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david-b

Je ne comprends pas pourquoi les gens trouvent l'écriture fascinante. Chaque fois que je dis à quelqu'un que j'écris, on me dit que je dois continuer. Mais pourquoi ? Il y a de multiples manières de s'exprimer, pourquoi l'écriture ? Et à chaque personne à qui je demande cela, elle me dit qu'elle ne sait pas, mais qu'écrire c'est bien.

L'écriture, étrangement, est d'un certain prestige dans l'esprit des gens.

J'en suis venu à me dire, que peut-être, j'avais quelque chose à exprimer. Quelque chose que seule l'écriture peut exprimer, que seuls les mots, la pensée, peuvent dessiner. Mais quoi ? Je n'ai rien à dire. Rien d'autre à dire que les conversations de tous les jours. Que mes pensées divergentes tandis que je regarde un film. Que mes désirs lorsque je regarde une fille.

J'ai un métier, donc je passe peu de temps à écrire, et je n'ai pas besoin de gagner de l'argent à travers l'écriture. Petit, j'écrivais beaucoup, mais avec le temps, ce n'est devenu qu'un simple hobby. Parfois, j'écris, mais c'est plus par ennui, ou par tristesse. Je n'écris que des choses tristes, car lorsque je suis heureux, je suis trop occupé par mon bonheur pour prendre le temps de poser des mots, des mots qui de toute façon ne me servent à rien. On oublie vite le bonheur, de la même manière que l'on passe souvent son temps à s'apitoyer sur ce qui ne va pas, ainsi va l'écriture, en tout cas la mienne. L'écriture mièvre à la Philippe Delerme ne m'a jamais plu.

Écrire n'a aucun sens. Les gens qui me lisent, eh bien ils me lisent, mais qu'ils me disent qu'ils ont apprécié telle ou telle chose dans ce que j'ai écrit, en quoi est-ce que ça m'apporte quelque chose ? De même, je n'ai jamais pu draguer une fille en lui disant que j'écrivais. Écrire fait appartenir à un cercle particulier d'individus que l'on considère en marge de la société. Je n'ai jamais voulu être en marge de la société. Alors peu à peu, j'ai cessé d'écrire.

Pendant un certain temps, j'ai bien essayé, encore, d'écrire un roman, d'exprimer ce qu'il y avait en moi, mais avec l'essor d'Internet, de la musique, du cinéma, je n'ai plus vu le moindre intérêt dans l'écriture. Alors j'ai arrêté.

Avec le temps, j'ai commencé à fréquenter beaucoup de gens. On s'est souvent vu, on a parlé, on a mangé, on a bu, on a partagé des choses inutiles, puis j'ai commencé à oublier ces moments en masse. Par oublier, je devrais plutôt dire négliger. Je n'oublie rien, mais comme je ne me remémore pas assez ces moments-là, ils disparaissent quelque part, je ne sais où, et me reviennent parfois, au détour d'une cigarette, mais très vite, la fumée dissipe tout, et une fois revenu au quotidien, je suis à nouveau quelqu'un de neuf, de vierge, et le présent continue de me transformer.

Puis le présent, peu à peu, m'a usé. Je n'en peux plus. Il y a trop de choses, trop de choses qui sont impossibles à vivre pleinement, rien ne peut être vécu pleinement, car personne ne sait ce que vivre pleinement signifie. Je perds patience. J'ai besoin de plus, mais plus n'est pas de ce monde.

Je revois ses yeux. À cette fille. J'ai envie de plus. Il y a eu plus. Mais ce n'était pas assez. Je ne sais pas ce que je veux. Comme je n'ai jamais su quoi écrire.

C'est une soirée. Je suis bourré. L'adrénaline me pousse à faire quelque chose d'insensé. Je cours. Je cours jusqu'au balcon. Je saute. La route, en bas, est dure. Tout a disparu.

***

Je lui dis : « T'es dingue ou quoi, t'aurais pu crever ! »

Il me regarde, il ne comprend pas. C'est normal, il vient de se réveiller. Je lui dis qu'il n'a pas le droit de nous abandonner. Il me regarde, puis referme les yeux. Je lui donne une claque. Le médecin arrive, me demande cordialement de sortir.

