Portrait 1.

sifoell

Christian est un petit bonhomme de soixante ans, tout nouveau retraité, qui n'a jamais du beaucoup travaillé. Vingt ans de rue et probablement plus d'alcoolisme.

Quand il vient nous rendre visite, je ne peux m'empêcher de sourire. Il se ramène de sa démarche trébuchante, titubante, valsante, marchant comme un cowboy les mains en avant, nous prévenant d'un geste qu'il est un peu... bourré.

Je ne l'ai jamais vu "un peu bourré", et me demande donc ce que cela pourrait être s'il l'était beaucoup.

Il parle de sa rue comme d'une amoureuse, comme d'une maman. "La rue, c'est ma mère et je l'embrasse", nous déclame-t-il parfois avec sa gouaille et sa voix erraillée à trop chanter ou trop gueuler.

Il vient toujours manger au premier service, à midi, et se réfugie dans le coin téléphone sur une chaise, croise loin devant lui ses jambes, croise les bras et s'assoupit, la tête reposant sur le côté. Il reste là quelques heures, impossible de le réveiller. Ses nuits sont difficiles, vaut mieux le laisser dormir sinon il éructe de colère, montre le poing et braille tout ce qu'il peut quelques phrases incompréhensibles, avec cette voix qui n'en est plus une.

Je me demande ce qu'il vient chercher ici, dans ce centre proposant une restauration. C'est aussi une question que je me pose pour chacun des accueillis, ils sont tous tellement différents avec plus ou moins de problèmes et plus ou moins de demandes. Quatre morceaux de pain, quelques copains et de la chaleur humaine, avant de repartir titubant affronter la vie à la rue, choisie et subie.

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