que le Big Boss des hôtels « Nuits de rêves » est aussi un habitué des lieux.

A part sa passion connue pour la petite balle de golf, il semblerait que Madame De Calmejac     ignore tout de l’intérêt de son mari vers les jeux d’argent !

Piotr quitte l’établissement avec l’opuscule remis par les hôtesses.

Le club avait été crée en 1907 par un groupe d’aviateurs. Il s’est petit à petit ouvert aux autres membres contre une cotisation annuelle. A présent, il accueil chaque jour et toute la journée  des centaines de passionnés, sous son architecture design et contemporaine. Une tenue correcte est exigée, chemise et chaussures de ville obligatoires ! Sur place, un bar restaurant avec show animations et champagne pour le bien être des amateurs de Black Jack, Punto Banco, Baccara, ou encore Poker à trois cartes. Il est même possible de réserver une chambre dans les hôtels partenaires du cercle !

Les deux champions regagnent enfin leur  bureau voisin, il est déjà  presque dix huit heures !

Piotr n’en informera pas immédiatement Madame de Calmejac. Il est en effet bien trop tôt pour lui démontrer que son époux passe aussi ses soirées de découche autour des tables à jeux.

Aussi, l’information ne doit en aucun cas filtrer et arriver aux jusqu’aux oreilles du PDG.

Le jeune détective est vraiment satisfait de sa toute première journée « De Calmejac ».

Ce soir puisqu’il en a le temps, et après avoir besogné sur quelques dossiers urgents au bureau, Piotr descend prendre un peu de bon temps chez Henri le caviste du dessous.

Il a décidé de goûter cette fois les vins du Bordelais, ses préférés. Il va craquer pour une caisse de Pomerol rouge « Château Moulinet Lasserre » millésime 2006. Sa robe est pourpre,  

intense, et son bouquet exprime simultanément la violette, le cassis, la griotte et les agrumes !

Une belle présence en bouche, du fruit, et des tanins serrés en font un excellent vin de garde.

Ce n’est que deux semaines plus tard que Piotr va pouvoir ficeler l’affaire de la maroquinière. Clarisse de Calmejac comme prévu au départ, vient de communiquer au détective que son époux doit participer ce soir à un dîner d’affaire et rejoindre ainsi très tard dans la nuit sa propriété de  Neuilly. Antoine De Calmejac participera en fait au tournoi

« Gold Championship » dont les gains atteindront 250 000 € ! Il n’aura pas la main heureuse, comme souvent au jeu. Ce n’est d’ailleurs pas tant ce qu’il recherche. Il prend du plaisir dans ces nuits de rêves, bien plus qu’à gérer d’une main de maître ses hôtels du même nom !

Qu’en pense Madame De Calmejac ?             

                                                                            Franck BESSIERES.

Signaler ce texte