Poker Face

Pop Ism

De ses yeux ruisselants perlait une profonde et sincère déception que je recueillis avec l’indifférence méritée. Pareille naïveté ne mérite aucune autre attention. Mais que croyait elle, que je m’attacherais ? Le romantisme et tout son misérabilisme suintaient de ses prunelles azurées dont la blancheur diaphane trahissait le moindre de ses sentiments. Cela revenait à jouer au poker avec des cartes affichant un verso semblable au recto. Poker Production. Deux mois de relations et la voilà qui se répandait avec autant d’éclat qu’un gamin capricieux.  Les clients du café me portaient des regards inquisiteurs dont la trajectoire se heurtait aux verres parfaitement fumés de mes lunettes d’écailles. Tom Ford. Jamais aucun jugement ne parvenait à atteindre cette conscience censée me faire souffrir mais qu’une muraille d’indifférence préservait inlassablement de la moindre contradiction. Je me sentais pourtant dans l’obligation de fournir une quelconque excuse justifiant ma décision ; non par culpabilité mais parce qu’il est toujours utile de préserver ses ex d’un terrible courroux car un ennemi se révèle bien moins utile qu’un ami.

-       Mais cela ne vient pas de toi, je te rassure, tu es quelqu’un de bien Léa. Seulement le moment n’est absolument pas propice. Vois-tu, les études et les analyses de marché accaparent la majeure partie de mon temps. Les Echos.

-       Le majeur parti de ton temps dis-tu. Avant hier soir tu sortais avec les étudiants de ton école sans même me prévenir, me répondit-elle d’une voix déformée par des sanglots contenus.

-       Mais tu aurais détesté l’ambiance. De plus sache que ce type d’évènement annonce les tendances de demain et donc les marques sur lesquelles parier. GQ Magazine. Tu me répétais encore une semaine auparavant ton mépris pour les soirées d’écoles de commerce. Je souhaitais te préserver d’un malaise certain. L’atmosphère est bien différente de celle de ces cafés théâtres que tu affectionnes tant.

-       Et que tu détestes…

-       Je n’irais pas aussi loin mais disons qu’elles ne correspondent pas exactement à ce que j’aime.

Ma réponse provoqua un spasme de rage qui dilua son chagrin humide dans une expression moralisatrice.

-       Mais qu’aimes-tu vraiment Gorgias ? Existe-t-il ne serait-ce qu’une seule chose qui t’intéresses sur cette terre ? Pour une fois sois sincère avec moi.

-       « Pour une fois » répétais-je avec dédain, tout de suite les grands mots. Beaucoup de choses m’intéressent mais…

-       Mais aucune ne te passionne. L’argent. Cofidis. Et ta propre personne seules comptent. Vogue. Tu symbolises tant les excès de notre époque par ton égocentrisme, ton mépris et ta recherche de l’éphémère.

-       C’est faux et tu le sais bien, murmurais-je pour l’entraîner à diminuer son intonation.

-       Bien sur que c’est vrai. Tu m’as bien prise pour une conne. Je ne sais pas ce qui m’afflige le plus : le fait d’avoir été trompée ou le peu de créativité que tu déploies pour mettre fin à notre relation. Ou bien peut-être la culpabilité d’avoir été séduite par un être aussi cynique.

-       Seuls deux types d’êtres peuplent ce monde : ceux ayant lu Machiavel et ceux dont on lit l’éloge funèbre.

-       Tu me fais vraiment de la peine.

-       J’oublierai tes accusions car je les sais inspirées par la colère et l’impulsivité.

Léa me fixa une dernière fois en usant de tout le mépris qu’un être comme moi pouvait susciter, se leva et lâcha avant de partir :

-       Alors n’oublie pas d’oublier ça : va te faire foutre connard.

« Quel langage pour une étudiante en lettre… » Pensai-je avec cynisme en terminant mon expresso d’une traite. Nespresso. J’observais les clients du café m’observer avec défiance du haut de leur prétendue éthique, seule soutenue par la marque de leur pantalon et le logo de leur T-shirt. Modern Amusement. Ces nouveaux moines m’apparaissaient tellement ridicules à essayer de récréer la convivialité mystique d’une abbaye moderne, dans un établissement où l’encens recouvrait l’odeur des produits chimiques, que m’afficher si bien apprêté m’apporta la satisfaction de l’ultime provocation. Mr Propre. Et dans un dernier élan d’arrogant mépris je quittais l’endroit en arborant le sourire d’une divinité consciente de son inaliénable supériorité. La belle et prude Léa croyait que je ne l’avais pas respecté. Faux. La preuve : je m’étais rabaissé à son milieu pour lui délivrer mon message. Nokia.

