Pour Arthur

Chris D

Elle : juillet 1999

 Le petit garçon commençait sérieusement à perdre patience. 

-  Lise, quand est-ce que je vais voir le gros poisson !

La jeune fille lança à nouveaux quelques morceaux de pain tout en observant son jeune frère du coin de l’œil.  Afin de s’assurer de ne rien perdre du spectacle, il plissait les yeux, ce qui relevait son petit nez et lui donnait un air encore plus adorable. Il avait les yeux clairs et les cheveux blonds exactement comme maman tandis que Lise avait les yeux marron de papa et les cheveux châtain foncé.

- Je l’ai vu, waouh, Lise regarde ! Il est énorme, comme tu l’avais dit ! Trop fort ! Lise, regarde ! 

Un spécimen gigantesque venait en effet d’attraper goulument un des morceaux et à sa suite, trois autres se montrèrent tout aussi affamés.

En vacances avec leurs parents au bord du lac depuis déjà deux semaines, Lise et Arthur venaient chaque jour au même endroit où ils s’extasiaient devant la grosseur de certains poissons. Ils avaient nommé ce lieu, l’observatoire.

 A seulement 6 ans, Arthur clamait haut et fort que plus tard, il aurait un bateau et parcourrait les océans comme Cousteau alors qu’à 17 ans, Lise n’avait absolument aucune idée de ce qu’elle voudrait faire de sa vie d’adulte.

 -Demain, nous verrons peut-être encore un plus gros ! Allez, viens, je vais te ramener auprès de maman. Il est l’heure !

- Oh, tu dois déjà partir ?

- Oui, ce soir, j’ai une fête avec des amis. Je dois aller me préparer ! Et demain, t’as pas oublié, on rentre à la maison. 

Il fit la grimace ! Lise ressentit un pincement au cœur en le voyant. Pour elle aussi, le départ ne serait pas facile.

 Deux jours auparavant, elle avait rencontré Adrien. Il avait perdu son chien, un labrador noir et en la croisant sur la route, lui avait demandé si elle ne l’avait pas aperçu. Il lui avait souri puis était reparti en courant. Et, le lendemain, elle l’avait revu.

Lise regardait distraitement au sol en marchant lorsqu’un aboiement lui fit lever la tête. Elle reconnut le garçon de la veille. Il promenait le fugitif au bord du lac.

 Elle le vit s’avancer vers elle avec un léger sourire au coin des lèvres.

 - Salut, je te présente Bob. 

- Oh, bien, tu l’as retrouvé !

- Oui, il avait senti un truc dégueulasse à manger derrière un buisson, je te passe les détails ! Il vaut mieux ! Je m’appelle Adrien, je loue une petite maison au bord du lac avec mon cousin et des copains, et toi ?

Lise sentit son estomac se nouer, elle le trouvait hyper mignon. Il était plus grand qu’elle, facilement un mètre quatre-vingt, des yeux bleu gris, une coupe de cheveux assez courte avec un mouvement vers la droite façonné avec apparemment une tonne de gel ! Ses lèvres bien dessinées et pleines affichaient un sourire éclatant et communicatif. Il portait un T-shirt sans manche laissant voir des bras bronzés quelque peu habitués aux pompages du matin !

- Lise, je m’appelle Lise, parvint-elle à articuler.

 - Joli prénom. 

Ils se promenèrent ensemble durant une bonne heure. Ils longèrent le lac, firent un crochet par le bois pour déboucher sur la route principale. A chaque fois que le jeune homme riait, il lui faisait penser à Arthur. Il s’esclaffait comme un enfant ! Lorsqu’un caillou se dressait devant lui, il l’envoyait valser plus loin d’un coup de pied.  Lise se laissa gagner par cette manie et se mit, elle aussi, à malmener certains morceaux de pierre. Elle se sentait bien avec lui, comme s’ils étaient amis depuis longtemps.

- Oh, il faut que je rentre, il se fait tard, se rendit-elle compte en regardant sa montre.

Elle releva les yeux vers lui et sentit ses jambes trembler ! Elle ne voulait pas le quitter, elle voulait le revoir.

- On se refait une ballade demain si tu veux. Moi et Bob, on t’attendra ici. T’es une lève tôt ?

Elle n’en revenait pas, c’était un rêve, incroyable ! Ils allaient se retrouver le lendemain !  

Après une nuit à se retourner dans tous les sens et à penser à lui, Lise se leva avec un mal de crane et une coupe de cheveux à faire peur ! Dans la cuisine, sa mère se servait une tasse de café en baillant tandis qu’Arthur avalait distraitement une cuillerée de céréales en fixant la télé où « Xéna, la guerrière » assénait de violents coups de pied à ses adversaires. En apercevant sa sœur, il s’exclama joyeusement.

- Oh, la tête ! T’as vu l’heure ! T’es déjà debout ? 

En levant son majeur de manière entendue, elle lui tira la langue. Le gamin pouffa de rire en projetant quelques gouttes de lait sur la table ce qui lui valut bien sûr une réprimande ! Lise lui fit un petit clin d’œil complice dans le dos de maman. Celle-ci, bien trop sérieuse et stricte n’avait de cesse de le gronder.

- Arthur, mange proprement ! Et coupe cette idiotie, comment peux-tu regarder une bêtise pareille !

Le visage du garçon se décomposa lorsqu’il éteignit la télévision. Xéna était son héroïne préférée et lui couper la chique de cette façon lui brisait le cœur. Evidence que sa maman ne comprenait pas !

Lise s’interposa de suite.

 - Maman, c’est ma faute, je l’ai fait rire. 

- Là n’est pas la question ! Que fais-tu déjà debout, tu n’es pas bien ? 

Foutu ! Arthur ne pourrait pas voir la suite de l’épisode !

- ça va, c’est juste que ce matin, je vais faire une promenade avec Caro. 

 Petit mensonge, sur la personne ! Pas sur le fond ! Impossible de lui dire qu’elle avait rencontré un mec sublime pour qui son cœur se liquéfiait à chaque parole ! Elle l’aurait séquestrée.

- Jeune fille ! Tu n’as que 17 ans !

 Elle l’entendait déjà dans sa tête ! Oui, le mensonge, obligatoire !

Après une douche rapide, elle lissa ses cheveux et enfila jeans et sweat-shirt.

Lorsqu’elle descendit vers le lac, elle aperçut Bob qui courait sauvagement après une balle. Adrien se retourna au même moment et lui fit de grands signes de la main. Le cœur de Lise se mit à tambouriner dans sa poitrine. Il lui semblait encore plus beau que la veille ! Torse nu sur un jeans, il arborait un bronzage parfait. Elle haussa un sourcil en se disant que les abdos accompagnaient sans aucun doute les pompes ! Arrivée à sa hauteur, elle eut un petit temps d’arrêt. Que devait-elle faire, dire simplement bonjour, l’embrasser sur la joue…. En une seconde, il répondit à sa question en prenant sa main et en y déposant un léger baiser.

- Mademoiselle ! dit-il d’une voix posée. Oh, je suis désolé, c’était trop ringard ! Je ne savais pas comment t’accueillir ! 

Elle lui sourit en rougissant.

 -C’était pareil pour moi ! 

Après une heure de marche et quelques dizaines de lancés de balle, il était temps pour Lise de partir. Elle avait promis à Arthur qu’ils iraient à nouveau à l’observatoire.

Comme pour elle, le départ d’Adrien était prévu pour le lendemain. Aussi, fut-elle soulagée lorsqu’il l’invita.

-  Ce soir, avec mon cousin et quelques copains d’ici, on fait une petite soirée de fin de vacances au bord du lac. On fera même un grand feu ! Tu crois que tu pourrais venir ? 

-  Oui, ce serait génial ! J’espère que ma mère acceptera, je lui dirais que je suis chez ma copine. D’ailleurs, ce matin, tu t’appelles Caro ! 

- Ok, je trouve que ça me va plutôt bien, dit-il en passa la main dans ses cheveux de manière féminine. Ce geste les fit rire tous deux puis, Adrien, en reprenant son sérieux, regarda Lise dans les yeux.

- Je te trouve tellement belle, il faut que je te revoie ce soir.

 Il se pencha légèrement en avant sans la quitter des yeux. Son regard était brulant et Lise sentit que ses jambes allaient la lâcher. Il déposa ses lèvres sur les siennes avec douceur, sans aucune insistance. Puis, se recula légèrement. Lise était à bout de souffle comme après un sprint, elle entrouvrit légèrement la bouche pour reprendre de l’air ; il l’embrassa à nouveau. Elle sentit sa langue lui écarter les lèvres et elle perdit toute raison. Était-elle au bord du lac ou ailleurs ? Plus rien n’existait à part sa bouche, ses lèvres douces et sa langue chaude et humide qui jouait avec délice avec la sienne!   

