Poème des 90 ans
Sébastien Bouffault
Je racontais le beau parcours qui fut le tien :
Ce que tu faisais : pour les autres et pour les tiens.
Bien apprécié, ce long poème a voyagé.
Tu en as fait copie pour ne pas l'abîmer.
Plaisir renouvelé de me soumettre au jeu !
Le défi est corsé, le travail périlleux.
Je ne déroge pas, au risque de moins plaire,
Au fidèle exercice : il y a tant à faire…
Surtout cette année-ci où, âge canonique,
Tu changes de dizaine. Et ta peau des plus lisses
Rappelle des bébés l'épiderme élastique.
Serait-ce que, magie, au fil des ans qui passent,
Tu regagnes en jeunesse, en beauté et en force ?
Serais-tu le premier d'une nouvelle race ?
A trouver la raison, chacun ici s'efforce.
Certains déjà te croient être digne d'un saint.
De quoi alors, dis-moi, serais-tu le patron ?
De l'humour ? Disons que j'en suis presque certain.
Ou bien du temps qu'il fait… Il ferait toujours bon !
Mamie Raymonde aussi, au gré des ans qui filent,
A les yeux bien plus bleus et les cheveux soyeux.
Cette « Mamie Nova » aux si succulentes îles
Flottantes cache en fait un redoutable jeu.
Du salon au jardin, partout dans ses périples,
Elle a ses mots croisés. Et si l'envie un soir,
Vous prend de faire un scrabble : pour sûr, mot compte triple !
Elle gagne toujours avec large victoire !
Le beau bouquet aussi venu droit du Japon
Est toujours aussi vert, dans ce bain de Jouvence.
Je lui souhaite aussi de durer des saisons,
De profiter longtemps du climat de la France.
Tous les deux, mes Aïeux, heureux nonagénaires,
Dans le grand pavillon transformé par tes soins,
Vivez très sagement une vie ordinaire
Tout entourés d'amour et de charmants voisins.
Dans son très grand séjour, Christiane confectionne
Pour les nouveaux bébés d'admirables tricots
Tandis que, cher papi, tout gaiment tu fredonnes
En fermant ses volets un tout nouveau morceau.
Madame Chertuite aussi apprécie beaucoup
Ta précieuse présence et tes humbles services.
Quand vient tomber la nuit, tu l'enfermes d'un coup
Dans sa propre maison, quel étrange sévice !
Je vois à la fenêtre une tête saillante
Scruter en continu, du lever du soleil
Jusqu'au coucher des poules, toute chose intrigante
Et appeler « Henri ! » à chaque instant de veille.
Tout Genouilly, c'est sûr, envie votre santé.
Le docteur est certain, que de nonagénaires,
Vous deviendrez bientôt de jeunes centenaires.
A l'âge où la plupart a perdu la mémoire,
Tu te souviens très bien des dates de l'histoire,
Poèmes berrichons et chansons folkloriques.
Mamie récite aussi leçons de rhétorique,
Des odes de Ronsard, des vers de la Fontaine.
A l'âge où la plupart marche avec grande peine,
Tu te meus très fringant, sautillant quelquefois
Comme un adolescent quand tu es fier de toi.
A l'âge où la plupart derrière leur fenêtre
Regarde dans la rue leur passé disparaître,
Il semble que tu n'aies jamais vraiment cessé
D'œuvrer et travailler : tu n'es pas retraité !
Tu as l'œil qui pétille et un cœur de 20 ans
Quand près de moi tu joues à imiter l'enfant.
Heureux qui comme Henri n'a pas fait de voyage
Mais est toujours resté dans sa maison bien sage.
Je t'envoie cette année, pour un peu d'évasion
Ce sublime voilier venu du Roussillon.
Je le vois naviguer sur les canaux du Cher
Avec toi à son bord et mamie passagère.
Capitaine au long cours, capitaine au grand cœur,
Tu viendrais me rejoindre pourfendant la blancheur
De l'écume marine et le scintillement
Des astres réfléchis. Mamie, habilement,
Dans un large ciré, manœuvrait à la barre,
Esquivant les écueils que le mauvais hasard
A jeté sur les flots. Je vous accueillerais
Les bras grand grand ouverts, et les enfants seraient
Ravis de vous revoir. Mais cela n'est qu'un rêve.
Accostons un moment sur une jolie grève.
Le voyage est fini : voici quatre-vingts vers !
Il me faut maintenant, comme tu sais le faire
Conclure mon poème en une apothéose !
Quatre-vingt-dix années, c'est vraiment quelque chose !
Une dizaine change et tu restes fidèle
A ce que tu étais : un grand-père modèle,
Un papi de génie qui fait tout de ses mains,
Et prend soin de penser toujours au lendemain.
Je te souhaite, papi, pour ton anniversaire
Du bonheur à la pelle, une santé de fer.
Ton petit fils qui t'aime et a fini ses vers.
Sébastien