poésies de MARCELLE DELPASTRE
matthias-desmoulin
Le Poirier
Il est mort, le poirier des petites poires jaunes. Il est mort sec. Jamais n’y remontera la sève. De feuille ni de fleur il n’en reviendra pas.
Je me souviens de l’arbre tel qu’il était. Les branches qui pendaient jusqu’à terre en guirlande de fruits. Les petites poires, je m’en souviens.
À peine changeaient-ils de couleur, il m’en fallait, encore aigres – ils sont doux, pourtant, de chair plus ferme et plus sucrés que les agousts,
les premiers de l’année. Encore quelques jours, ils tombaient en tas, dans le soleil, et le parfum qui en montait !
Les frelons y vrombissaient, tête rouge et corps de miel, les papillons peints comme des émaux, de soie, de ciel – de lune verte.
Ce poirier – ce poirier – quand il me revient en mémoire, j’ai mon enfance au bord des dents, le sang de ma jeunesse sur la langue.
L’arbre Nu
L’arbre qui pèse tant, de toutes ses feuilles, et de la sève profonde, et de son corps dressé, de toutes ses branches, l’arbre s’ouvre au vent aussi léger qu’il soit.
Et doux comme de soie se laissera bercer dans le souffle, comme s’il respirait soi-même.
C’est qu’il faut le voir, l’arbre, dans sa feuille, ses fleurs et ses fruits ! Il faut le voir à maturité dans sa robe de gloire, oui ! - - Mais ne l’avez-vous pas vu, l’arbre nu, dans le froid de l’hiver ?
Son corps se dresse sur le ciel, net et pur. Souffle le vent, il se laissera bercer dans le souffle.
Et toi mon corps, qu’en dis-tu ? Mon corps de chair qui pèse tant, qui te crois si fort, à l’élan de ta prime volée,
qui t’es ouvert à tous les vents de la jeunesse,
maintenant, qu’en dis-tu – au vent d’hiver – de te laisser bercer dans le souffle …
L’arbre Coupé
L’arbre qu’on a coupé se vide de sa sève, et l’homme de son sang,
la source de sa coulée, Vignes, douces vignes, vous donnerez le vin,
et le parfum en montera, du moût nouveau, comme de rose.
Et quelle odeur en montera, du vin nouveau, comme d’un four !
L’eau s’en ira trouver les chemins de la sève. Et tu te sèmeras
graine de l’homme comme un gland, d’un temps à l’autre.
Tu te sèmeras. Tu seras parfum, tu seras le sang, tu seras la sève.
Et la chair de la noix sous la neige d’hiver, le papillon blanc dans son cocon.
Ce que tu fus, tu le seras, Ce que tu es, ce que tu seras
- que tu le croies ou ne le croies pas – d’un seul élan.
Tu seras l’arbre coupé, la branche, tu seras la fontaine et l’étang,
l’herbe, la graine, l’homme vivant – tu portes dans ton cœur la terre avec l’étoile,
et le vent de l’éternité.
L’arbre I
Nous monterons au ciel
pour savoir si le Christ est mûr sur sa croix.
Si, les racines de l’arbre vif,
nous les avons assez arrosées
de sel, de sang, de notre sueur,
du temps qui passe.
Si nous pouvons cueillir la grappe.
Si nous pouvons presser le vin.
Depuis qu’il pleut, depuis qu’il fait soleil,
que notre peau est en est gercée,
que notre cou en est gelé,
de tant de vent, de tant de grêle,
de soleils, de sécheresse, de poussière,
de tant de peines,
que notre langue en est brûlée.
Est-ce qu’il se gonfle, le raisin ?
Est-ce qu’il est mûr, de vin ?
Mais nous, dans le ciel, comment y monter ?
Tu le sais, tu le sais bien,
avec quelle échelle, et le pas qu’il faudra sauter,
si tu ne sais à quelle place.
Ni quand
nous monterons secouer l’arbre avec ses prunes.
La Vie Vivante
Un corps de sève. Un corps de sang. La chair vivante.
Gloire de cette chair qui porte la vie,
gloire de cette chair qui est la vie vivante. De l’âme qui la
tient vivante, gloire et bonheur de la vie !
Je la chante qui danse. Qu’elle bondisse ! qu’elle saute !
Je la chante la chair vivante
et la mort je la chante, c’est la même vie. Il s’en ira, mon corps,
la vie vivante le fera danser.
Où s’en ira mon âme, certes je ne sais pas. Où iras-tu,
Où iras-tu, mon âme ? Vent de poussière, plume de vent …
Au plein cœur de Dieu tu t’en iras, mon âme. Au plein cœur
de l’âme, la vie vivante te fera danser.
La Graine
L’arbre est mûr dans son fruit. L’arbre est mûr dans ses graines.
Regardez-le chargé, l’arbre, dans son aura, de ses fruits, de sa candeur.
La branche ploie, et porte encore. Regardez-le, l’arbre, ivre d’amour !
Tant de graines, et chaque graine peut faire l’arbre, de chacune, il peut monter l’arbre,
pour feuiller, pour croître, pour donner ses graines … il y a dans cet arbre toute une forêt …
Tant de graines – et de chacune peut naître l’arbre, et se faire toute une forêt.