LUI : JUILLET 1999

Mais où est encore passé ce chien ! Bob n’avait pourtant pas l’habitude de filer à l’anglaise ! Adrien se remit à courir en regardant dans tous les sens.

-  Merde ! Je vais rater le début du match. 

 L’après-midi, son cousin, ses copains et lui avaient prévu de jouer au rugby au bord du lac. C’était bientôt la fin des vacances et ils n’en avaient fait qu’un seul depuis leur arrivée ! Pas question de le rater ! Plus loin, sur la route, il aperçut une fille. Peut-être qu’elle avait vu son crétin de chien, il décida de s’approcher pour le lui demander. Lorsqu’il lui posa la question, elle le regarda avec insistance avant de dire non.

- waouh ! se dit-il. Qu’elle est belle ! Il lui sourit et se remit à courir. Il cherchait quoi encore ? 

Le lendemain, alors qu’il promenait le fuyard, qu’il avait d’ailleurs retrouvé derrière un buisson en train de manger un vieux morceau de boudin blanc complètement moisi ; il l’avait à nouveau croisée. Là, pas question de la laisser filer ! Il avait entamé la conversation avec une boule au ventre et s’était vite rendu compte que le courant passait hyper bien entre eux. Après avoir joué ensemble avec des cailloux et s’être raconté un tas de choses, elle dut partir. Adrien improvisa en lui proposant une autre ballade le lendemain.

Lorsqu’il retourna vers la villa, il se surprit à faire un saut en faisant claquer ses talons. Il n’avait jamais vu une fille aussi belle et en plus, il allait la revoir !

Une demi-heure à l’avance, Adrien attendait déjà Lise au bord du lac. Bob devait certainement sentir sa nervosité car il était excité comme un fou. Il courait après la balle comme un sauvage et ne cessait d’aboyer ! Adrien se retournait sans cesse pour la voir arriver, jusqu’au moment où elle apparut. Il lui fit de grands gestes de la main et se sentit idiot, comme si elle pouvait ne pas le voir avec cet imbécile de chien qui se faisait remarquer ! Elle avait mis un sweat-shirt bleu clair qui la mettait en valeur et ses cheveux étaient parfaitement lisses. Elle avait dû passer une meilleure nuit que lui ! Il s’était retourné sans cesse dans son lit en pensant à elle et avait été obligé de remettre une tonne de gel pour aplatir ses cheveux !

Il lui fit un baise main et se sentit le roi des cons ! Pourtant, elle lui fit un sourire et eut l’air de trouver ça mignon.

Il lui parla de ses études, il était en dernière année de secondaire avec comme option le dessin, sa passion. Sa maman lui disait d’ailleurs qu’il était né avec des mains en or tant il dessinait bien. Elle lui parla de son frère, Arthur et il se rendit compte à quel point elle l’aimait. Depuis qu’ils étaient ici, elle faisait beaucoup d’activités avec lui.

 Puis, ce fut l’heure pour elle de partir. Adrien ne pouvait pas la laisser s’en aller comme ça ! Il devait la revoir ! Ce soir, son cousin avait invité des copains et quelques voisins à faire la fête au bord du lac. Ils avaient prévu de veiller tard pour clôturer les vacances. Adrien invita Lise. Apparemment, sa mère était relativement sévère et elle devrait dire un mensonge pour pouvoir venir. Déjà ce matin, elle avait dû mentir en prétextant rejoindre une amie.

Il eut peur ! Et si sa mère l’empêchait de venir au soir ! Il voulait la revoir, il voulait plus et sur le coup, prit d’un élan, sans réfléchir, il lui avoua :

- Je te trouve tellement belle, il faut que je te revoie ce soir ! 

Puis, en la regardant droit dans les yeux, il l’embrassa doucement et s’écarta. Il vit ses lèvres s’entrouvrir. Ce fut l’invitation qu’il attendait, sa langue trouva le chemin. Elle répondit avidement à son baiser et pour lui, plus rien n’eut d’importance.

ELLE : LA FETE AU BORD DU LAC

En descendant la légère pente qui menait au lac, Lise aperçut directement le feu. Comme tenue, elle avait opté pour une robe légère en coton et un gilet directement posé sur ses épaules. Elle remit quelques mèches de cheveux derrière ses oreilles, respira un grand coup et se décida à avancer. Elle repéra très vite Adrien, il se tenait près du feu en buvant. Lorsqu’il la vit, il courut à sa rencontre.

- Super, tu as pu venir ! J’avais trop peur ! 

- Permission de minuit accordée ! Je passe la soirée avec Caro, on va regarder un film en mangeant des chips ! 

Il lui tendit son gobelet en riant.

 - On a des chips mais je ne pense pas qu’on va regarder un film ! Allez viens, je vais te présenter. 

Il lui montra son cousin, Nico. Lise lui donnait au moins trente ans mais n’osa pas poser la question.

- Ah, s’exclama-t-il. Voilà la belle inconnue pour qui tu chavires !

Il leva son verre en penchant la tête en direction de Lise qui trouva la situation légèrement embarrassante. De toute évidence, Adrien fut aussi mal à l’aise qu’elle, il l’a pris par la main en l’emmenant plus loin. Il tourna la tête en direction de son cousin et s’écria : - Cuve ton vin, poivrot !

Ensuite, il se retourna vers Lise en riant :

- Désolé, sois pas mal à l’aise, c’est un trou du cul ! 

En disant « trou du cul », il s’était un peu retourné et l’avait prononcé beaucoup plus fort pour que l’interpellé l’entende clairement ! Lise pouffa de rire et trouva qu’il avait de la chance de s’entendre aussi bien avec son cousin.

Pendant une bonne heure, ils parlèrent avec quelques jeunes assis près du feu. Ils mangèrent des chips au ketchup en buvant du coca, ce qui finit en un concert de renvois. Adrien se leva et invita Lise à se retirer.

- Viens avec moi, là, ils deviennent vraiment dégoutants ! 

Il prit une couverture et l’emmena loin du groupe.

Ils trouvèrent un petit coin où s’asseoir. Il posa la couverture sur leurs genoux ; en début de soirée, la température commençait à chuter. De cet endroit, la vue sur le lac était imprenable, on pouvait y entendre les grenouilles ainsi que les criquets. En levant la tête, Lise aperçut une chauve-souris voleter juste au-dessus d’eux.

Cette soirée était magique, la plus belle de sa vie !

- J’adore cette vue, j’aimerais qu’Arthur voit ça ! 

Elle se tourna vers Adrien et vit dans son regard que le paysage ne l’intéressait pas vraiment. Il se pencha à son oreille et lui murmura: - J’ai envie de t’embrasser pendant des heures ! 

Il glissa une main dans sa nuque et lui embrassa le cou. Il fit remonter ses lèvres jusqu’à sa bouche qu’il prit avec gourmandise. Lise répondit à son baiser puis s’écarta. Tout en maintenant son regard, elle se coucha à même le sol en une invitation. Adrien fit glisser sa main sous la couverture et effleura sa cuisse. Il fit doucement remonter ses doigts puis interrompant son geste, il chuchota : - Laisse-moi faire. 

Elle fit oui de la tête. Il fit glisser sa lingerie et lui retira. L’esprit de Lise flottait comme dans un voile de coton, était-il possible que ce soit un rêve ?

Il se coucha alors à ses côtés et se remit à l’embrasser. Elle pensa alors qu’elle était à lui et qu’il pouvait absolument lui faire ce qu’il désirait. Lorsqu’il introduisit son doigt dans son intimité, elle ne put réprimer un gémissement. Elle sentait son souffle contre son oreille et se laissa emporter de plaisir.

D’une voix rauque, il lui murmura quelques mots: - Je n’ai jamais… , je voudrais que ce soit avec toi ! 

- Alors, ce sera notre première fois à tous les deux. 

Il releva la tête et lui sourit tendrement. Le moment était parfait, presque irréel. Au loin, près du feu, la fête battait son plein. Mais pour Lise, plus rien n’existait au monde.

LUI : LA FETE AU BORD DU LAC.

Lorsqu’il la vit descendre avec sa petite robe, il la trouva magnifique. Il vint à sa rencontre immédiatement. Bon sang, il avait eu sacrément peur qu’elle ne puisse pas venir !

En la présentant à Nico, il ne s’attendait pas à sa réaction ! Le salaud l’avait vendu, c’est vrai qu’il en pinçait pour elle ! Ensuite, ils avaient discuté avec quelques amis mais Adrien voulait se retrouver seul avec elle aussi quand ses copains avaient commencé à faire leurs renvois, il avait sauté sur l’occasion pour l’emmener plus loin.

