Plus vénéré mort que vivant

Jean Claude Blanc

la mort confère une sacrée dignité, surtout pour les artistes regrettés après avoir passé l'arme à gauche...par chance nous restent les immortels Ferré, Ferrat, Brassens et plus encore poètes de jadis

               Plus vénéré mort que vivant

La politique faisant plus recette

Médias se tournent vers d'autres grosses têtes

Fameux spectacle les enterrements

Des anciennes stars bourrées d'argent

Où leurs proches pour en palper

S'en débarrassent prestement

Bien qu'éplorés de faux semblants

Pourquoi se priver, inespérée

De cette manne tombée du ciel

Issue de la hotte du Père Noël

 

Rien à se mettre sous la dent

Le spectateur en est friand

De corbillards, de croque-mort

Pour ces nababs cousus d'or

Mais pas suivis par leur coffre-fort

 

Vont pas se gêner les héritiers

Pour dépouiller ces macchabées

Qui se charognent pour en goûter

Des droits d'auteur, comme Hallyday

Aux portes du pénitencier

Qui ne reposera jamais en paix

 

Scène de piété à pas louper

Cette théâtrale tragédie

Potes complices, endimanchés

Se congratulent en galanteries

Pour une fois réconciliés

Lunettes noires la larme à l'œil

Suivant en deuil le cercueil

 

S'en font une fête, toutes les chaines

Nous commenter, celui qu'on promène

Maigre cadavre, sans bas de laine

Que ses requins qu'ont l'âme en peine

Les cloches sonnent, pour ceux qu'on aime

Ce qu'elle est courte la vie humaine

Que du blabla, tarte à la crème…

S'entredévorent déjà les hyènes

Qui s'empressent de tirer les rênes

 

Pas invitée concierge du coin

Pour en causer de ce noble défunt

Y'a la télé, pour faire le point

Les cancanières, ne ratent rien

Qu'en même temps préparent le festin

De leurs gamins qui meurent de faim

 

Que d'émotions, de dévotions

Pour ce gâté de moribond

Une pleine page dans Gala

Tracer le portrait pas folichon

Sûr d'en faire ses choux gras

De cette étoile de cinéma

Vue la teneur des commentaires

Ce devait être une lumière

Qui s'est éteinte, pourtant qu'espère

D'être la vedette du cimetière

 

Nous est conté dans les journaux

Qu'il était salement atteint

D'un de ces cancers gros malin

Hélas il est parti trop tôt

Que de regrets et de sanglots

Pour ce monstre sacré héros

Aux seconds rôles, juste gigolo

Pure convenance écrire un mot

Pour ce disparu, peau de chagrin

Que j'ignorais, ignare prolo

Cet anonyme mérite bien

Que je le vante, en son tombeau

Pour que le protège, ses anges gardiens

 

Alors plus qu'un rituel

Le louanger couvert de fleurs

Mais à se creuser la cervelle

Pour lui qui git en sa demeure

M'y recueillir, me fends le cœur

Pour ces virtuoses, ça se respecte

Faut qu'on expose leur squelette

Ne vous dis pas la puanteur

Sachant que l'honneur, n'a pas d'odeur

 

De mon vivant l'affirme tout fort

Propriétaire de mon corps

N'est pas question qu'on me l'encense

Au dernier jour, rempli d'essence

Explosera sans un remord

Nullement film X, l'empire des sens

 

D'abord suis contre de crever

Dans un service hospitalier

Cerné d'infirmières à piquouzes

Aux tenues blanches qui foutent le blues

 

Plutôt finir royalement

Près d'une sirène au cul flambant

A me filer une crise cardiaque

A l'heure rejoindre, par miracle

Déesses du ciel, encore d'attaque

Comme mâle à poils, jamais ne renâcle

 

Modestes obsèques, manquent d'attrait

Pourquoi rendre facile, ce qu'est compliqué

Pour la parade, convoqués

Corps Constitués, et l'Evêché

Juste pour se faire remarquer

Presque à pourrir de vanité

Quant au canné, fermé à clé

Dans une boite, calfeutrée

Scrupuleux en vieil homme sage

Décompte les âges de ces personnages

Plus s'enrichissent, plus ils déclinent

De leurs fières rides sont victimes

Même que s'en lèchent les babines

Leurs fidèles fans qui butinent

Une photo de leur trombine

Là où ils font bien triste mine

Philosophie à moindre frais

Dont je me targue par intérêt

Pour éviter la honte clamser

A petits feux, souffrant le martyr

Me faire cramer, même dur à cuire

Que mes gosses exaucent mes désirs

 

Nombres d'artistes s'en sont allés

Mais les meilleurs les premiers

Desproges, Coluche, Fernand Reynaud

Même charrette Devos pas de pot

Ultime farce de ces railleurs

Comme par hasard oiseaux de malheur

A l'égard des bonimenteurs

De toutes chapelles, ces seigneurs

 

Mais ces moqueurs, intouchables

L'ont pas souhaité, cette fin minable

Que l'évoquant, souvent inquiets

Seule façon de la conjurer

« La mort toujours recommencée »

De Georges Brassens, ce couplet

Lui qui sommeille sous les pins

Bien que parasols, ce coquin

Zieute les baigneuses, aux beaux seins

Car bande encore ce comédien

A faire rougir les calotins

 

Sacré poète perpétuité

Congratulé contre son gré

Tandis que d'autres cherchent la gloire

Mais qu'aux victoires de la chanson

Alors le peuple bonne poire

Faute de mieux, pour pas un rond

Se paye la tronche, d'un canard

Qui se casse la voix, pauvre garçon

Certes modeste son oraison

Mais qui ne marquera pas l'Histoire

 

Maudit Ferré, anarchisant

Plus vénéré, mort que vivant

Se débinent les lettres et la grammaire

Et l'orthographe de nos pères

Vomis ce SLAM et ce RAP

Langage parlé, de petites frappes  

Passée l'époque des libertaires

Qui huaient le pouvoir aux concerts

Sans dieux ni maitres, manquaient pas d'air

 

Pour amadouer les jeunes vauriens

Y'a rien de mieux que les refrains

De ces fantaisistes musicos

Obéissant au genre nouveau

« Nique ta mère » qu'en apparence

Ce Joe Starr, quelle impudence

S'y risquent plus guère en grossièretés

Le lui interdit la censure

Insulte les flics, que pour rigoler

Car ça excitent les ordures

 

Ne fait que mimer cruels instincts

De ces sauvages des cités

Sachant que lui n'est pas crétin

Pas avare de son portemonnaie

Sur ces nigauds, amassent ses gains

 

Pas de ce siècle, me tourmente en vain

C'est le progrès, on n'y peut rien

Venu le temps des assassins

Ceux qui esquintent ces anciens

Poètes Villon et Jean Richepin

Moi-même grognard rabelaisien

Par-dessus le marché épicurien

Dedans mon crâne, ça va plus bien

Mais bon public, mon gentil chien

Que pour mémoire, je me souviens

Fada de Salut les Copains

L'évolution fait son chemin

Plutôt s'inverse, manquant d'entrain

Toujours de mode nous pauvres larbins  JC Blanc septembre 2018

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