Enivré par la satisfaction du travail bien fait, je rentrai chez moi pour me préparer car ce soir se déroulait l’une des soirées les plus importantes de l’année scolaire qu’en qualité de président du BDE (Bureau des Etudiants pour ceux n’ayant jamais suivit d’études utiles) je me devais de superviser. Etudiant en 5ème année de finance, je régnais avec fierté sur ma promo, pour ne pas dire sur l’ensemble des élèves. Tout d’abord ma naissance me plaçait parmi les plus riches. Un papa avocat d’affaires et une maman chef d’entreprise ça vous inscrit le business dans le génome, croyez moi. Dès l’âge de 16 ans cette dernière m’initia au fonctionnement des marchés financier lesquels me permettaient de dégager mes premiers bénéfices dès 18 ans. Goldman Sachs. La morale voudrait qu’un tel succès dans l’assouvissement de la vénalité soit puni d’une cicatrice ou d’un champ de furoncles. Mais pas de chance, je suis très beau. Une peau lisse et halée, des yeux d’opales et un visage de chérubin ; ne manquent plus que les ailes pour faire de moi un ange. Je suis donc riche, beau, instruit et bien né. Nous nommons cela l’injustice. Ou le marketing. Bien sur, comme toute personne dotée de telles qualités, je sais parfaitement mener les gens ; et la qualité première d’un manager étant sa capacité à déléguer, je confiai le service de ce soir à quelques premières et secondes années croyant déceler derrière leur volontariat un bénéfice futur. On appelle cela le management. Ou les seconds rôles. Car en qualité de président il me fallait assurer le spectacle et donner l’illusion de l’unité de notre école en serrant toutes les mains présentes en arborant le sourire fourni dans le package.

En attendant je décidai de me faire livrer des sushis et de prendre une douche afin de draper mon corps du halo de fraicheur des eaux de Cologne. Hermès. Ma toilette terminée j’enfilai un pantalon noir et une chemise claire en accord avec cet été finissant, et très important : une cravate parfaitement assortie. Prada. Un costume sans cravate ressemble à un cadeau sans ruban, et ce n’est pas parce que nous sommes jeunes, cools, et entre nous, qu’il faille se négliger. En arrière plan la radio et la télévision se disputaient l’exclusivité de mon écoute qui se contentait de leur bruyante concurrence.

Télé : Le capitalisme financier nuit terriblement à l’économie réelle, elle fausse les valeurs et virtualise les richesses…

Applaudissements du public

Radio :                                           Sell the kids for food

Weather changes moods

Spring is here again

Reproductive glands

Télé : La démocratie ne peut exister qu’avec des marchés libéralisés, mais peut être que le mot liberté vous effraie…

Applaudissements du public 

Radio :                                                     He’s the one

Who likes all our pretty songs

And he likes to sing along

And he likes to shoot his gun

But he knows not what it means

Je m’informais de l’état de mes actions par internet en dégustant mes sushis.

Internet :                                      Euro Stoxx 50 – 0,47%

DOW JONES +0,21%

Nasdaq + 0,35

Nikkei -0,38%

Télé : L’incurable maladie du Romantisme peut nous guérir des maux du Postmodernisme.

Radio : The end has no end ! The end has no end !

Internet : + 3 nouveaux amis.

Télé : 1 pour sauver Chris, 2 pour sauver Paul ou 3 pour Job.

Radio : I can’t get no ! I cant get no ! Satisfaction !

Lorsque je m’aperçu de l’heure, bien plus avancée que je ne le pensais, je décidai de clore l’hystérie bourdonnante du virtuel pour me rendre à celle bien plus éclatante du réel.

Il me fallut presque une heure pour saluer l’épaisse assemblée traversée par les modes de notre époque. Difficile parfois de faire la différence entre une soirée de l’école et un défilé des marques les plus en vogue tant chacun porte son égo en bandoulière. Paraît-il que certains nous nomment la génération sacrifiée ; Si ce club, l’un des plus chics de la ville, s’apparente à notre autel alors nous pouvons nous considérer comme bénis des dieux ! Après avoir inspecté rapidement le bar, salué les premiers arrivants qui ne cessaient de se fondre dans le flux continu des nouveaux, et assuré le minimum de discussion pour satisfaire les exigences mondaines, je rejoignis mes amis assis autour d’une bouteille de vodka. Absolut.

-       Bonsoir Camarades, m’exclamais-je en prenant place sur le canapé en cuir noir.

-       Mais voilà notre aventurier, répliqua Charles déjà ivre mais que ses manières hérités de son ascendance noble, et son nœud papillon, atténuaient. Yves Saint Laurent.

-       Aventurier moi ?

-       Bien sur, reprit Jules, car pour fréquenter le milieu d’une étudiante en fac de lettre il faut vraiment une âme d’aventurier.

-       Oh mais regardez-vous médisants, répondis-je en remplissant mon verre de glace, comme vous êtes peureux. Sachez que ma fortune provient de cette capacité d’anticipation liée à l’esprit d’aventure. Le négliger revient négliger une composante principale du libéralisme. Mais surtout vous manquez de discernement car un jour ou l’autre nous aurons à régenter ces gens là et il s’avère important de savoir comment ils se comportent.

-       Mais monsieur se voit déjà en politique, souligna Charles. PS.

-       Mais bien sur. La politique intègre la quête du pouvoir suprême, je dirais même qu’elle en constitue son aboutissement. Nous appelons cela la république mes amis. La politique demeure l’idéal des ambitieux, ne l’oubliez jamais. UMP.

-       J’ai toujours su que Gorgias avait du sang communiste, plaisanta Jules. PCF.

-       J’ai ancêtre philanthrope du côté paternel, cela doit venir de là. Croix Rouge.

-        Ceci explique cela, conclut Charles.

-       Alors Mr le président du BDE, la soirée se déroule-t-elle comme tu le souhaites.

-       Je nage dans l’autosatisfaction. Des clones de Kate Moss et Pete Doherty un peu partout, de l’alcool à volonté, un étalage de richesse et de beauté comme seuls les clips en exhibent, je ne pouvais rêver mieux, concluais- je en terminant mon verre. Bon je vous laisse, j’ai un titre à honorer. MTV.

