Poisson de juin

halpage

Au delà de la réalité, ça déménage !

Quand Péhesse se place devant la glace encrassée  de sa salle de bain, il a déjà revêtu  par le  bas du corps un short trop court, encerclé à la taille par un cordon, et par le haut, un  polo blanc crème à motifs bleus, dont il peine à déchiffrer la sémantique abstraite.
Il se frictionne les dents, de haut en bas de bas en haut,  avec une brosse dont les poils commencent à se  courber vers l'extérieur ; il montre ses dents comme un animal féroce,   pour lesquels des gencives les soutiennent encore,  et pourvu qu'ça dure !
Et il n'est pas loin de se vouloir poser une question existentielle, au vue du personnage qu'il voit devant lui, dans la glace aux mouchées d'éclaboussures, un personnage qui se trouve être lui même  par la chance  d'être né un jour en Juin d'une année bien lointainement antérieure à l'année 2015; C'était une année à Méduses et une année en « dystopie ».
Ce matin là, il se dit que sa main droite est bien occupée à s'agiter, parce que sinon il aurait pu faire en sorte de  demander à son reflet de lever la main droite,  et de répéter après lui, ces mots durs pour celui qui n'est jamais passé, à la  barre, comme un accusé ou un témoin  :   Vous jurez de dire la vérité, toute la Vérité, rien que la Vérité.
Parce que, non, sans blague,  il y aurait à dire sur la Vérité de la Réalité et la réalité de la Vérité, dans son application bijective de l'une à l'autre et devant la glace. Il pense même que, ce qui n'est pas contradictoire avec le fait d'être confondu de ravissement, dans le contrat tacite réalité/vérité,  c'est d'avoir un jour pu écouté,  par exemple,  une chanson de Kate Bush, et interprétée les  jambes sensuellement ouvertes, celle là même de chanson, où elle s'adresse à Heatcliff  le héros des hauts-de-Hurlevent, un personnage, hautement en couleur froide et sur un cheval bien souvent, et de FICTION.

Il pense donc, que l'on peut aller facilement de la réalité à la fiction, et il n'y a qu'un pas et surtout des mots …des mots toujours des mots pour aller au creusé de la réalité.
-Tu connais hitcliff ? ( prononcé tel quel) avait-il posé en question/affirmation  à sa sœur Anne, la veille au soir, lors  qu'elle s'apprêtait à entrer sur le balcon- lui était assis dans le canapé-  pour l'arrosage des plantes au quotidien.
Et  elle, de lui renvoyer  la candeur de son haleine, en lui demandant, derechef et sans lui répondre, quel genre de plante avait poussé comme une fleur dans le bac à coté des aneths, et lui de voir que les aneths avaient bien des ressemblances de corail …
Et Péhesse se leva  pour aller chercher le guide des plantes en couleur, et revint au salon le feuilleter   dans les bleus et les rouges du tranchant …
- Mais attend, elle est comment ta fleur, rouge, bleu ou mauve, violette ?
- ….
Et comme auparavant, il avait mis une galette dans le lecteur de film dont les images allaient commencer à remplir le petit écran de la télé, sise juste en face du canapé, il était dans un entre deux, c'est-à-dire qu'il était déjà dans son film alors qu'il voulait tout de même aider à trouver le nom de la plante ayant poussé par inadvertance dans un coin du  bac, et dont sa sœur Anne attendait peut-être une réponse…
Aussi, il n'arrivait pas à faire correspondre, un dessin coloré d'une plante,   dans le livre plein d'images, avec l'image qu'il avait fixée dans sa rétine de la plante adéquat, en l'ayant  examiné succinctement par la fleur et les feuilles,   à   travers la vitre de la porte fenêtre du salon qui donner sur le balcon…
où tous les plants de tomate cerise en pot commençaient à grimper auprès de leur tuteur respectif.
-Il faut voir comment est, sa corolle, je ne vois pas bien d'ici ! dit –il, le livre en main, L'œil allant de la plante poussant en bac  à la plante ne poussant pas sur le papier …
- je vais la prendre en photo ! Dit- elle.
- Mais Non, c'est pas la peine, faut juste  voir de plus près  comment sont les pétales …

Et ça l'énervait un peu d'avoir à enjamber la porte-fenêtre jusqu'au balcon, ses lunettes sur le nez, pour s'apercevoir finalement qu'il connaissait ce genre de corolle où le pétale inférieur sert de guide piste d'atterrissage à tout insecte polinisateur…ou comme il y pensait à la grosse lèvre pendante d'une image de Rockeur … and Stone.
- ça y ressemble à une orchidée !  Mais alors sauvage, l'orchidée …

- vas-y, regarde ton film,   lui dit-elle.

Et sa sœur Anne continua de faire des recherches sur son portable…et lui, ça l'agaçait, le portable à tout faire. Cependant, le film commençait et les premières images  montraient un homme impeccablement habillé, sans tête sur l'écran, qui déposait un livre sur la table, puis s'en allait vers le fond d'une pièce, et voici qu'un gros plan donna le titre du livre : Words...

Péhesse se tourna vers sa sœur et lui lança, à son passage : «  hey, pas d'orchidée pour miss aneth ! »
  Sa soeur décida, alors, d'aller vers son lit, pour se coucher… ou alors visionner un film sur son propre ordinateur portable, comme elle en avait souvent des films qu'elle avait eu de son  comité d'entreprise, de par de son boulot.
Et d'ailleurs, le film « words », elle l'avait vu et en disait qu'il était à voir. Mais lui, voulait le voir à cause de ça, de ce que ça causait des mots, des livres, des écrivains …et d'un je-ne-sais quoi d'Auster,  et oui Auster, un auteur américain dont il révérait la mise en poupée gigogne de ses histoires.
-Et toi, tu vois quoi comme film, lui avait t-il demandé alors qu'elle regagnait sa chambre fissa.

- Je vais regarder «  gloups ! Je suis un poisson ».
- C'est ti pas un dessin animé ça, il me semble  que …
- Oui oui, queue de poisson dit-elle. Et faisant mine de s'en allait, les mains battant leurs coulpe tout près des côtes de sa cage thoracique…et tout en  gonflant ses joues…
- Ah Ah ! Fis-je, Fait gaffe qu'on ne te prenne au filet !

Ce matin, quand il est devant sa glace, Péhesse s'est bien brossé les dents, et maintenant il se rase avec le rasoir à fil qu'il a sorti de l'armoire, il se rase distraitement les deux millimètres de poils qui ont inéluctablement poussés pendant la nuit. Une fois rasé à la va vite, il se passe au brumisateur en bombe, un peu d'eau sur le visage…puis il sort de la salle de bain…fait quelques pas, hésite ….

Dans le couloir un peu sombre,  il y a la porte fermée qui donne sur chambre de sa sœur… La porte est bel et bien fermée, comme à son habitude ; aussi il voudrait bien y jeter un œil ;  un peu pour se dire avec ravissement, que c'est le « le bordel chez elle »,  et aussi, et surtout, parce qu'  il a toujours un petit doute,  de savoir si elle est bel et bien parti. Car le matin, elle se lève bien avant lui pour partir au boulot.
Et ce matin, comme souvent, il ne l'a pas entendue ;  alors un petit regard dans sa chambre ça le vaut, et  bien qu'il sache qu'elle n'aime pas qu'il y mette son nez …
Là, c'est la grande surprise, dans le lit de sa sœur il voit une grande et visqueuse… quoi !

Une  énorme raie alitée, couverte à moitié par le drap blanc d'écume et la couverture de vagues bleues !        

       

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