L’arbre secoue sa graine et la jette au vent, et le vent l’emporte – n’importe où, ici ou là … Le rocher, la poussière, l’eau, le chemin, la dent,
la terre tendre, le bec de l’oiseau … Peut être en restera t-il une graine pour faire un arbre
et germer de même.
Mon Feuillage
L’ai-je dit ? Je l’ai dit souvent. Je le redirai.
Je suis l’arbre et le sable. La pierre.
Je n’ai guère fleuri ni porté de fuit. Le feuillage ne me pesait guère.
Et sûrement qu’elle est perdue, la graine de ma race.
Mais ce que j’ai chanté je l’ai chanté. Et ce que j’aurai dit sera dit.
Si je ne l’ai pas labourée, ma terre, je l’ai chantée. Si je l’ai mal fauchée, j’ai parlé de ses fruits.
Pas une herbe au talus que je n’aie respirée, le moindre souffle d’air, j’en ai loué le bruit.
Ma terre, mon pays, la parcelle et le pré, la haie, le taillis.
L’eau, la fontaine, la rigole.
L’étang, le ruisseau, la forêt. L’arbre, sa feuille, l’écorce. La graine, la fleur.
Pays proche, pays lointain. Le fleuve, la source, la mer hauturière. Et la neige, la brume,
le soleil qui se lève et le blé qui fleurit. Les vignes que je n’ai pas vues, et le vin dans la cave,
le vin que je n’ai pas bu. Terre ronde entre les bords du ciel, courbe, vallée,
et la haute montagne et le pays de plaine, et la profonde mer,
terre, t’ai-je chantée ?
Ma terre abandonnée à la sauvagine, les genêts qui t’ont nourrie, les longues ronces –
terre de ce pays – terre de toute la terre, rongée des hommes et des rats, de sel et de colère –
terre qui roule toute seule au ciel comme une lune morte –
et la lune et les étoiles,
qui sont terre semblable, autre terre – et le feu, ce qui éclate, ce qui luit – ce qui hurle dans le silence –
et ce qui ne dit rien – et toi même, homme vivant,
chair tendre, âme droitière –
ne t’ai-je pas chantée, quand même ! Que vous êtes ma voix, ma parole. Et que je suis le sang de votre sang.
Voici mon fruit, voici ma fleur.
Et mon feuillage.
Je l’ai dit. Je l’ai dit souvent. Aussi longtemps que j’aurai un souffle de vie
je le dirai encore.
L’arbre Et La Nuit
Il est debout, l’arbre debout.
Entre son écorce d’arbre, dans ses branches, ses feuilles, dans son bois d’arbre,
le bois noir et l’aubier, le cœur de l’arbre.
Il est debout entre ses bras, la charpente de l’arbre – entre sa barde et sa bouche, ses racines d’arbre – dans sa salive d’arbre et dans sa sève d’arbre.
Et la terre le tient pas les pieds, et la nuit dans ses bras.
- Et la nuit dans ses bras se sent germer des bras à tout son corps de nuit,
des bras, des jambes, et tout un corps de chair, de sang et de chaleur,
d’eau, de sève verte – un souffle, une respiration qui la traverse,
un vent, de part en part, l’haleine d’un corps, dans la ténèbre d’un corps le souffle de l’âme.
L’arbre II
Il y a un arbre dans ma tête, un arbre qui voudrait monter,
qui cherche l’air et le soleil, profondément enraciné dans la terre.
Qui voudrait monter. On a coupé voici longtemps le tronc.
On l’a scié au ras des racines, les vers ont curé la souche.
Il a bourgeonné et rejeté – on l’a taillé et brûlé.
Il bourgeonne, il lance des rejets, il sort encore de la souche.
Le ciel est loin. Loin, la lumière. Et les racines longues
s’en vont plus loin chercher la sève, et la remontent.
Et l’arbre accablé reste là, qui bourgeonne, qui donne ses rejets,
qui fleurit, qui porte ses fruits.
Plus odorante en est la fleur, plus large la feuille –
mais que dire du fruit ! Que dire de ses fruits …
Terre
Certes, j’en ai parlé, de la terre. J’en ai parlé, j’en parlerai.
La terre, pour moi, tout d’abord, c’était cette terre-ci, ma terre, la terre de mon pays.
La terre que je labourais, dont je tirais le rocher, le pré où je gardais les vaches, entre les haies qui montent haut – le hêtre et le noisetier
le cormier et le châtaignier -.
Le sentier où je passais, que je frottais encore un peu.
L’here que j’ai fanée, le foin que j’ai fauché. C’était le ciel de ce pays, les collines à perte de vue entre la brume et les nuages.
Ma maison. La maison de la terre, de pierre, de bois ; le seuil de la maison et la souche entre les landiers.
Le feu, la fontaine et l’air, tout ce qu’il faut pour vivre, ce que j’ai à l’entour de moi. Mais la terre au –delà c’est bien la même terre,
ce que porte la terre, ce que produit la mer, et le même soleil et les soleils d’ailleurs, nuées d’étoiles,
fumée de poussière. Dans les profondeurs du ciel de tous les cieux, quelle que tu sois, poussière,
je te chante la terre, ma terre, ce qui est en haut, ce qui est en bas, dans l’apparence comme dans l’être, je te chanterai toi, l’homme vivant – dans le secret de l’étincelle et dans le cœur de Dieu.
MARCELLE DELPASTRE