 Il l’emmena un peu plus haut, il savait la vue particulièrement belle et voulait  l’épater. En l’embrassant, il se rendit compte que ses mains tremblaient. Jamais il n’avait ressenti ça. Il était bien sorti avec quelques filles mais aucune n’était comme elle. Lorsqu’il la vit se coucher devant lui, il l’a voulait. Il brulait de la toucher, de la découvrir, de se perdre en elle. Il prit alors de l’assurance et après avoir eu son approbation, lui retira son sous-vêtement. Elle était déjà humide pour lui, ce qui accentua son excitation. C’était elle qu’il attendait, c’était une certitude. Il lui avoua n’avoir jamais fait l’amour. Il fut heureux de savoir qu’il serait également son premier. L’instant était parfait, presque irréel !

Ils firent d’abord l’amour avec douceur, cherchant chacun leur rythme. Les mouvements d’Adrien se firent plus pressants, puis plus rapides. Lorsque Lise se mit à gémir de plus en plus fort, il se laissa aller et fut transporté.  Il s’arqua sur elle et le plaisir lui coupa le souffle. A cet instant, leurs regards se croisèrent, ce qui eut pour effet d’accentuer sa jouissance. Au loin, il entendit la fête battre son plein mais pour lui à cet instant, il n’y avait qu’elle, Lise !

ELLE : LE LENDEMAIN

Lise s’éveilla. Au souvenir de la veille, elle se mit à sourire. Ensuite, les larmes se mirent à couler le long de ses joues. Cette soirée avait été magnifique mais aujourd’hui, c’était le jour du départ. Ils avaient fixé de se retrouver ce matin pour se dire au revoir et prévoir un rendez-vous. En discutant ensemble, ils avaient découvert qu’ils habitaient seulement à deux cents kilomètres l’un de l’autre. En prenant chacun le train, ils pourraient ainsi se rejoindre.

Elle se leva et se frotta les yeux en se dirigeant vers la cuisine. Sa mère était affairée à ranger en vue du départ.

- Maman, je vais partir une petite heure dire au revoir à Caro ! 

Sa mère se retourna d’un mouvement surpris.

– Mais que fais-tu là ? Je croyais que tu étais avec ton frère, il m’a dit qu’il allait voir les poissons ! 

Lise fut surprise.

 - Mais non, je dormais ! 

Sa mère se fâcha : - Mais vu que vous y alliez toujours ensemble, j’ai cru que tu étais avec lui ! Vite, conduis-moi à votre observatoire !

Lise ne prit pas la peine d’enfiler ses chaussures ; en pyjama et pantoufles, elles sortirent de la maison et coururent à perdre haleine. Arthur savait pourtant qu’il ne pouvait pas partir seul ! Sur le chemin, une des pantoufles de Lise resta accrochée à une racine. Elles ne s’arrêtèrent pourtant pas. Arthur était seul, elles devaient le retrouver.

Elles arrivèrent  enfin sur le lieu d’observation. Seul le silence les y attendait. En s’affolant, Lise regarda de droite à gauche pendant un temps qui lui parut être une éternité. Seulement alors, elle regarda vers le lac. Et là, elle le vit. A quelques mètres, flottait le corps sans vie d’Arthur, le corps de son petit frère.

Une demi-heure plus tard, les secours l’avaient sorti de l’eau. Un attroupement s’était formé animé par la curiosité.

A genoux dans l’herbe, Lise était inerte. Elle sentait la main d’une personne posée sur son épaule, voyait cette femme bouger les lèvres devant elle mais n’entendait rien. Elle se sentait à peine respirer. Arthur !

Elle voulait sauter dans le lac, laisser l’eau pénétrer ses poumons, mourir pour qu’il puisse revenir à sa place. Au loin, de l’autre côté du lac, elle vit une voiture s’arrêter. Le conducteur en sortit pour rejoindre une personne sur la route, il lui mit son bras par-dessus les épaules, Adrien ! Il l’attendait de l’autre côté. La bouche de Lise s’ouvrit sans qu’aucun son n’arrive à en sortir. Tout ce qui se passait lui semblait totalement irréel. Ils montèrent dans le véhicule qui s’éloigna en longeant les abords du lac. Elle suivit des yeux la voiture jusqu’à ce qu’elle disparaisse de son champ de vision. Adrien venait de partir. Lise se sentit totalement vide. Elle venait de tout perdre.

LUI : LE LENDEMAIN

A son réveil, il sourit. Lise ! Il devait la voir ce matin et ils allaient organiser un prochain rendez-vous! Il se doucha, s’habilla puis fit son sac. Il venait de passer trois semaines de vacances absolument géniales et ces deux derniers jours avaient été idylliques. Il descendit les escaliers d’un pas lourd tout en sifflotant.

- Tu en fais du bruit joli cœur !  Nico empilait les sacs de voyage dans le hall.

En passant à côté de son cousin, Adrien s’écria : - Je suis raide dingue de cette fille ! 

- Eh, ne crie pas comme ça ! J’ai une de ces gueules de bois ! Aide moi plutôt à mettre les derniers sacs dans la voiture, le tien est près? 

Adrien remonta prendre ses affaires et les enfourna dans le coffre.

- Vous avez vite disparu hier soir, bonne soirée… Vous avez…? demanda Nico avec un regard amusé. Adrien lui répondit d’un sourire complice.

- Et ben mon gars, c’est fait ?  Nico partit d’un grand éclat de rire, en prenant son cousin par les épaules, il se mit à le charrier. T’es un homme maintenant ! Tu vas pouvoir charger la voiture tout seul ! Allez charmeur, c’est pas tout ça mais faudrait partir avant que les routes s’encombrent !

- Non, attends, je vais voir Lise. On doit s’arranger. 

- Oui ben, vous vous arrangerez plus tard ! 

- Impossible, je n’ai pas ses coordonnées et je ne sais pas son nom!

 Cette remarque eut pour effet de relancer l’hilarité du cousin.

- Tu ne sais même pas son nom de famille. Allez, cours prendre ton rendez-vous ! Où seras-tu, je passerai te prendre en chemin. 

- Super, merci, je serai sur la route principale du lac. 

 Il se mit à courir et se retourna quelques mètres plus loin, en levant ses bras en l’air, il interpella son cousin en criant :- Nico ! J’suis amoureux ! 

Il l’attendait déjà depuis une petite heure et commençait sérieusement à s’angoisser. Il se mit à shooter dans quelques cailloux. Le temps était pluvieux, un vent léger le fit frissonner si bien qu’il remonta la fermeture de sa veste. Une crainte lui noua la gorge, et si elle ne venait pas. Et si sa mère avait découvert son mensonge de la veille. Et si elle regrettait ce qui s’était passé entre eux et ne voulait pas le revoir. Et si elle n’était pas amoureuse de lui ! Le doute lui noua le ventre et lui donna la nausée.

De l’autre côté du lac, il vit des voitures et un attroupement de personnes. Ce devait être des pêcheurs, certainement un concours qui allait débuter. Il n’aimait pas la pêche, il trouvait ça vicieux pour ces pauvres poissons se balançant à l’hameçon. Il aperçut alors la voiture de Nico qui se gara non loin de lui. Il le vit sortir de la voiture et le regarda d’un air interrogateur.

- Et alors, tu as ton rendez-vous ? 

Adrien ne put retenir ses larmes en balbutiant. 

- Elle n’est pas venue Nico, elle n’est pas venue! 

Son cousin lui passa un bras réconfortant sur les épaules en l’emmenant jusque la voiture. Ils laissèrent le lac derrière eux et Adrien ressentit un vide immense dans son cœur, il sut qu’il ne l’oublierait jamais.

13 ANS PLUS TARD

ELLE : DECEMBRE 2012

En sortant de la boulangerie, Lise frissonna. Elle resserra son manteau et enfila ses gants. La neige recouvrait une bonne partie des trottoirs, elle dut ralentir le pas pour éviter de tomber. Les vitrines présentaient de nombreux articles et décoration, cette ambiance lui importait peu! Il y avait bien des années qu’elle ne fêtait plus Noël. A l’inverse des autres personnes, cette période de l’année la blasait. Elle venait pourtant d’acheter une traditionnelle bûche garnie de copeaux de chocolat et fourrée à la crème fraiche. Impossible de ne pas manger cette merveille ! Arrivée devant la maison familiale, elle tapa ses bottes sur l’épais paillasson puis sonna.

Lise ne passait pas souvent rendre visite à ses parents, mais aujourd’hui passage obligé ! Sa mère lui avait sonné au matin pour l’inviter à diner auprès d’eux.

Son père l’accueillit avec chaleur en lui promettant un rôti juteux à souhait, elle fut contente de le voir et lui trouva bonne mine. En entrant dans la cuisine, elle trouva sa mère penchée au-dessus du four. Ses cheveux, attachés en chignon austère, étaient bien plus gris qu’à sa dernière visite.