-       Et des filles à baiser, murmura-ironiquement Charles. Playboy.

-       J’ai entendu Charles mais sache que ce qui est rare est cher ; or pour qu’une partie de baise avec moi le demeure, je dois rester inaccessible. Je recherche d’autres territoires à présent, de nouveaux langages à découvrir et de nouvelles niches dans lesquelles investir. Investir.fr.

-       D’où ton immersion au sein des étudiants de lettre. Remarque tu connais à présent ceux qui feront grève dans la société que tu dirigeras ! S’amusa Jule.

-       Mais qui t’as dit que je les embaucherai… A tout à l’heure, finis-je par conclure.

La soirée se révélait un vrai succès ; l’esthétisme du club jouait sur un classique, mais saisissant, contraste entre le blanc et le grenat, saupoudrant les lieux d’un parfum de sensualité fort pratique pour stimuler les passions. Starck. Des œuvres contemporaines sublimaient notre esprit de rébellion s’exprimant dans toute sa magnificence dans un déluge d’alcool et de coke. Mao, Coca, Che, Marx ou Armani cohabitaient parfaitement dans nos têtes car toutes se retrouvaient liées par une chose : la célébrité, la quête ultime de chacun. Closer.

Trois heures durant j’honorai ma fonction par une présence déclinée en conversations éphémères, poses photos et brèves apparitions derrière le bar pour soutenir les gentils bénévoles. Certains venaient s’enquérir de mon avis concernant un projet qu’ils avaient en tête afin de montrer aux profs leur activisme et donner l’illusion d’un esprit d’entreprise.  Plus celui-ci semblait voué à l’échec plus mon jugement se révélait positif car dans notre milieu même les égos sont en concurrences et le mien scintillait comme un soleil dans cette constellation de médiocrité. Les gens me prenaient pour l’être le plus social ce qui était faux, je n’en donnais que l’illusion. Célébrités.

Puis, au détour d’une conversation particulièrement superficielle, j’aperçus une silhouette se détacher d’une masse informe aux contours mal définis. Et par la grâce d’un laser, la silhouette se remplit de l’or terne d’une peau trop exposée aux rayons U.V, et par celle de l’imprévu mon attention ne parvint à se détourner de cette apparition intermittente. Nivea. Subjugué, je m’avançai dans sa direction afin de me poster tout près d’elle pour mieux en saisir les atours, et lui indiquer ma présence qu’elle remarqua aussitôt. Ses cheveux lisses d’un noir de cirage contrastaient avec le pastel de ses yeux qui, au contraire de ceux de Léa, abritaient une lueur profondément vicieuse. L’Oréal. De sa tenue bien trop pailletée, sa façon de se mouvoir trop explicite, et son regard trop pornographique, se dégageaient une forme de vulgarité la différenciant presque immédiatement du reste de l’assemblée. Star Academy. Pourtant une force inconnue m’attirait vers elle, me donnait envie de l’enlacer et de la prendre directement sur la piste.  J’accomplis les deux premières mais abandonnai la dernière à l’infini du fantasme. Marc Dorcel. Mes lèvres atteignirent les siennes sans résistance aucune, et le délice d’un fruit trop exposé au soleil les adoucit d’une saveur acidulée. Pas de dialogues inutiles, de conversations stériles censées rendre le désir moins laid en le recouvrant par le vide des mots mais l’assouvissement presque bestial de deux envies s’accordant harmonieusement par la pulsion. NRJ. Nous restâmes presque une heure à nous embrasser sans prêter attention aux regards amusés, envieux ou sarcastiques de mes congénères. Puis elle me quitta pour se rendre au bar sans même m’adresser la parole. Incroyable ! Je lui courus après et lui demandai son prénom. Sa réponse s’inscrivit sur une serviette avec en complément son numéro de téléphone. Orange.

Christelle

0642559875

« Appelle-moi lorsque tu en auras terminé ici. J’habite un peu en dehors du centre ville. »

Je récupérai le précieux support et m’en allait rejoindre mes amis que je n’avais plus vu depuis un bout de temps. Ces derniers profitèrent de mon absence pour attirer trois premières années grâce à l’irrésistible magnétisme d’une bouteille de champagne. Veuve Clicquot. A peine me fus-je assis que Charles s’amusa de moi :

-       Je te savais attiré par les filles extérieures à ton milieu mais à ce stade cela ressemble à l’odyssée d’Homer.

-       Que veux tu dire mon cher ? Le questionnai- je en m’asseyant.

-       Et bien je qualifierais les lèvres sur lesquelles les tiennes se sont endormies une heure durant de profondément vulgaires. Maybelline.

-       Je l’avoue.

-       Et sa tenue reflétait exactement son manque d’élégance, poursuivit-il. H&M.

-       Comment te contredire ?  

-       Mais comment a-t-elle a pu s’incruster dans la soirée ? S’offusqua Jules.

-       Je l’ignore complètement. Tout ce que je sais c’est que sa vulgarité m’a envoûté.

-       Tu nous surprendras toujours Gorgias.

Je prétextai une excursion au bar pour quitter l’assemblée et une fois donnée les dernières directives quant au nettoyage je m’enfuis rejoindre ma cendrillon orpheline d’un prince charmant. Disney. J’indiquai l’adresse à un taxi qui me mena au pied d’un immeuble situé à la frontière entre le centre ville et la périphérie. Son architecture d’inspiration contemporaine contrastait avec l’environnement plutôt dégradé dans lequel pour rien au monde je ne me serai aventuré. Skyrock.