Dehors, l'air est frais, ce n'est que le début du printemps. Le sol est mouillé, et j'espère qu'il ne va pas bientôt pleuvoir, parce que j'ai laissé mon parapluie chez moi. Je ne sais pas quoi faire. Cette histoire me prend la tête.

Diane doit être à l'appart. Je décide de rentrer.

Après avoir baisé, je lui demande qu'est-ce qu'elle aime chez moi. Elle me dit qu'elle aime bien tout, ma manière d'être, moi quoi. Mais ce n'est pas assez, comme explication, je lui dis. Elle me dit que pour elle c'est assez. Je lui dis que je ressens la même chose pour elle, mais il faudrait l'expliquer, non ? Il faudrait l'exprimer ? Ce n'est pas ce qu'a essayé de faire Axel en sautant par-dessus la fenêtre l'autre jour ? Il y a bien quelque chose qui nous démange, qui nous dépasse, non ?

Mouais, sans doute, mais on n'y peut rien.

Je sais que Diane, avant d'être ma copine, était la copine d'Axel. Je me dis que peut-être, c'est un peu pour ça qu'il a sauté. Même s'il ne m'en a jamais parlé, même s'il ne m'a jamais indiqué le moindre reproche, peut-être est-il dégoûté qu'elle l'ait quitté, et qu'elle soit avec moi à présent. Je ne sais pas. Sans doute un peu. Il y a toujours une histoire de fille pour nous faire péter un plomb.

Peut-être ne comprenait-il pas. Peut-être voulait-il l'impressionner en lui jetant ce regard avant de commettre cet acte stupide. Moi, je n'étais pas là, j'étais aux toilettes quand ça s'est passé, en train de pisser tranquillement quand les cris ont surgi depuis le salon. J'ai terminé de pisser, un peu stressé par ce qu'il pouvait s'être passé, et en sortant, j'ai vu tout le monde au balcon, des filles bourrées en train de pleurer alors qu'elles ne savaient même pas ce qu'il venait de se passer. Diane est venue vers moi, m'a raconté. C'était n'importe quoi. On n'avait pourtant rien pris, ce soir-là. Pourquoi il avait fait ça ?

Finalement, plusieurs jours plus tard, il est mort.

Avec Diane, ça a commencé à se compliquer. À chaque fois qu'on était ensemble, on ne pouvait pas s'empêcher de penser à lui. C'était tellement glauque. C'est moi qui ai cassé avec elle, parce que ce n'était plus possible. J'ai arrêté de squatter son appart tous les soirs, pour commencer à réhabiter le mien. Le vide. On sent que plus personne n'habitait là. Maintenant il y a moi. C'est un peu triste quand même.

***

Je n'arrête pas de penser à lui. À cette dernière conversation que l'on a eue, tous les deux. Il m'a demandé si ça avait un sens, ce que l'on faisait. Je lui ai dit que ça répondait à notre désir. Il m'a dit que non. Que quand il me regardait, il voyait plus, mais qu'en même temps, il voyait que je ne ressentais pas ce plus. Je lui ai dit que c'était sa nature. Il m'a demandé si j'avais raconté à Axel qu'on continuait à coucher ensemble. Je lui ai répondu non. Il a souri, puis s'est resservi du vin.

Je sentais bien qu'il était tracassé, mais tout de même, ce qu'il a fait, c'était imprévisible. Je ne pense pas qu'il ait prémédité son acte, mais c'est vrai que parfois, il agit de manière un peu téméraire, et ce soir-là, il a dû avoir cette idée en tête, de vouloir se dépasser, et il s'est dépassé, mais pour aller où ? Quand je l'ai vu les yeux ouverts, à l'hôpital, et qu'il me regardait, j'ai bien senti qu'il n'y était déjà plus. Il y avait de la vie, mais ce n'était plus lui. Un spectre, encore rôdant. Puis son cœur s'est arrêté. Le mien aussi. Je ne sais pas quand est-ce que je serai heureuse à nouveau. Si même je l'ai été un jour.

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