-Bonjour, maman. Tu vas bien?

Sa mère lui sourit, c’était bon de la voir.

Attablés tous les trois dans la salle à manger, ils dégustaient le repas. Lise se resservit quelques pommes de terre rissolées qu’elle nappa de sauce.

- Tu as bon appétit, c’est bien! fit remarquer sa mère. Et, tu as coupé tes cheveux. Tu ne les avais jamais eu si courts, je me trompe ? 

En effet, aussi loin que pouvaient remonter ses souvenirs, Lise les avait gardés jusqu’aux épaules. Mais, elle avait eu envie d’un changement. Elle les portait à présent au carré un peu en dessous des oreilles, ce qui était d’ailleurs bien plus pratique à l’entretien.

- ça te va bien, un peu moins féminin peut-être. 

Papa s’empressa aussitôt pour donner son avis.

– Tu es toujours aussi jolie, ma chérie et toujours aussi féminine. 

Il ponctua sa remarque d’un clin d’œil à Lise et d’un regard de coin à son épouse.

Celle-ci, sans porter attention à son mari, continua la conversation.

- Tu as quelqu’un dans ta vie ? Et ce Marc, tu le vois encore ? 

- Maman, ça fait deux ans que je ne le fréquente plus, je te l’ai dit. Je n’ai besoin de personne dans ma vie, j’aime vivre seule.

Elle enfourna une nouvelle bouchée, cette viande était un délice.

- Je l’aimais bien ! Et beau garçon, en plus ! 

- Tu ne l’as vu qu’une seule fois, maman ! 

Sa mère posa sa fourchette en soupirant et ajouta : – Si tu venais plus souvent nous voir, j’aurais pu faire plus amples connaissances avec lui. Ce n’est pas comme si tu habitais à deux heures de route.  Son époux la fit taire en posant la main sur son poignet.

Après avoir débarrassé la table, Lise se mit à faire le tour du salon. Il y avait toujours cette même ambiance chez ses parents, les mêmes meubles, les mêmes bibelots. L’odeur qui y régnait était semblable à celle de son enfance et de son adolescence. Son père s’était assis dans le fauteuil et regardait Julien Lepers présenter « questions pour un champion ! » Même le programme télévisé n’avait pas changé !  Elle se mit à regarder les murs, les nombreuses photos accrochées… Arthur portant un bonnet brun à oreilles d’ours ; Arthur, en peignoir rouge, le visage barbouillé de chocolat ; Arthur, une boule de neige à la main ; Arthur dans le bain, le menton recouvert d’une barbe de mousse… Du bout des doigts, Lise caressa le visage du garçonnet, tellement beau, tellement joyeux. L’angoisse et la peine lui nouèrent la gorge.

 Elle se dirigea vers le vestibule et enfila son manteau. Après avoir placé son sac en bandoulière, elle retourna à la cuisine pour y embrasser sa mère. Celle-ci, interdite, lui souffla :

- Tu t’en vas ? Mais, on n’a pas encore mangé la buche. Tu es là depuis une heure seulement ! 

Sans broncher, Lise continua sur sa lancée et embrassa son père. Il lui fit un sourire tendre accompagné d’un mouvement de tête. Résigné et compréhensif, il savait que les visites de sa fille ne dépassaient jamais l’heure.

 Arrivée devant la porte d’entrée, elle se retourna et parvint à dire: - Je ….. Merci pour le repas. Je repasserai bientôt vous voir. Je dois me sauver.   

Lise sortit et se dirigea vers sa voiture, la rue était déserte et le froid piquant. Elle monta dans le véhicule, mit le contact et accueillit la soufflerie du chauffage sur son visage. Elle se rendit compte qu’il était baigné de larmes, elle n’aurait su dire quand celles-ci s’étaient mises à couler. Devant les photos, en embrassant ses parents, en voyant le regard compatissant de son père… Il lui était impossible de rester plus longtemps dans cette maison. Bien qu’elle fût heureuse de voir ses parents, seules la mélancolie et la tristesse l’emportaient toujours. Le souvenir de son frère y était partout, dans la couleur des yeux de maman, dans leurs regards, sur les murs, dans l’odeur, dans la musique du générique du jeu télévisé… Chaque visite était une torture. Lise démarra, s’engagea sur la nationale et laissa les larmes couler.

LUI : DECEMBRE 2012

Adrien poussa la porte d’entrée de l’ancienne maison de maître et fut soulagé en y sentant la chaleur ambiante. Dehors, il faisait un froid de canard et la neige n’avait cessé de tomber de toute la nuit. Son chien, Carlton, se secoua pour faire tomber les quelques flocons persistants sur son poil.

- Allez viens mon beau, on va se mettre au chaud !

 Le maitre joignit son geste à la parole en caressant affectueusement sa grosse tête. En passant devant le bureau de son associé, Adrien s’arrêta pour le saluer. Il trouva Franck penché avec sérieux sur une maquette. Il y recollait pour la deuxième fois la miniature d’un bouleau récalcitrant.

 Quatre ans auparavant, ils avaient créé ensemble le bureau d’architecte « Lambert & Pontier ». La première année de lancement n’avait pas été très fructueuse mais ensuite, le bouche à oreille avait doucement porté ses fruits. Ils avaient la réputation d’être à l’écoute de leurs clients et de leur apporter la touche personnelle qui faisait la différence. Chaque projet était un défi et chaque maison différente.

- Tu veux un coup de main ! 

Saisi par la voix d’Adrien qu’il n’avait pas entendu entrer, Franck projeta le bouleau qui atterrit au sol. Carlton s’empressa aussitôt de lui régler son compte en le mâchouillant.

Adrien, trouvant la situation comique, partit d’un grand éclat de rire.

- Au moins, t’as plus besoin d’essayer de le faire tenir ! 

- Oh, te marre pas ! Sérieux, ça donnait beaucoup mieux avec cet arbre ! Et, toi, fiche le camp!

 Il  poussa le mastodonte à l’arrière train. Carlton s’en alla près de son maitre en bougeant la queue joyeusement.

- Bien, mon chien, bien. 

Son associé le foudroya du regard.

 – Et en plus, tu l’encourages ! 

Adrien riait toujours en pénétrant dans son bureau, il alluma et se débarrassa de son gros gilet. L’animal alla se vautrer dans son panier et se mit à lécher ses pattes avant. Il restait une heure avant l’arrivée de Monsieur et Madame Carpentier, aussi, Adrien sortit le dossier pour préparer l’entrevue.  A la retraite, le couple désirait une maison spacieuse pour pouvoir y accueillir leurs cinq petits-enfants. La demeure devait être de plein pied et posséder de grands espaces vitrés ainsi qu’une véranda. Il travaillait depuis un mois sur ce projet et se sentait fin prêt à leur montrer les plans. Après avoir déposé le dossier sur la table de réunion, il alla se préparer un chocolat. En sirotant la boisson, il laissa son esprit vagabonder.

Hier soir, il avait passé une soirée fort agréable avec Christelle. Elle lui avait mitonné un délicieux repas, des tortellinis aux  saumons, nappés d’une sauce aux épinards. Ils avaient accompagné leur repas d’un délicieux vin rouge et Adrien, fatigué de sa journée, s’était rapidement senti grisé. Il l’avait trouvée particulièrement séduisante. Avec une pince, elle avait relevé ses cheveux blonds, ce qui accentuait la délicatesse de son cou et mettait en valeur la légère dentelle qui bordait le col de son gilet noir. Ils avaient discuté et ri ensemble. Christelle avait un caractère fort agréable, d’ailleurs après un an de vie commune, leurs disputes pouvaient se compter sur une main.

 Après le repas, elle l’avait regardé d’un air coquin en détachant les deux premiers boutons de son pull. Ensuite, elle s’était levée en marchant vers la chambre et avait relâché la pince qui tenait ses cheveux. Il l’avait rejoint et lui avait fait l’amour avec lenteur. Ensuite ses désirs étaient devenus plus sauvages. Il l’avait pénétrée avec vigueur en donnant à ses coups de rein de plus en plus de force et ensuite avait jouit brutalement en poussant un cri rauque.

Elle s’était endormie très peu de temps après mais Adrien, resté allongé dans la pénombre avait eu du mal à trouver le sommeil. Il aimait sa vie auprès d’elle et trouvait qu’elle était une fille épatante mais souvent, après lui avoir fait l’amour, il était pris de mélancolie et s’interrogeait. Est-ce cela le grand amour ? Était-il normal de se poser cette question ? Serait-il triste de ne plus la voir ? Serait-il anéanti comme après l’été de ses dix-huit ans ?