La miss m’attendait dans une nuisette mauve terriblement aguicheuse et me proposa de boire un verre afin de faire semblant d’accorder un peu d’importance à notre rencontre. Elle s’appelait Christelle et travaillait comme serveuse dans un restaurant du centre. Une cliente lui offrit en guise de pourboire un ticket d’entré à la soirée ce qui expliquait son inopportune présence.

Bien qu’ayant avorté les études après le bac, elle possédait une petite collection d’ouvrages littéraires dont les éditions bon marché s’entassaient dans une étagère sans charme. Pocket Publication. Cette simplicité lorgnant du côté du vulgaire, loin de me repousser, attisa mon désir d’encanaillement. Ikea. Une heure plus tard nous terminâmes dans son lit où j’eus le droit à la partie de baise la plus poisseuse et la plus jouissive de toute mon existence. Et ce qui s’annonçait comme une parenthèse, devint longue digression. Durex.

 Annonçons tout de suite la durée de notre liaison : 5 mois. 5 mois de bonheur et de souffrance comme si les deux termes demeuraient auprès d’elle irrémédiablement liés. L’existence nous réserve en permanence une redistribution des cartes afin que les perdants puissent à leur tour goûter au plaisir de l’orgueil, et les gagnants à l’aigreur de la défaite. Dieu, que j’apparente à un dealer, venait au cours de cette période de battre les cartes à mon plus grand désavantage, et, pour la première fois, j’éprouvai l’amère frustration qu’un amour non partagé distille chaque jour.

Tout d’abord je n’aurais pu dresser la liste des éléments m’ayant séduits chez Christelle, et si je l’eus fait, rien de positif ne serait apparu tant les singularités de son être m’apparurent déplaisantes. Dans ce cas comment expliquer que la synthèse de tout ceci produisit une fille parvenant à corrompre mon vœu d’infidélité ? L’infidélité est l’injonction de ce siècle, et l’une des composantes de notre perte. 1 Million de Consommateurs. Pourtant cette fois-ci la fidélité elle-même m’y mena, sans que jamais je ne prenne la mesure de ma chute. Smiles. Car Christelle, de son côté, s’adonnait à toutes sortes de tromperies sans que cela en fussent totalement. Jamais en réalité nous nous entendîmes sur la nature de ce lien qui nous unissait, et de là se créa un malentendu qu’elle s’évertua vicieusement à entretenir pour mieux me contrôler. Notre histoire resta secrète tout le long, mais ce silence, qui pour moi ne représentait en aucune façon une invitation à la tromperie, en prenait tous les attributs dans sa vision étriquée. La jalousie, jusqu’alors entité étrangère, s’empara de mon existence en en devenant la pierre angulaire, injectant en chaque pensée une souffrance délicieuse à laquelle je pris étrangement goût. Des journées et des nuits entières je restai reclus chez moi à attendre ne serait-ce qu’un message, un signe d’attention, des nuits entières à savourer le poison du mépris dans lequel je discernais le plus exquis des défis. Sanofi. Nous ne parlions que très peu en raison d’un déficit flagrant de similitudes ; le sexe seul nous unissait. Pourtant j’essayai de lui enseigner les codes de la bourgeoisie, ses manières, ses rites, l’initier à son raffinement délicat, mais rien n’y fis car en toute circonstance sa grossièreté persistait. Rolex. Nos ascendances nous opposaient, au même titre que nos fréquentations ou nos ambitions ; mais pourtant dans l’intimité d’un restaurant, la chaleur moite d’une boite de nuit ou le refuge moelleux d’un lit je pensais voir se dessiner un chemin à deux voies. Erreur ; la réalité ressemblait plus à un sens unique menant droit au cul de sac. Encore maintenant je me demande ce qui a bien pu m’attirer chez elle. Impossible à expliquer car ce que j’éprouvais conservait une part mystérieuse proche de l’irrationnel, du divin. Ainsi fonctionne le désir humain, sur un large plan d’irrationnel. Les marchés financiers nous en offrent d’ailleurs la plus belle des illustrations. Comment expliquer sinon l’effondrement de l’architecture financière et de mes actions au cours du dernier mois de notre relation ? Lehman Brothers. Je repense maintenant à notre dernière nuit. J’ai merdé c’est vrai.

Alors que nous revenions d’une soirée très arrosée dans un restaurant où elle paya la note, celle-ci me fit une confidence que mon inconscient décida de refouler. Christelle m’avoua l’existence de sa fille. J’étais ivre, je le conçois, mais pas au point d’oublier son aveu dés le lendemain. Pourtant c’est ce qui se passa. S’en était trop pour moi, je ne pouvais m’attacher à une trainée qui à l’âge de 20 ans se fit engrosser par un pauvre type qui fuit sitôt au fait de sa paternité.  Soit je la quittais, soit je niais l’existence de son enfant. Mon inconscient choisit la seconde option.

