Portrait (d'un en-dehors)
june
D' aventure, le corps serré contre celui de l'autre, dans l'absence, dans l'absurde angoisse d'être terrassés un jour par une bête bien plus grande que celles qui logent à l'intérieur. Les paquets de gens, dans les parkings. Les paquets de gens mal habillés, coiffés à la hâte dans un rétroviseur. Les miettes de gâteaux sur la chemise un peu froissée, et balancer le monde par la fenêtre. Les livres, les voitures, les critiques, les ouvrages ombrageux, la télévision, les briquets, les bouteilles, et tous ces objets dont la modernité nous a pourvus. Embarquer autrui dans le grand voyage de Soi, le nicher sous le bras comme on porterait une serviette roulée pour aller à la plage. Délaisser les abîmes pour le grand soleil, s'exposer sans préambule jusqu'à rougir. Jusqu'à brûler. Observer la vie dans les aquariums, solitude toute calculée. Cheveux roux cramés, nez de boxeur, l'atypique à l'état pur. Toujours en jogging-baskets, une Vogue fichée au coin de la bouche. Il fait du rap. De la poésie pour lui. Il vient de Neuilly. Sa mère est une patineuse artistique de renommée mondiale, son père est médecin. Sa petite sœur reste quant à elle une chieuse de première. À la maison, les pains au chocolat sortent du four, Picasso côtoie Eminem, les Mac se confondent avec la Nintendo 64 dénichée en brocante. Il a planté du basilic et de la menthe sur le balcon. Il trouve que ça coïncide bien avec ses périodes d'insomnie, quand il s'assoit pendant des heures sur sa chaise vert pomme, casque sur les oreilles. Il voit passer de temps à autres un ou deux clochards qui s'arriment de leurs sacs comme des explorateurs. Il les hèle parfois, et descend leur apporter à manger. Il se sent alors comme un camarade, prêt à les suivre dans leur périple, bien conscient toutefois de la différence sociale qui les sépare comme un couperet tomberait sur leurs têtes respectives. Il a tout le dernier cri, toutes les marques. Il mange marques, il s'habille marques mais, à la différence de certains de ses pairs, il pense constamment. Il pense le matin, dans la douche, il pense avant de partir, il cherche sans cesse à décortiquer la matière brute des choses pour en extraire l'essence même. Il ne sait pas si l'humain l'attire en tant que congénère, tant il se sent parfois babouin parmi les babouins. Réduit à sa propre fonction fécale, se gargarisant de ses propres conneries. Il sait que sa grand-mère aurait approuvé ses réflexions d'un hochement de tête concerné, si elle avait eu accès à son cerveau. Et puis elle lui aurait dit de s'aérer la tête, d'aller prendre l'air au lieu de rester tout le temps enfermé. Il est vrai que l'appartement lui faisait vraiment office de château fort. Il aimait arpenter les pièces, tourner et retourner comme un specimen rare qu'on aurait enfermé. Il cherche l'utilité. L'utilité à la nécessité particulière de se mouvoir dans le monde.