ELLE

Lise replia le drap et le glissa sous le matelas. Dans la chambre, régnait une douce odeur de vanille mélangée avec subtilité à de la cannelle. Madame Cambier attendait patiemment assise dans le fauteuil que Lise ait terminé de faire son lit. Pensionnaire depuis deux ans dans la maison de repos « les Hirondelles », la septuagénaire était d’une santé précaire. Une attaque cérébrale lui avait laissé des séquelles et il lui était maintenant impossible de vivre seule et de prendre soin d’elle.

Après avoir recouvert le lit du boutis bleu ciel, la jeune femme s’éloigna pour mieux le contempler.

- Votre fille a bien choisi  la couleur, elle s’accorde  parfaitement avec les rideaux ! 

La vieille dame sourit d’un air satisfait et remercia Lise de son travail.

- Oui, c’est beau. Elle l’a trouvé dans une nouvelle boutique du centre- ville.

En entendant son ton de voix et la lenteur qu’elle prit pour prononcer cette simple phrase, Lise sut de suite que la dame devait être bien fatiguée. Aussi, lui proposa-t-elle d’essayer de suite son cadeau.

- Allez, venez l’essayer !  dit-elle en tapotant le lit d’une main.

- Oh oui, je vais faire une petite sieste. J’en ai besoin. 

Après avoir installé la vieille dame, Lise débarrassa la table. En quittant la chambre, elle se retourna et lui souhaita de bien se reposer.

 -  Je viendrai un peu ce soir vous faire la lecture.

Lise travaillait depuis neuf ans comme aide-soignante dans la maison de retraite, elle se sentait bien dans ce travail et aimait prendre soin des personnes âgées. Elle avait déjà vu de nombreux pensionnaires défiler et bien que ce soit vivement déconseillé dans le cadre de son travail, elle s’attachait bien malgré elle à certains d’entre eux. Madame Cambier faisait partie de ceux qu’elle appréciait particulièrement. Certains soirs, Lise restait plus tard et passait lui lire un ou deux chapitres de la série que la vieille dame adorait « twilight ».

Elle hâta le pas, il lui restait pas mal de chambres avant d’avoir terminé le couloir.

 Après avoir fini son tour, elle prit sa pause et fut heureuse de pouvoir déguster un café. Deux infirmières vinrent s’asseoir à la table juste derrière et interrompirent le silence apprécié de la pause de Lise. Leurs rires tintèrent dans le réfectoire jusqu’au moment où l’une d’entre elles se mit à parler à voix basse. Lise fut soulagée de l’accalmie lorsque le nom prononcé par celle-ci attira son attention.

 - Oui, il parait qu’il voit quelqu’un d’ici. Mon amie a vu une femme vêtue d’un uniforme d’aide-soignante sortir de la lingerie puis, mine de rien, trente secondes après, il est sorti avec un air faussement innocent. Si tu vois ce que je veux dire ! Et, tu crois qu’un médecin a quelque chose à faire dans une pièce où on range des draps de lit ! Moi, j’imagine très bien ce qu’il y faisait ! 

- Et ton amie, elle a vu la fille, elle sait qui c’est ? 

Lise déglutit et tourna légèrement la tête pour être sûre de ne pas rater la réponse.

- Non, elle n’a pas fait attention. C’est normal de voir une aide-soignante sortir de là mais c’est quand elle a vu le médecin que son attention a été attirée. Surtout avec l’air qu’il avait ! 

Lise poussa un soupir de soulagement et décida d’écourter sa pause, elle en avait assez entendu ! Elle se leva en espérant paraitre innocente et laissa les deux commères à leurs confidences. Elle avait une petite situation à éclaircir avec Bertrand !

Après son service, Lise se changea dans le vestiaire. Elle y laissa son sac après en avoir extirpé le dernier volume de l’histoire tant aimée par Madame Cambier. En pénétrant dans la chambre, la dame l’attendait déjà assise dans son lit avec son coussin bien coincé dans le dos. A la dernière lecture, elles avaient laissé l’héroïne « Bella » en pleine transformation d’humaine à vampire. Lise était impatiente de connaitre la suite et vu l’air satisfait de la dame, elle n’était pas la seule ! Elle coinça le livre sous un bras et se frotta les mains.

- Allez, allez, à nous les beaux vampires ! 

Elle s’assit dans le fauteuil à côté du lit et vit apparaitre devant ses yeux un magnifique ballotin de pralines.

 - Je vous ai gardé toutes les blanches, dit la vieille dame d’un air complice.

Un des fils de Madame Cambier  lui apportait chaque mois de délicieux petits chocolats et sachant que Lise n’appréciait que les blancs, elle les lui laissait à chaque fois. Elles aimaient toutes deux dire qu’ils étaient sa rémunération pour ses lectures. Après en avoir mangé deux fourrés aux amandes, elle débuta l’histoire. Dès la première phrase, elle se replongea dans l’ambiance unique du livre et savoura le récit. De temps à autre, elle levait son regard vers la vieille dame, pour s’apercevoir que celle-ci buvait chacun de ses mots. Après une heure et demie de lecture, Lise dégusta un autre chocolat. Elles se mirent d’accord pour lire encore quelques pages lorsqu’un léger coup frappé à la porte de la chambre les interrompit. Le docteur Bertrand Chambelier passa sa tête dans l’entrebâillement.

 -Bonsoir, veuillez m’excuser Madame Cambier mais je vais vous enlever Mademoiselle Fonchamp, j’ai besoin d’elle pour une autre patiente. 

Lise regarda le médecin dans les yeux et répondit du tac au tac.

 - Docteur, j’ai terminé mon service depuis déjà deux heures, je suis sûre qu’une de mes collègues de nuit se fera un plaisir pour vous seconder.    

Il eut d’abord l’air surpris mais se ravisa vite et, en prenant un air un rien trop professionnel, il ajouta : - Je vous attends dans deux minutes devant la salle treize, Mademoiselle Fonchamp. 

Sur ces mots, il referma la porte mettant un terme à toute autre protestation.

Madame Cambier réprima un gloussement.

- Il n’y a que douze chambres à cet étage, où se trouve la salle treize ? J’adore ces mystères, si j’avais de l’imagination, je dirais que le beau docteur a le béguin pour vous ! 

Lise se leva et déposa le livre sur la table de nuit, en s’approchant légèrement de la dame âgée, elle lui chuchota d’un air conspirateur : - Et, moi, je dirais que la romance du livre vous monte à la tête ! 

Elle sortit de la chambre et referma délicatement la porte derrière elle. A cette heure tardive, les pensionnaires devaient pour la plupart être déjà endormis. Elle se retourna et regarda Bertrand d’un air furibond. Appuyé sur le mur juste en face de la chambre, il l’attendait. Avec ses cheveux blonds jusqu’aux épaules et ses yeux verts, elle l’avait toujours trouvé séduisant et bel homme mais lorsqu’il la regardait, comme maintenant, avec un regard espiègle, elle le trouvait surtout terriblement sexy. Elle lui tourna le dos en se dirigeant vers le vestiaire.

- Hey, attends-moi ! dit-il en la suivant au trot.  J’avais trop envie de te voir. Tu veux aller dormir chez moi comme ça quand je rentrerai après mon service, je te rejoins et je te … 

Avant même qu’il ait terminé sa phrase, Lise se retourna et mit sa main contre sa bouche.

- Mais, ça va pas ! Tu veux que tout le monde t’entende ! 

Il se dégagea et s’indigna : - Je ne vois personne qui pourrait nous entendre, il est onze heures et les infirmières sont dans le bureau de garde. 

Lise lui replaça sa main sur la bouche et lui répliqua d’un air mécontent.

- Tu te souviens de notre visite dans la lingerie ?  Bertrand bougea doucement sa tête de haut en bas en la regardant avec désir, il dit « oui » tout contre sa peau. En sentant son souffle chaud dans sa main, elle eut envie de lui. De suite, elle se reprit.

- On nous a vus en sortir ! Par chance, l’infirmière n’a pas fait attention et ne m’a pas reconnue mais elle t’a vu en sortir avec un air satisfait, si tu me suis ! 

- Bien sûr que j’étais satisfait. Avec toi, c’est…  Il laissa sa phrase en suspend et fit glisser son regard vers la poitrine de la jeune femme.

- Arrête ça Bertrand, je ne veux plus prendre ce risque. Gardons nos distances, tu veux. 

Elle entra dans le vestiaire pour y récupérer son sac et laissa la porte se refermer sur lui. Une seconde après, la porte claqua à nouveau.

- C’est le vestiaire des femmes, Bertrand, sors ! 

- Ne sois pas ridicule, personne n’y viendra à cette heure ! 

- De toute façon, je prends mon sac et je m’en vais ! Chez moi ! 