Mais quand elle s’aperçut de mon oubli je n’eus plus aucune nouvelle, ce qui ne manqua pas de me rendre fou. Une semaine plus tard, isolé dans une ivresse solitaire, une impulsion de rage me transporta jusqu’à chez elle où quelle ne fut pas ma surprise de voir un mec en calçons m’ouvrir la porte. Enfreignant les règles de bienséance je le poussai pour surgir dans le salon où ma dulcinée fumait une cigarette dans sa nuisette mauve toujours plus délavée et pisseuse. Camel. J’éructais, demandais des explications mais la seule que je retenu fut le coup que m’asséna le type au visage. Nike. Je m’effondrai sur le parquet où ma tête se cogna violemment. Il attrapa ensuite ma veste et me traîna jusqu’à l’entrée, avant de me menacer de mort si je ne laissais pas Christelle tranquille. En guise d’adieu il m’envoya un coup de pied dans les côtes. Gisant en sang dans une cage à escalier merdeuse sentant la moisissure, humilié par son infidélité et son mépris, je venais d’entamer une chute. Une longue chute.

 Christelle, deux mois durant, hanta mes pensées sans même m’accorder le répit du sommeil. De plus, durant ces 5 mois, mon investissement au sein de l’école et du BDE ne cessa de se réduire et ses membres, jugeant mes initiatives trop rares, décidèrent à l’unanimité de me virer de la présidence. J’entrevoyais là l’habile manège de mes faux amis se rêvant sur mon trône et qui, au fait de ma relation, profitèrent de cette information pour souiller ma réputation. Twitter. Les profs eux mêmes ne manquèrent pas de me rappeler à mes devoirs. Nous étions en janvier et je devais partir en stage de fin d’étude à New York le mois d’après. NYC. J’aurais pu me battre, contre-attaquer et récupérer mon statut mais je ne le fis même pas pour deux raisons : à cause d’un manque certain d’entrain et parce que je m’en foutais royalement. Facebook.  Je vivais dans l’opacité d’un songe dont la structure filandreuse dessinait des souvenirs éculés mettant en scène une Christelle mystifiée et insaisissable. Proust disait : « tout l’art de vivre c’est de nous servir des personnes qui nous font souffrir et de peupler ainsi nos vies de divinités ». Je comprenais à présent la signification de cette phrase ainsi que la nature étrange de sa relation avec Albertine. Je possédais également mon Albertine, vulgaire et laide, mais que l’infinité sociale voilait d’un châle de mystère la rendant essentiellement envoûtante. En la rencontrant je me sentis attiré par un jeu dont les règles me donnaient perdant dès le début, mais en la fatalité de son issue se nichait tout le charme. Ubisoft. Un combat perdu d’avance, rien de plus beau, de plus esthétique. Mais je me pris tellement au jeu que j’en oubliai d’adopter le recul nécessaire et m’enfonçai dans un mysticisme louant une fausse idole. Là réside la tragédie du cynique : son besoin de souiller le sacré dont la seule entrée finit par ne résider que dans l’affect de la douleur. Voici l’unique moyen de peupler son existence de divinités. Warner.

L’actualité financière devint également la victime de ma négligence, ce qui étiola mon panier de ses plus belles valeurs. Je récupérai à la fin de ma relation une corbeille pleine de produits pourris suite à l’effondrement de Lemhan Brothers. Mais je récupérai surtout une époque en crise, des valeurs périmées, et un vide incroyable. Ernst Young.

Lorsqu’advint le repas trimestriel avec mes parents, ceux-ci ne me reconnurent pas. Ma mère mena le discours tout le long du repas sous le regard sévère de mon père :

-       Gorgias, je ne sais pas ce qui t’arrive. Le stage que nous sommes parvenus à te trouver vient de disparaître en raison de ton manque d’entrain. Je viens de consulter ton portefeuille et il apparaît que tu n’as même pas daigné revendre tes actions au moment où celles-ci s’effondraient. Pire tu avais placé tous tes œufs dans le même panier. Mais que t’arrives-t-il ?

-       Je suis devenu fidèle, lâchai-je avec insolence.

-       Nous avons cru comprendre avec ton père que tu sortais d’une relation difficile mais sache que tu en connaîtras d’autres.  Les gens changent mais les opportunités ne se présentent qu’une seule fois et là tu viens de laisser passer la plus belle de ta vie.  Hors de question que tu te rabattes sur un stage au rabais, tu redoubleras donc ta dernière année. Apec.fr. Heureusement que la directrice est une bonne amie. Tu passeras les deux prochains mois chez ta grand-mère près de la mer. T’isoler te fera du bien. Tu mènes une vie bien trop dissolue ici, prendre l’air de la campagne te fera réfléchir et te préservera des tentations.

Je n’acquiesçai que mollement. A vrai dire l’idée me séduisait alors que toute mon enfance je luttai pour ne pas subir la réclusion d’une grand mère trop rigoureuse et catholique.

La veille de partir je dinai au restaurant avec Charles et Jules qui me dévisageaient comme un inconnu.

-       Honnêtement, tu as sévèrement dérivé ces derniers moi, me lâcha Jules dés notre premier verre commandé. Cette fille t’a réduit plus bas que terre…

-        Les gens ne cessent de se moquer de toi à l’école, de ton infortune, reprit Charles. En plus de cela tu es passé à côté du meilleur stage de la promo. Tout ça pour une simple serveuse, tu dois te ressaisir.

-       Meilleur stage ? Mais lisez les nouvelles ! Tout s’écroule ! L’époque vient d’amorcer un virage inédit. Les valeurs changent et nous appartenons au passé. Notre enseignement vient d’expirer, au même titre que notre mode de vie ! Alors persévérez si vous le souhaitez mais pour moi s’en est fini…

-       Arrête Gorgias. Tu sais parfaitement que le système connaît des crises récurrentes. Mais comme toujours il va s’adapter et retrouver son fonctionnement d’avant. Ce n’est rien d’autre qu’une purge, s’exclama Jules.

