Place de France

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Une scène qui se répète à longueur d’heure dans un   théâtre  de fous qui ne semble pas trop s’intéresser au  sort de cette nouvelle venue perchée à la fenêtre d’un hôtel de passe, qui a tout son temps pour  réfléchir à sa folle aventure.

Elle aime bien son pays et pense à l’avenir une  France sortie  si fragile d’une deuxième guerre mondiale dévastatrice et qui ne pouvait continuer à gérer indéfiniment un si grand empire.  Pour elle la seule  solution de survie pour un empire en plein effritement était l’indépendance des colonies et la collaboration avec l’élite locale restait l’ultime porte de sortie.

C’était son sujet de thèse et elle y avait si activement travaillée qu’elle en connaissait par cœur tous les aboutissements et c’est ce qu’elle avait reprit juste après dans les fameuses chroniques politiques qui lui ont causé ce départ précipité.

L’avenir des territoires sous tutelle française intéressait aussi beaucoup de    journaux de gauche au moment où la lutte pour s’accaparer d’un  pouvoir qui battait ses ailes faisait fureur en France, dévastée, et qui ne vivait justement que par le produit de ses colonies.

Ils prônaient les tractations avec les nationalistes au Maroc comme en Tunisie ce qui en fait n’était qu’une illustration de la pertinence de  l’approche de la jeune journaliste et c’est  ce qui la réconforte quelque peu.

Elle avait entendu dire qu’un puissant homme d’affaires installé au  Maroc comptait  acquérir  des  journaux marocains mis à la disposition de toutes les plumes libérales.

 Ses recherches l’avaient aidée à localiser ce grand monsieur de la finance mais son passé politique demeurait dans le flou total.

Tout ce qu’elle avait pu recueillir c’est que monsieur Lemaigre Dubreuil de son nom avait installé  les huiles « Lesieur » à Casablanca suite à l’invasion allemande et que politiquement, il était pour l’autonomie du Maroc.  

C’était cette dernière information qui l’avait encouragée à choisir l’sa destination lorsqu’elle décida de fuir.

Elle  a la certitude  que si elle arrive à exposer ses positions , elle serait la bienvenue parmi les nationalistes et une bonne partie de la gauche marocaine, mais encore faut-il qu’elle puisse mieux s’installer afin de pouvoir  s’exprimer librement.

Or, non seulement elle ne connait personne, mais même  Jamal  qui lui  avait laissé entendre que sa famille serait heureuse de l’accueillir, est  à Fès, soit à plus de trois cents kilomètres de cette vieille chambre toute grouillante de punaises où elle attend impatiemment la levée du jour.                 

A l’approche de l’aube, l’activité dans la ruelle baisse d’intensité et la jeune journaliste retrouve son lit, pensant  encore à cette prise de position dans un conflit entre nations qui l’avait mise dans cette difficile situation.

La fatigue prenant le dessus, elle  eut une petite latence lorsque Mustapha vient taper timidement à sa porte.

Les cheveux frisés quelque peu brunis par ce grand soleil qui envahit le patio, il avait longtemps attendu  que sa cliente descende avant de monter la chercher.

Il est déjà dix heures passée et pour  sa première vraie sortie, Mireille est gâtée par un si beau soleil et par un décor qui n’a rien de commun avec le calme du petit quartier où elle vivait depuis qu’elle avait fini ses études de journalisme.

 La valise sur la tête, Mustapha la  mène   à travers des ruelles autrement grouillantes de vendeurs ambulants  de légumes et de poissonniers dont les criés se font écho.

Elle a  abandonné son pantalon large et son colle montant pour  un tailleur en soie qui  dessine avec élégance sa parfaite forme et dégage  bien sa belle taille.  Ses jambes galbées et le déhanchement de ses fesses attirent à chaque tournant l’attention de ceux qui s’ébrouent à la vue de la première jupe qui passe.

Désorientée par les labyrinthes  ruelles elle se demande à chaque fois s’ils n’étaient pas déjà passée par là tellement les quartiers se suivent et se ressemblent.

Heureusement que Mustapha la guide car autrement elle ne serait jamais parvenue au  grand portail, qui, une fois traversé,  dévoile  l’autre visage de la ville de Casablanca.

Une cité moderne presque  européenne  où les rues larges et très propres  contrastent  avec les ruelles ténébreuses, encombrée et impropres  de l’ancienne Médina.

Il fait vraiment  très beau de ce coté-ci de la ville, et le dépaysement qu’elle ressentait la veille s’estompe au fur et à mesure des petits pas de son guide.

Elle s’arrête subjuguée à contempler  un grand et beau jardin tout fleuré où de petits enfants en guenille se bousculent en grappe autour de manèges ou se balancent en escarpolettes sous les yeux attendris de parents, bien installés sur les bancs ensoleillés.

Rien à voir avec ce qui s’écrivait sur la situation des colonies  et dont les échos arrivaient jusqu’à la métropole.

La « Place de France » transcrite bien en claire sur un grand panneau s’ouvre sur un large avenu où des  gens, qui ne sont  pas différents de  ceux qu’elle avait laissés à Paris, circulent sans contraintes ni protection policière.

La  petite promenade la mène à regarder  de belles vitrines semblables à celles qu’elle  avait l’habitude de visiter chaque fois qu’elle était en cours d’idées.

Devant  un très haut immeuble abritant sur ses flancs deux grands magasins du nom de « Monoprix»  et «Galeries Lafayette » une longue file se dessine.

Des hommes et des femmes, attendent patiemment l’ouverture des deux centres commerciaux dans un ordre impeccable.

Enchantée elle investit une   grande  terrasse ensoleillée  archi comble  de «  Café de France » et  trouve difficilement une table vide,  le temps de mettre de l’ordre dans ses idées.

Resté à l’extérieure Mustapha dépose la grande malle dans un coin et fatigué s’assoit dessus lorsque  la journaliste l’invite de la main à la rejoindre.

Hésitant le petit porteur  rapproche tant bien que mal sa valise tout en essayant de ne pas heurter au passage quelques clients au risque de se faire expulser.

Passant lascivement la main sur sa chevelure rousse Mireille prend plaisir à regarder tout autour,  laissant ces cristallins rayons incruster son visage évanescent et colorer ses pommettes bien esquissées.

Le chemisier dessine bien  les contours de son buste saillant et ses  motifs floraux en  rose épousent largement  la tonalité de cette peau ocrée.

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