Elle se retourna, eut le temps d’attraper son sac  puis sentit le corps de l’homme se plaquer contre le sien.

Bertrand lui susurra : - Ma puce, on est bien ensemble. Pourquoi tu veux sans arrêt te cacher ? On pourrait se montrer tous les deux, être un couple. 

- Entre nous, il n’y a que du sexe. Je te l’ai déjà dit ! 

Elle le sentit appuyer son érection contre ses fesses et l’entendit ajouter : - Oui, mais du bon sexe ! 

 Il s’avança de quelques pas et elle fut bientôt acculée contre l’armoire. D’une main, il lui attrapa les cheveux et l’obligea légèrement à mettre la tête en arrière. Elle le sentit faire un va et vient du bassin de plus en plus appuyé et sa respiration s’accéléra.

- Laisse-moi te faire l’amour, Lise. Tu me rends dingue.

 Il lui lâcha les cheveux et lui embrassa le cou. Il se pencha et fit remonter le bout de ses doigts sous sa jupe. Elle portait des bas de laine s’arrêtant juste au-dessus du genou.

- Laisse-moi te faire jouir, j’aime t’entendre. 

 Il glissa les doigts sous sa lingerie et palpa les replis de son sexe. Elle ressentit le désir l’envahir toute entière et écarta les jambes afin de lui faciliter la tâche. Il la pénétra de deux doigts et les bougea de manière rapide. Bertrand aimait le sexe direct et sans trop de préliminaires, ce qui lui convenait parfaitement. Avec l’index de son autre main, il commençait doucement à la faire venir, elle haletait de plus en plus fort et l’orgasme la prit de manière violente. Elle plaqua ses mains sur l’armoire et gémit en tremblant. A cet instant, des voix se rapprochèrent du vestiaire et elle paniqua.

- Stop, arrête ! Elle le repoussa tout en remettant de l’ordre à ses vêtements. Ils restèrent silencieux quelques secondes et les voix s’éloignèrent.

- Là, on l’a échappé belle ! dit-il en riant.

- Non, Bertrand, c’est pas marrant. On ne peut pas continuer comme ça. 

- D’accord, à partir de maintenant, on ne se verra plus que chez moi et puis, tu pourrais prendre gout à mon appartement et envisager de … . Elle lui fit non de la tête.

- Essaie Lise, je commence sérieusement à plus savoir me passer de toi. 

Elle lui caressa la joue tendrement.

 - On arrête là. 

Elle reprit son sac et se dirigea vers la porte lorsque Bertrand l’interpella.

- Je ne comprends pas, Lise. Qu’est-ce j’ai fait ? 

- Tu n’as rien fait, rien n’est de ta faute. Je ne peux pas m’engager, je ne veux pas m’engager. 

Elle quitta le local en le laissant.

LUI

La cérémonie débutait dans une heure et Adrien se démenait toujours avec son nœud de cravate. A cet instant, Christelle entra dans la chambre. Elle se mit face à lui et écarta ses mains. - Laisse-moi faire, je faisais toujours ceux de mon grand frère. J’ai une certaine habitude !

 Il la trouva éblouissante, elle portait une robe légère de soie beige avec de fines brides brodées. Ses cheveux étaient relevés à plusieurs endroits par des pinces et quelques mèches retombaient astucieusement autour de son visage.

- Tu es une demoiselle d’honneur absolument magnifique ! C’est pas correct, on ne va même pas remarquer la mariée ! 

- Tu n’es pas mal non plus ! D’ailleurs, il ne nous reste pas un petit peu de temps pour que je puisse profiter du garçon d’honneur !

  Juste après le mariage, ils furent emmenés dans un jardin pour la séance de photos traditionnelle. Le marié invita Adrien et son témoin à faire quelques photos ensemble pendant que Christelle faisait de même avec la mariée. L’heureux mari prit Adrien par les épaules et ils posèrent solennellement.

- Alors, c’est quand pour vous deux ? 

Adrien prit de court, regarda son ami avec perplexité. Celui-ci attrapa Adrien par le bras et s’expliqua : - Christelle a dit à Louise qu’elle rêvait mariage et qu’elle attendait ta demande. Moi, je t’ai rien dit, évidemment ! Me vends pas sinon, je vais me faire tuer ! 

Adrien prit congé en prétextant ne pas aimer être pris en photo aussi longtemps, il avait en réalité envie d’un bon verre ! Il se rendit au bar et commanda une boisson alcoolisée agrémentée de jus d’orange. Après l’avoir bue, il se sentait déjà mieux. Christelle voulait qu’il la demande en mariage, il ne s’y attendait pas du tout et n’avait d’ailleurs jamais pensé au mariage. Il ressentit une bouffée de chaleur. N’était-ce pas dû à une certaine angoisse ? Epouser Christelle, le voulait-il ?

Le lendemain matin, Adrien eut quelques difficultés à se lever. Il émergea du lit à 11 heures trente et trouva Christelle occupée sur l’ordinateur.

- Alors, on bien fêté hier soir, il me semble. 

 Elle le regarda tendrement et lui sourit.

- J’ai mal à la tête, je vais me faire un café. 

- Ton cousin a appelé, pour ce soir.  Ils nous attendent à sept heures.

- Oh, c’est tard ! J’aurai faim avant, moi ! 

- Oh, le grincheux !

  Elle se leva et se dirigea vers lui pour l’enlacer, il s’écarta.

- Laisse-moi, j’ai besoin de calme. 

 D’un air frustré, la jeune femme le laissa passer, il se dirigea vers la machine à café. Pendant que celle-ci chauffait, il se fit dissoudre un médicament contre la douleur tout en maintenant son front d’une main.

- Julie a eu quelques contractions hier soir, son gynécologue la reçoit fin d’après-midi pour vérifier. Tu avoueras que c’est une bonne raison pour retarder le souper d’une heure, non ? 

Adrien retira la main de son front  et s’inquiéta : -C’est trop tôt, elle n’est enceinte que de six mois ! 

- C’est pour ça que le médecin veut la voir au plus vite. D’après lui, la cause pourrait être la fatigue ou le surmenage. 

Julie, l’épouse de Nico, attendait leur deuxième enfant. Quatre ans auparavant, ils avaient eu un fils, Rémy. Et, pour leur plus grand plaisir, le suivant allait encore être un garçon. Enseignante dans une école pour sourds et muets, la jeune maman avait des journées bien remplies, pour ne pas dire harassantes parfois.

Adrien but son médicament d’une traite et fit la grimace.

- Ce n’est pas un travail pour une femme enceinte ! Elle devrait rester chez elle ! 

- Eh, elle n’est pas malade, elle est enceinte, répondit Julie sur la défensive.

- Oui, ben moi, ma femme, elle arrêterait le travail ! 

Christelle se leva de sa chaise et le toisa : - Je te rappelle que je n’ai pas de travail, à moins que tu ne parles pas de moi vu que je ne suis pas ta femme !

Adrien se fâcha : - Prends pas tout au pied de la lettre, c’est agaçant ! C’est pas de toi qu’on parle, là. C’est de la femme de mon cousin. 

-Et si je voulais parler de moi, Adrien ! Tu as dit, ma femme ! La phrase correcte aurait été, TU arrêterais le travail ! Et si j’étais enceinte ?  Elle ponctua sa phrase en se touchant le ventre.

Adrien resta figé. La bouche ouverte, il ne savait quoi répondre. Il oublia son mal de crane et son café.

- Rassure-toi, je ne le suis pas ! lui dit-elle d’un ton désagréable.

- Oh, tu…  Adrien eut de suite l’air soulagé, ce qui eut pour effet de rendre Christelle folle de rage.

- Oui, tranquillise-toi, ce n’était qu’une simple question. Que les choses soient bien claires entre nous, je ne porte pas ton enfant, ce qui de toute évidence te ravit et je ne suis pas ta femme puisque tu ne m’as jamais demandé de l’être ! 

Adrien resta ébahi et sans voix face à la réaction de Christelle.

Après cinq secondes à la regarder, il bredouilla : - Christelle, je …. 

La jeune femme leva la main en signe de capitulation.

 - Je vais dans mon bain, laisse-moi tranquille. 

Il la laissa s’éloigner. Il aurait voulu la rattraper et pouvoir la consoler mais, il savait qu’il ne dirait pas les mots qu’elle voulait entendre.

Ils arrivèrent chez Nico et Julie à dix-neuf heures et dix minutes. L’homme de maison les accueillit à la porte d’un air ravi. Après les avoir embrassés chaleureusement, il les invita à rejoindre le salon. En les voyant entrer, Rémy courut dans les bras d’Adrien. 