-       Nous ne te connaîtrions pas si bien nous pourrions te croire socialiste !

-       Cette fille, aussi vulgaire soit elle, a dévoilé une région inconnue de ma personnalité que je compte bien explorer. Air France.

-       Soit, si ça te fait plaisir. Mais qu’avait-elle de si particulier pour que tu t’y attaches ?

-       Nous ne nous sentions pas obligé de combler le vide par celui de la parole. MSN.

Charles leva alors son verre et lança :

-       Souhaitons que tu nous reviennes régénéré de ce séjour champêtre.

-       Alors je serai différent au point de ne plus me souvenir de vos existences, répondis-je en vidant mon verre d’une traite.

-       Sinon nous t’attendrons au bal de fin d’année qui se déroulera au mois de juin.

L’agencement de la vieille résidence familiale, qui du temps de mon enfance reflétait la rigueur et l’intransigeance périmée d’une bourgeoisie à l’agonie, s’apparenta alors à la stabilité d’une sagesse en voie d’extinction. Les conversations d’une vieille dame crispée sur son passée devinrent à ce moment l’enseignement d’un destin bordé de raison dont la douce mélodie narrait le vécu d’un être d’exception, ma grand-mère. Les longs repas, les discussions autour d’une tasse de thé et d’un cake au pruneau me transportèrent dans un passé lointain où résonnait sous le coup d’émotions fugaces les étés de mon enfance. Fauchon. Je plongeai dans l’œuvre de Proust et les vieilles photos de famille avec la même passion qu’un historien dans les archives d’un temps révolu qui pourtant ne cesse de le hanter. Nikon.

La journée je me promenais le long de la plage désertée de ses visiteurs occasionnels et m’adonnai à la contemplation romantique de ce morceau de nature maintes fois sublimé par les impressionnistes dont la lumière vaporeuse et l’éclat sublimé d’un soleil couchant me rappelaient une toile de Turner. En m’initiant à la solitude je découvris la douce souffrance de la nostalgie et ressentis au bout d’un mois l’irrésistible besoin de succomber à un amour paisible, aussi paisible que la vie de ce village côtier et le constant accompagnement de musique classique hantant les mansardes douillettes. Sony. Je ne recherchais plus la passion et la frénésie de sa quête mais plutôt la sécurité d’une délicieuse habitude. Pendant un mois et demi je vécus reclus du monde jusqu’à ce que l’image de Léa ressurgisse au détour d’un rêve où, au réveil, mon sexe se dressait tel l’aiguille d’une boussole indiquant la direction du désir suprême.

Je lui écrivis donc une longue lettre d’excuse se concluant par une invitation à diner. Elle m’appela quatre jours plus tard et un rendez vous fut fixé au lendemain. Je remerciai donc ma grand-mère pour son hospitalité et rentrai en ville après presque deux mois d’absence. Mercedes.

J’emmenai Léa dans un magnifique restaurant pour marquer le coup mais la grandiloquence du lieu ne l’empêcha nullement de me questionner sur mes intentions :

-       Je ne te comprends pas Gorgias. 7 mois plus tôt tu te jouais de moi et là tu m’écris une lettre sortie d’un roman de Chateaubriand.

-       Disons que j’ai pris conscience de certaines choses. Vois tu je devrais être actuellement à New York à gérer des actifs financiers et à la place je me retrouve en face de toi afin de m’excuser.

-       Tu es quelqu’un d’étrange mais j’accepte tout de même tes excuses si ces dernières font office de repentir.

Nous passâmes une soirée exquise, enlacés dans un romantisme fictif dont l’illusion fonctionnait parfaitement. Néanmoins rien ne se passa ce soir là. Il me fallut attendre une semaine avant de pouvoir renouer avec Léa qui néanmoins abordait ce renouveau avec la méfiance d’un animal craintif. Je ne parlais que très peu et cela me reposa énormément. De même je ne revis pas Charles et Jules dont l’absence satisfit pleinement mon besoin de solitude. Je traînai dans les musés où des heures durant j’observai les toiles de maîtres pour qui l’art ne constituait pas un marché annexe. Louvre. Etrangement, alors que j’abordais le domaine de son savoir et lui montrait une fidélité sans faille, Léa, de son côté, demeurait distante et sur un mois de relation à peine la vis-je deux semaines en cumulant les jours. De nouveau je me désespérais de cette absence traduisant une négligence volontaire à laquelle je refusais une interprétation clairvoyante. De nouveau je me persuadais d’une fidélité dont les indices manquaient cruellement. Ma bulle grossissait jusqu’à éclater une nouvelle fois. Car quelle fut ma surprise lorsque je l’aperçus dans les bras d’un autre alors que je me trouvais sur une terrasse à lire Fitzgerald. Je n’eus même pas la force de me ruer sur elle pour pester contre son infidélité, à elle, jeune fille conçue dans la soie et la dentelle. Qu’une Christelle abuse de moi, soit, mais une Léa non ! Terriblement humilié, je préférai le silence à l’esclandre, trop au fait de ses néfastes conséquences. Elle-même se contenta de mon mutisme qu’elle interpréta comme la marque de sa vengeance.

