Poupée de chair, poupée sans son !
dhalianoir
La lumière volait dans l'espace clos des quatre murs nus. La peinture terne s'écaille parfois et s'éternise aux pieds des meubles. Le parquet luisait sous les rayons faiblards et les lattes déformées laissaient les odeurs de la cuisine s'infiltrer jusqu'au plafond. A l'écart du jour, le lit solitaire recouvert d'une couette accueillait, au creux du matelas grinçant, un corps fou. Fou d'une solitude éperdue. Entre les plis hésitants, deux jambes retenues par des bras frêles et pâles oppressent un peu plus l'air usé, chassé par le souffle calme mais vide.
"Je ne peux plus marcher. Les muscles, les nerfs. Tout cet amas de moi, traîtres détachés. Laissés inertes comme de pauvres pierres taillées, ne servent plus qu'à faire joli. Faire humain pour moi."
Son être s'emmêle dans les fleurs de saule, clarté dégoulinante de ses cheveux. Sa bouche saignée laisse le souffle traverser son corps tel une galerie vide. Elle ouvre les yeux.
"Quel monde est assez cruel pour me laisser voir ? Voir que je ne vais rester qu'une poupée de chiffon. Mes joues, mes yeux, mes jambes, mes bras."
Rien que les mèches de cheveux ne viennent pas recouvrir. Dans un rayon incandescent, elle voit des étoiles s'envoler jusqu'au dans un tourbillon invisible. Ce sont les pas qui vibrent sur les murs. Tel un tic tac d'horloge, les coups montent, cadran inlassable. Au pas de la porte le bruit se stoppe et l'oiseau sort annoncer l'heure.
_Coucou.
Mais l'oiseau ne repart pas, préférant faire grincer les ressorts rouillés du lit. Pas un changement dans la pièce.
"Son parfum vient perforer mes poumons. Ses yeux luisent dans l'ombre mais pas d'une idée. Seulement de vie. J'écarte mes bras et la gravité s'écroule sur moi tout comme moi sur lui. Sans chercher aucun sens, je reste poupée de chiffon."
Deux plaques chaudes retiennent son visage noyé dans les cheveux interminables. Deux lèvres s'écrasent contre les siennes, venant adoucir les battements du cœur écharpé dans sa poitrine.
"Cet organe atrophié qui n'est plus là que pour m'empêcher de tomber du lit tel un livre mal rangé. Il ne réagit plus qu'à ça de toute manière. Il ne bat plus qu'à la douceur qu'il m'offre par instants, celle de la chair embrassant la mienne, du parfum étouffant mon visage, de la caresse explosant de vie, de ta bouche sur la mienne."
Si cette silhouette ne s'écroule pas, c'est que des mains puissantes la retiennent contre un corps immense. Immensément grand à côté de la poupée qu'il serre, immensément fort à côté de du fantôme qui survit, immensément vivant à côté de l'enfant qui s'échappe. Et puis l'éclat du jour percute finalement le pantin, perdu au milieu des bras qui le portent.
"Je ne reste dans cet étau de murs que parce qu'au fond il est fait pour moi... Toi aussi tu es fais pour moi. Si je peux voir le verger par la vieille fenêtre, si je peux sentir le verre ondulé sous mes doigts, si j'entends la mer me rassurer, si je peux goûter aux parcelles d'un été fugace, si je peux oublier mon corps, si je peux me penser voler, si je peux croire en cette journée, si la pluie tombe sans m'effrayer, c'est parce que tu es à mes côtés. C'est parce que toi tu m'aimes un peu chaque jour, que tu ris quand je ris, que tu chantonnes quand je chantonne, que le soir tu viens savoir si je me suis enfuie au pays de Morphée."
Un regard vierge sur la berge.
"Mais la chose qui fait éclater mon amour comme le soleil sur ta peau, c'est de voir que même tes larmes t'accompagnent quand je te souffle que je t'aime."