- Parrain ! Tu es là !  Il serra l’enfant dans ses bras et lui fit un énorme bisou dans le cou. Le garçonnet gigota en gloussant de plaisir. Julie, assise dans le fauteuil, savourait le spectacle. Adrien savait toujours faire rire son filleul et lui apportait beaucoup attention. Après trois autres bisous et une séance de chatouilles, il salua enfin la future mère !

- Comment vas-tu ? Et le bébé ? s’inquiéta-t-il.

- Bien, il va bien. Je dois juste me reposer et éviter de marcher trop longtemps. Je dois arrêter de travailler. Prendre soin de moi, m’a dit le docteur ! 

- Bien, c’est mieux ainsi. Tes journées devaient t’épuiser.

  Il croisa le regard de Christelle qui détourna immédiatement les yeux d’un air irrité. Nico regarda Adrien en plissant les yeux, le malaise entre eux ne lui avait pas échappé !

Ils mangèrent en discutant de choses et d’autres et la conversation fut menée principalement par les hommes. Julie, fatiguée, restait relativement silencieuse et préférait écouter. Quant à Christelle, elle demeurait dans un mutisme qui ne lui ressemblait pas. Les seules fois où elle ouvrit la bouche furent pour Rémy, qui avait toujours le don de faire craquer tout le monde. La télévision fonctionnait en bruit de fond sans que personne n’y accorde d’attention. Jusqu’au moment où Julie demanda à son mari pour qu’il change de chaine.

 - Mon cœur, s’il-te-plait, tu sais me changer ça. Je n’ai vraiment pas envie d’entendre parler de ce sujet. 

Adrien, qui tournait le dos à l’écran, se retourna pour y jeter un coup d’œil. Il reconnut instantanément la route du bord du lac.

 - Attends Nico, ne coupe pas ! C’est l’endroit de nos vacances ! Monte le son ! 

 Nico, qui avait également reconnu le lieu, s’avança en montant le volume.

- Oui, bon sang, c’est vrai ! Je reconnais le lac ! 

Malheureusement, le reportage était des plus sinistres.

Une journaliste, filmée au bord de l’eau, racontait les faits qui s’y étaient déroulés la veille. 

« Le corps de Laetitia, deux ans, a été repêché sans vie hier à huit heures du matin. La fillette ayant échappé à la vue de ses parents, a apparemment glissé d’une des rives du lac. Les pluies avaient rendu l’endroit extrêmement glissant. Ce drame alimente l’histoire déjà malheureuse de ce lac qui pourrait bien souffrir d’une diminution du nombre de touristes pour les prochaines années. » 

Nico s’indigna de cette remarque.

 - Mais on s’en fout du pognon qu’ils vont perdre, on parle d’une gamine là ! 

Adrien se leva d’un coup de table en montrant la télé du doigt, il sentit une boule lui nouer le ventre et s’écria : - Nico, regarde ! 

 La présentatrice continuait de parler et des rétrospectives s’affichaient à l’écran en même temps que la photo d’un jeune garçon.

« Rappelez-vous de juillet 1999, Arthur Fonchamp y avait également perdu la vie, laissant ses parents ainsi que sa sœur complètement désespérés. »

Les pensées d’Adrien défilaient à deux cents à l’heure dans son esprit. Arthur, ce ne pouvait être une coïncidence. Nico regarda Adrien et sut que son cousin pensait exactement à la même chose que lui. L’ancien reportage du drame montra soudain les abords du lac. On y vit le personnel médical, à leurs côtés, les parents pleurant dans les bras l’un de l’autre et plus loin, sur la rive, à genoux, sans mouvement, une jeune fille.

Adrien se rassit et se sentit complètement paralysé. Christelle voyant son émoi, se mit à genoux devant lui et prit ses mains dans les siennes.

- Tes mains tremblent, Adrien. Qu’est-ce-qui se passe ? 

Nico s’approcha et lui mit une main sur l’épaule. Lui aussi, avait l’air bouleversé.

- Adrien, c’était elle ?  

- Oui ! Nico, c’était elle, tu te rends compte. Elle a perdu son petit frère. 

Il avait les yeux remplis de larmes et semblait totalement désespéré.

- Je suis parti comme un imbécile. J’ai cru qu’elle ne voulait plus me voir et pendant ce temps, elle vivait un enfer !

Christelle interrogea Nico du regard :-De qui parle-t-il, je ne comprends pas ! 

Le cousin d’Adrien lui expliqua en quelques mots la situation. 

- L’été de ses dix-huit ans, il a rencontré une fille. Juste avant le départ, ils n’ont pas pu se voir. Après cette histoire, il a eu une passe très difficile et maintenant, voilà, on comprend pourquoi elle n’a pas pu le rejoindre. Son frère venait de mourir, c’est horrible ! 

Elle prit le visage d’Adrien entre ses mains et tenta vainement de le rassurer.

- Tu ne pouvais pas savoir. 

Adrien secoua lentement la tête. Il était bouleversé.

- Je n’aurais jamais dû partir. Si seulement, j’étais resté ! Lise… !

Il releva la tête et regarda Christelle. Jamais elle ne lui avait vu un tel regard.

Ils décidèrent d’écourter la soirée et de rentrer directement chez eux. Sur le chemin du retour, Adrien ne parla pas. La jeune femme comprit son besoin de silence.

ELLE

Lise terminait sa garde à vingt heures. Elle se changea rapidement puis descendit à la cafétéria. Elle y choisit un sandwich jambon beurre et prit de l’eau pétillante. Chargée de son repas, elle remonta à l’étage vers la chambre de Madame Cambier. Après un coup léger à la porte, elle entra. La septuagénaire l’attendait.

- Mais, vous n’avez pas encore mangé ! Allez, asseyez-vous près de moi, à la table. 

- J’ai eu une soirée chargée, je préférais attendre et prendre mon repas calmement près de vous. 

La vieille dame lui sourit en se réjouissant.

- Et après, on continue l’histoire! ça ne vous dérange pas si je continue à regarder la télévision pendant que vous mangez ? 

Lise s’assit et se débarrassa de son pull.

- Je vais regarder avec vous.

Elle enfourna un gros morceau de son pain et marmonna :- Oh que j’avais faim! 

Elle se mit à rire en mettant la main devant la bouche et s’excusa : - Désolé, je parle la bouche pleine mais c’est si bon ! 

- Faites donc, nous sommes entre nous. 

Madame Cambier posa amicalement sa main sur le bras de Lise. Spontanément, Lise serra les doigts de la vieille femme. Elles restèrent ainsi une minute tout en regardant l’écran, puis Lise reprit son repas. Elle se sentait tellement bien en sa compagnie. Elle n’avait pas besoin de parler de sa vie, pas besoin de justifier sans arrêt pourquoi elle avait toujours été seule, aucun souvenir douloureux lui faisant mal. Entre elles, il y avait juste de simples conversations sur un livre ou un film, des anecdotes sur la vie à la maison de santé, sur la vie des autres pensionnaires. Lise termina son diner jusqu’à la dernière miette et jeta l’emballage. Comme dessert, elle décida de déguster les dernières pralines au chocolat blanc. Elle était occupée à farfouiller dans la boite lorsque la vieille dame s’indisposa. 

- Pauvre petite, à seulement deux ans ! Je connais ce lac, j’y allais me baigner au début de mon mariage. C’est malheureux. 

Lise releva la tête pour regarder le reportage qui interpellait sa voisine de table. Elle vit un village puis un lac et ses abords. Son lac, bien sûr, elle reconnut l’endroit. Lise oublia de suite la chambre où elle se trouvait, elle oublia madame Cambier. Elle ne vit plus que la rive, que le lac exactement comme ce matin-là. Sur l’écran, apparut la photo d’Arthur. Elle se souvenait de cette photo. Il venait de perdre une incisive et lui avait demandé de le photographier. Il avait forcé son sourire pour qu’elle puisse voir le trou dans sa bouche. Il était magnifique sur ce cliché. Juste après, les images filmées ce matin-là défilèrent. Elle vit ses parents, le personnel médical s’activant autour d’eux puis, elle se reconnut. Elle fut complètement mortifiée. Elle sentit une main se poser sur la sienne et entendit la voix bouleversée de Madame Cambier. - Lise,  ils ont dit Fonchamp. Ce petit garçon faisait partie de votre famille ? 

Elle bredouilla : - Mon petit frère.

Elle se leva en bousculant la table maladroitement. La tête lui tourna et elle eut toutes les peines à ne pas vaciller. Elle prit distraitement son pull et son sac et se dirigea vers la porte.

- Lise ! Je ne savais pas… !

Elle s’en voulut mais fut incapable de prononcer un seul mot, elle quitta la pièce laissant la vieille dame sans voix.