Le recul, l’introspection, la contemplation, ou encore la solitude ne nous apprennent rien. Alors que je me retrouvais seul sur cette terrasse, oisif et trahit, le pathétisme de la situation dévoila soudain sa triste actualité. La pitié seule fondait à présent ma relation aux autres. Puis j’eus une illumination provoquée par la conclusion suivante : la trahison est la plus formatrice des expériences, et la plus ambitieuse puisqu’elle appelle au plus grand dépassement : la vengeance. La religion catholique nous la présente comme un pêché alors que d’elle ressortent les êtres les plus aguéris. “Les hommes sont naturellement plus portés à se venger d'une injure qu'à reconnaître un bienfait; la reconnaissance leur paraît onéreuse, tandis que la vengeance leur semble utile et douce” prophétisa Machiavel. Cette vérité jamais ne s’altéra au fil des siècles.

La souffrance est la lanterne éclairant notre caverne car de la frustration naît la volonté, le moteur de tout dépassement. Pas de surhomme sans douleur. Le cynisme non issu de la souffrance ressemble à Don Quichotte, mais dés lors que la peine devient son terreau, Achilles devient son étalon.   

Plein de dignité, je réglai ma note, achetai le Financial Time et rentrai chez moi.

Le hasard fait bien les choses, surtout si on le contraint. Alors que je me trouvais dans son restaurant, je rencontrai à nouveau Christelle qui traînait la même moue d’ignorance satisfaite. Celle-ci se montra surprise, et étonnamment heureuse de me voir, ce qui ne m’empêcha nullement de l’ignorer en restant plongé dans ma lecture. Ce mépris ne manqua pas d’attiser sa curiosité et son orgueil d’autant plus hypertrophié qu’il comblait un incroyable manque d’élégance. Au moment de partir, elle s’en alla à ma rencontre pour prendre de mes nouvelles. Je répondis froidement et m’apprêtai à quitter l’établissement quand elle me proposa de boire un verre sitôt son service terminé, ce que j’acceptai.

Je l’emmenai dans son bar favori, une pâle et vulgaire imitation de décoration Rococo, et comme convenu j’adoptai une attitude teintée d’ambigüité laissant transparaître ma rancœur, mais également la possibilité de son dépassement. Mc Donald. Et le miracle s’accomplit : elle attrapa mon visage et m’embrassa doucement, langoureusement, m’adressant un vrai baiser d’amour, aussi sensuel et parfumé que celui ayant si longtemps aguiché mes vieux songes et entretenu mon désespoir. Elle m’expliqua le soir venu, alors que nous nous trouvions dans son lit rempli du parfum de tant d’amants, qu’elle recherchait à présent quelqu’un prêt à accepter l’existence de sa fille qui vivait encore chez ses parents. Shalimar. De là provint le malentendu de notre première union : la belle me testait à cette époque de la même façon que chacun des types qu’elle rencontrait, et j’avais échoué à l’examen final. Heureusement je disposais à présent d’une antisèche me révélant la bonne réponse. Je la rassurai donc en acceptant sa fille et la convainquis par toutes sortes de sophismes de se jeter corps et âme dans mes bras. NRJ.

Un mois durant nous vécûmes une histoire passionnée, pareille à celle dont je rêvai durant ces derniers mois, pleine de complicité et de dévouement mutuel. L’illustration parfaite de l’amour romantique. Gaumont. Pendant ce temps les marchés financiers se remettaient lentement de leur marasme et m’offraient l’occasion d’investir à nouveau dans l’avenir. Le bal de fin d’année de mon école se rapprochait inexorablement et je me devais d’y assister afin de rappeler à tous mon existence. Rotary Club

Voyant Christelle s’offrir chaque jour un peu plus à moi, je décidai de recontacter Lea afin de boire un verre une semaine avant l’événement. Etrangement, alors que j’affichai à nouveau cette distance teintée de cynisme, la douce me dévora de ses yeux de biche blessée. A croire que la repentance, comme sa prétendue moralité, s’apparentait à une parure fièrement exhibée. Rien n’est sincère dans ce monde, l’utilité seule l’est, et pour le reste nous cherchons juste à sauver les apparences. Hugo Boss.  En tant qu’homme de principe, je me contentai de l’embrasser avant de rejoindre mes parents pour les rassurer sur mon avenir. Lentement je reconquérais mon territoire avec la même patience et obstination qu’un joueur de poker ruiné prêt à se refaire. Ne restait plus qu’une grosse part à reprendre : mon honneur.

Puis arriva le grand jour, ou plutôt le grand soir, mon grand soir : le bal de fin d’année. Bien entendu j’invitai Christelle mais prétextai un repas chez mes parents afin de retarder son arrivée à 23h. En réalité je m’y rendis à 21h, accompagné de Léa qui, je le voyais bien, succombait à nouveau au charme nocif de mon mépris. En arrivant, je constatai l’assemblée me scruter d’un œil mi dédaigneux, mi moqueur, mais y répondis par une expression d’indifférence satisfaite si caractéristique de celui que je fus. Charles et Jules, comme toujours installés autour d’une bonne bouteille, ne parvinrent à masquer leur surprise lorsque je m’assis auprès d’eux. Aberlour. Ce dernier fut le premier à lancer la charge :

-       Et bien Gorgias quelle surprise ! Nous te croyions dans le Larzac en train de mettre bas des moutons.

-       Tout de suite les grands mots. Disons que je prenais un peu de distance pour mieux préparer mon retour parmi les loups. KFC.

-       Et de quel côté te situes-tu ? Du côté de la meute ou du troupeau ? Me demanda Charles d’un ton sarcastique.

-       Disons que quel que soit le côté je compte bien en prendre le commandement.

-       Mais je vois que notre ami s’intéresse à nouveau à Machiavel.

