Piscine

padam

Il fait chaud, peut-être trop. L’air sent le chlore ; le sol n’a pas le temps de rester humide car le soleil est trop fort : il est comme un grand séchoir automatique qui n’arrêterait pas de tourner.
Laurent s’approche de l’eau. Il est grand, droit. Son regard fixe un point, de l’autre côté de la piscine. Il doit s’agir du plongeoir d’où les enfants tentent une série illimitée de sauts en tous genres, mais rien ne nous l’assure.
Laurent semble observer le chemin le plus court pour se rendre de l’autre côté du bassin, sans passer par l’eau, et pour rejoindre ce que son œil ne cesse de scruter.
Il est concentré.
Nous sommes en plein mois d’août et Laurent est satisfait de cette idée de baignade qu’il a eue un peu plus tôt dans la journée. Il avait besoin de respirer, de quitter la ville.
Une jeune fille feuillette distraitement une bd, allongée sur une serviette, à proximité de Laurent. Son corps et ses cheveux sont secs ; sa peau doit probablement être en train de bronzer.
Laurent a opté pour le côté gauche. Il y a moins d’enfants par là, c’est plus calme. Il marche. Son regard continue d’accrocher ce point fixe qui l’attend, de l’autre côté.
Il déplie ses longues jambes souples et pose ses pieds sur les dalles brûlantes. Il est détendu, rien ni personne ne le presse.
Il aime ce moment où la chaleur est si forte qu’elle invoque la fraicheur.
Il devrait plonger dans l’eau. Mais il continue sa lente progression, tentant de rejoindre le côté opposé de là où il se trouve.
D’un coup il se fige et arrête son infaillible procession. Une éclaboussure a atteint son corps sec et bouillant.
Autour de lui les choses sont incertaines, floues, s’évanouissent. Les couleurs se confondent, les cris s’éteignent. Le soleil l’aveugle.
Il émet un petit cri perçant que personne n’a entendu. Puis il reprend ses esprits et n’essuie même pas du revers de la main les quelques gouttelettes d’eau qui l’ont distrait, un instant, de son objectif.
Les jambes continuent de se dérouler vers ce point qui se rapproche de l’œil de Laurent.
Ce point est maintenant si proche que Laurent ne le voit plus, il le lèche. Un calipo fraise. Un glaçon rouge sang qui fond. Le jus sucré dégouline le long de la joue de Laurent, dévale son visage, son torse, sa jambe, se mêle aux poils. Le rouge s’infiltre maintenant au fond d’eau d’une flaque qui n’a pas encore été aspirée par le soleil. Elle est légèrement rosée, et sucrée. Laurent et le calipo ne font plus qu’un. Mais bientôt les excitations éparses des enfants lui parviennent en un cri immense qui casse la chaleur et anéantit l’indolence de cette après-midi : son glaçon est tombé par terre ! Il s’abaisse et aspire le peu de colorant et d’eau qui reste au sol.
Les bruits reprennent, les couleurs s’animent. Il fait toujours aussi chaud, pas dans la bouche de Laurent.

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