Place Charles Dullin, 18ème

wilma

Une jeune comédienne débutante attend fièvreusement une audition au Théâtre de l'Atelier, place Charles Dullin. Récit.

THEATRE DE L'ATELIER

Place Charles Dullin, Paris 18ème

     « Garçon, garçon ! Un déca s'il vous plaît, je suis un peu pressée. »

« Thomas, c'est moi, Céline. Merci encore pour le passage, j'étais drôlement en retard et ce trac ! Merci, merci encore. Là, j'ai dix minutes pour essayer de me détendre. Oui, juste à gauche. »

« Oui, je me détends au déca. Quoique un tilleul aurait été tout indiqué... »

« Crois-tu que ce soit trop tôt ? Tu sais, Muriel n'était pas d'accord, elle me trouve immature et pas assez solide, enfin...»

« J'ai le ventre qui gargouille. Ce serait joli s'il se remettait à gargouiller au moment d'une touchante tirade, genre amour, vengeance, mort et damnation. »

« Eh bien, j'ai pris deux classiques,et pour les modernes, j'ai opté pour Winnie, des Beaux Jours de Beckett, et en ce moment, je pense soudain qu'il n'y avait pire choix. »

     « Merci, voilà, gardez la monnaie .»

« Thomas, Thomas, tu m'écoutes toujours ? Cela me semble irréel maintenant. J'ai été bien notée à la session de septembre, certes, mais une audition pareille, obtenue presque à l'esbroufe... »

« Marc. T. est un des nos meilleurs directeurs d'acteurs, je ne t'apprends rien. On dit qu'il est volubile, capricieux, qu'il a ses têtes.Heureusement que Pierre a insisté... »

« Je te laisse. J'ai peur. Ne ris pas. Je me demande encore si je vais y aller. Au revoir, je t'embrasse, tes encouragements m'ont fait du bien.»

......Agnès, Lucinde, Chimène, Cordélia, Hermia, Camille, Nora, Julie, Violaine, Irina, Eliza, Molly, Zerline, Electre, Colombe...

... Marivaux, Diderot, Pirandello, Shaw...

Bijoux, choux, cailloux, je suis à genoux …

*

Dans la matinée froide, cristalline, à une heure matinale, le Théâtre de l'Atelier apparaît comme figé, vide, presque inamical.

Une jeune femme svelte entre en hâte dans le hall, agitée et en même temps incertaine. Elle tient plaqué sur sa poitrine un cabas de velours chamarré qui semble déborder, rempli à ras. Son écharpe laineuse manque se coincer dans la porte...Une ride s'est creusée entre ses yeux, son rouge à lèvres s'est teinté de gouttes de café et des poches bleutées se remarquent sous ses yeux inquiets, fureteurs, aux cils battant comme des papillons. Songeuse, elle ralentit, comme recueillie, et regarde le hall, la caisse, les escaliers, les couloirs. Elle hésite un peu, puis prend son élan et quitte le rez de chaussée.

Une heure et demie plus tard, la place est moins grise et plus animée. Les deux cafés sont pleins et quelques touristes étrangers se penchent, les mains gantées, sur des plans de Montmartre.

La jeune fille sort, ou plutôt essaie d'abord de sortir par l'une des trois portes, elle se trompe, s'y cogne presque, puis trouve la seule qui est ouverte, l'écharpe à la main, les cheveux raplatis, les joues rosies, les yeux brillants et perdus en même temps, son cabas à la traîne, exaltée, émue....

« Oh, cher, cher Théâtre, comme tu me parais petit, là, en sortant de tes entrailles.Cher Atelier, sais-tu ? Je suis prise ! Je suis prise, alors tu me sembles un amphithéâtre, l'arène des rêves...

Dieu, je monterai sur les planches, j'aurai mon nom dans les programmes, les affiches ! Je vais jouer, je joue dès janvier...Un petit rôle, petit mais réputé.

Cher Atelier, modeste façade défraîchie, fatiguée, aux trois portes à l'ancienne, ici commence mon histoire, ma petite histoire qui rejoint la grande histoire des scènes parisiennes, grâce à toi je pénétrerai dans l'univers des planches.

...Agnès, Lucinde, Chimène...

Le rideau rouge, les ouvreuses dans la salles, les visages de l'attente, les trois coups, le souffle léger venant du trou et sur mon épaule une poussée ferme et complice...

Je servirai les textes célèbres, je ferai surgir les paroles ardentes, révoltées, tendres des dramaturges dans les siècles, les maîtres.

Jetez-moi des oranges, jetez-mois des fleurs : je vous ferai la plus ronde des révérences.»

« Thomas, c'est moi, ça y est. Oh Thomas... »

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