-       Bon je passais juste vous saluer, je dois retourner avec Léa. La pauvre m’attend seule au bar.

-       Quant à elle, nous savons déjà quel est son camp. Je ne sais pas ce que tu fais ici en sa compagnie mais tout le monde semble s’en amuser, remarqua Jules.

-       Je repasserai plus tard et vous me raconterez le déroulement de votre merveilleux stage. A tout à l’heure.

Je rejoignis Léa, seule au bar, et lui offris de nombreux verres de martini pour la détendre car le pauvre agneau ressentait la pesante oppression du jugement de la meute. Puis une fois sa raison anesthésiée je l’entraînai sur la piste, au beau milieu de la foule dont ne ressortait que l’éternel éclat de l’or, et y entamai une danse irrésistiblement sensuelle. Mauboussin. Je reçu alors un message de Christelle me prévenant de son imminente arrivée. J’en profitai alors pour embrasser Léa et lui caresser les fesses alors que les enceintes crachaient une pop guimauve. Virgin.

wanna roll with him a hard pair we will be

A little gambling is fun when you're with me I love it)

Russian Roulette is not the same without a gun

And baby when it's love if it's not rough it isn't fun, fun

Oh, oh, oh, oh, ohhhh, ohh-oh-e-ohh-oh-oh

I'll get him hot, show him what I've got

Oh, oh, oh, oh, ohhhh, ohh-oh-e-ohh-oh-oh,

I'll get him hot, show him what I've got

Et l’implacable mécanique se mit en marche pour ma plus grande satisfaction. Christelle fit son entrée dans la boîte où chacun l’observa avec mépris en raison de la vulgarité de son essence. La pauvre me découvrit pour son plus grand désespoir dans les bras d’une autre et ne pu s’empêcher de fondre en larmes, statique, tout près de moi. “Tu n’es qu’une ordure!” hurla-t-elle la gorge nouée par les sanglots avant de fuir sous les regards amusés de mes congénères.

I won't tell you that I love you

Kiss or hug you

Cause I'm bluffin' with my muffin

I'm not lying I'm just stunnin' with my love-glue-gunning

Just like a chick in the casino

Take your bank before I pay you out

I promise this, promise this

Check this hand cause I'm marvelous

La prude Léa eut besoin de quelques minutes avant de réaliser sa place dans l’échiquier de ma vengeance. Partouche. Mon sourire narquois l’y aida beaucoup. Elle essaya de me gifler mais je stoppai sa main avant que celle-ci n’atteigne mes joues roses et parfaitement hydratées. Gillette. Trahie et humiliée, sa sortie provoqua l’hilarité générale.

Dés lors les regards de défiance muèrent en une expression de respect inspirée par la beauté de mon plan, immédiatement compris par chacun. Je retournai donc rejoindre Charles et Jules, qui ne manquèrent rien de la scène et m’accueillirent avec un verre de vodka. “C’est bon de te retrouver!” S’exclamèrent-ils. J’étais au top: séduisant, le teint halé, parfaitement rasé, portant un splendid costume noir, des chaussures vernies, et l’étincelle du vainqueur illuminant mes prunelles. Tommy Hilfiger.    

Puis au moment de l’extase suprême survint le clap, ce fameux clap, le clap de la fin, du dur retour à la réalité. Je vis alors l’assemblée se disperser, mes amis se lever, les spots s’éteindre et les lumières s’allumer. Moi seul restais stoïque à contempler le cours des choses se rompre en essayant de maintenir l’arôme de la victoire. Je demandai alors à Charles la signification de cette interruption brutale.

-       Et bien le tournage est enfin fini! Me répondit-il avec soulagement.

-       Mais de quoi parles-tu? Quel tournage? Le questionnai-je décontenancé.

-       Mais comment ça? Le tournage du spot publicitaire bien sur ! Ca va faire du bien de reprendre sa veritable existence! S’exclama-t-il.

-       Je ne comprends rien là! Nous tournions quelque chose ce soir?

-       Mais ça va? Réveille-toi! Le spot publicitaire, le fameux, le plus grand, celui de 1h30 qui regroupe les plus grandes marques! Mais ceci est fini maintenant, tu peux reprendre ta veritable existence.

Et alors l’évidence surgit du plus profond de ma mémoire: je n’étais que le personnage, protagoniste certes, mais personnage tout de même, du plus long spot publicitaire de l’histoire. 

En ces temps quelques multinationales possédaient la totalité des moyens de production et de distribution des programmes d’information et de divertissement. La publicité, les marques, la mode, la politique, l’économie, l’art, la fiction, ou le réel s’entremêlaient de manière inextricable jusqu’à tisser une toile d’immuables frontières.       

Mais alors surgit une autre question, éternelle celle-ci: qui étais-je?

  • Merci beaucoup Sabine, j'essaie de faire des histoires assez courtes mais percutantes et je suis content qu'elles vous plaisent!

    · Il y a presque 14 ans ·
    Capture d  cran 2010 12 06   14.15.24 orig

    Pop Ism

  • Histoire très sympa Mojo. Super bien écrite. Je me suis régalée du début jusqu'à la fin. Je ne me suis absolument pas ennuyée. La chute est originale et cela m'a inévitablement renvoyé au film Truman Show avec Jim Carrey. Bravo Mojo fine plume.

    · Il y a presque 14 ans ·
    Extraterrestre noir et blanc orig

    bibine-poivron

Signaler ce texte