En sortant de l’établissement, Lise tituba jusque sa voiture et s’y engouffra. Il fallait qu’elle se retrouve seule, qu’elle se retrouve chez elle. Aussi, roula-t-elle plus vite que d’habitude. En arrivant devant sa maison, elle coupa le contact et sortit. Le vent glacé la surprit et elle hâta le pas. A l’intérieur, il faisait sombre et froid. Sans prendre la peine de se débarrasser, elle alluma une petite lampe sur le buffet du salon. Dans le tiroir du meuble, elle trouva de suite ce qu’elle cherchait. Elle ouvrit l’album photo directement à la page correspondante et apparut Arthur montrant fièrement la perte de sa dent. Oui, il était magnifique sur cette photo.

LUI

En s’éveillant, Christelle trouva le lit vide. Adrien, déjà debout, venait juste de nourrir Carlton. Celui-ci dévorait son plat sans se soucier de la discrétion. En la voyant descendre, le chien remua la queue sans daigner quitter sa gamelle.

-Salut vous deux ! dit-elle d’un air naturel.

 Adrien occupé dans la cuisine, la salua brièvement.

-Et bien, je suis contente de vous voir aussi ! ça fait plaisir de se lever dans cette maison ! ajouta-t-elle sur le ton de l’humour.

- Assieds-toi, je vais te faire un café, dit Adrien

- Ah bien, j’aime mieux ça !

Elle gratouilla le poil de Carlton en passant et s’assit sur la chaise qui faisait face au plan de travail. Adrien se retourna et lui présenta une tasse. Elle lui trouva une mine affreuse.

- Dis-moi que tu as dormi quand même ! 

Il grimaça : - J’ai bien essayé, je crois que je me suis assoupi une heure ou deux. Mais, il faut que je te dise, j’ai fait quelques recherches et je crois que je sais où elle vit ! 

Sur cette dernière phrase, son visage s’était éclairé.

- Je sonnerai à neuf heures quand les bureaux ouvriront pour avoir la confirmation. 

- Et ça changera quoi au juste, Adrien ? Tu auras quoi en plus de savoir où elle habite ?  Christelle fixa le jeune homme en attente de sa réponse.

- Il faut que je la retrouve, que je lui dise que maintenant, je sais ce qui s’est passé. 

- Je comprends que tu sois bouleversé par ce que tu viens d’apprendre mais ça reste du passé. C’est de l’histoire ancienne ! 

Adrien secoua lentement la tête en plissant les lèvres.

- Tu ne peux pas comprendre ! Depuis tout ce temps, je me suis demandé pourquoi Lise n’était pas venue ce jour-là. Maintenant que je sais, je ne saurais pas rester ainsi ! Je dois la retrouver ! Christelle, je suis désolé, essaie de comprendre. 

Christelle déposa sa tasse et baissa la tête.

- En fait, tu n’as jamais cessé de l’aimer ? Elle redressa les yeux vers lui et aucune réponse ne fut nécessaire. Si tu pars à sa recherche, je ne serai pas là à ton retour. Est-ce que tu vas réfléchir ne fusse qu’une minute avant de te décider ? 

- Non, je suis désolé. 

ELLE

Le réveil sonna et Lise sursauta dans son lit. Sa nuit avait été mauvaise et elle serait bien restée une heure ou deux de plus à dormir ! Après une bonne douche pour se réveiller, elle enfila un pantalon noir et un pull col roulé de même couleur. Pour agrémenter sa tenue, elle passa un long collier à maillons larges et un foulard beige. Après s’être maquillée légèrement, elle descendit manger à la hâte un bol de céréales. Dehors, le ciel était d’un bleu magnifique qui annonçait une belle journée d’hiver, froide mais lumineuse. Plutôt que de prendre sa voiture, elle eut envie de se rendre à son travail à pieds. Vingt minutes de marche ne pourraient que lui faire du bien et l’aider à dissiper ses idées moroses de la nuit. Suite au reportage, ses rêves ne lui avaient laissé aucun répit. Aussi, s’était-elle réveillée sans cesse en pensant à son frère. Curieusement, au cours des heures, ses rêves avaient pris une tournure différente. Elle s’était vue au bord du lac portant une fine robe, un léger vent jouant avec le tissu. Ses cheveux plus longs s’emmêlaient devant son visage et elle souriait à quelqu’un. Une bourrasque plus forte avait soudain relevé le bas de son vêtement et curieusement, elle ne portait pas de lingerie. Au lieu d’en être gênée, au contraire, elle avait ri malicieusement. Elle s’était ensuite assise sur l’herbe et, de son index, avait fait signe au jeune homme de la rejoindre. Elle s’était réveillée en sueur avec une boule au ventre et avait ressenti une immense tristesse, elle aurait tant voulu que le rêve continue pour pouvoir apercevoir son visage ! Le revoir, ne fusse qu’une seconde, Adrien !

Dans la rue, elle pressa le pas. Sa décision de partir à pieds la mettait en retard, mais elle avait besoin de ce temps supplémentaire pour remettre de l’ordre dans ses idées.

- J’ai encore rêvé de lui !  se dit-elle.

Ces derniers mois, les songes concernant Adrien étaient devenus de plus en plus fréquents et la laissaient frustrée à chaque fois un peu plus. Jamais elle ne voyait son visage, elle apercevait sa silhouette mais toujours de manière indistincte. En fait, elle se rendait compte qu’elle avait oublié ses traits. Elle avait un souvenir grossier de lui et même avec la plus grande concentration, elle n’avait que des souvenirs fugaces de son physique.  Plus le temps passait et plus la silhouette aperçue dans ses rêves devenait floue, elle craignait tant de la perdre à jamais. Aussi, chaque jour, elle essayait de s’accrocher aux souvenirs de cette soirée, à ce qu’elle avait ressenti dans ses bras, à ce qu’ils avaient partagé ensemble.

Arrivée au home, elle fit profil bas en passant devant l’accueil. Elle avait un quart d’heure de retard ! Après avoir revêtu son uniforme, elle débuta le tour des chambres. Arrivée devant celle de madame Cambier, elle eut un temps d’arrêt. Elle n’avait pas envie de se retrouver face à elle, la vieille dame ne lui parlerait sans doute pas de la veille mais Lise savait qu’elle verrait de la compassion dans son regard. Ce matin, elle ne s’en sentait pas capable. Aussi, quand une de ses collègues passa près d’elle, elle en profita pour lui demander de la remplacer pour cette chambre. Celle-ci, sans même lui demander la raison, accepta volontiers. Après avoir porté les draps de lit à la lingerie, elle passa devant le bureau des infirmières pour les saluer. Elle entra dans le local en disant bonjour à l’assemblée. Certaines firent un sourire gêné en baissant légèrement la tête, une autre vint l’embrasser en la prenant doucement dans ses bras, l’infirmière en chef lui demanda même si elle se sentait bien pour travailler. Oui, c’était clair, elles avaient vu le reportage ou en avaient entendu parler ! Là, de la compassion, elle en avait, et beaucoup trop ! Elle sauta sur l’occasion et prétexta un mal de crane pour rentrer plus tôt.

Elle ne voulait pas être le sujet de conversation de la journée et encore moins voir leur regard de chien battu ! En sortant du vestiaire, elle croisa Bertrand.

- Oh, Lise. Comment vas-tu ? 

A voir son air, elle sut de suite que lui aussi connaissait la nouvelle du jour. Elle leva la main pour le faire taire.

– Je ne t’ai pas parlé de mon frère avant parce que je n’ai aucune envie d’en parler ! Ce n’est pas parce que ce reportage à la con est passé à la télé que je vais m’épancher sur l’épaule de tout le monde ici ! Je rentre, à demain.

Elle le laissa sur place et se dirigea à la hâte vers la sortie. Arrivée au grand air, elle fut soulagée, enfin seule.

Arrivée au coin de sa rue, elle regarda la vitrine d’une librairie. Elle y vit un roman policier sur un tueur en série et se dit qu’il serait le bienvenu pour se changer les idées ! Elle y entra et prit le livre en main pour lire son résumé. Elle eut soudain l’impression d’être observée sur le côté et tourna la tête vers la rue. Elle aperçut brièvement un homme tourner le coin et tirer une laisse au bout de laquelle, elle vit le chien le plus imposant qu’elle ait jamais vu ! Le monstre disparut et Lise reprit sa lecture sans plus sans soucier.

En rentrant dans sa maison, elle mit directement le chauffage. Elle avait envie de passer le reste de son après-midi assise dans le divan avec son bouquin et un chocolat chaud. Elle remplit une tasse de lait et le fit chauffer aux micro-ondes. En regardant par la fenêtre de la cuisine, elle aperçut un peu plus loin sur le boulevard, un homme appuyé à un arbre. Il regardait dans sa direction. Et pour l’accompagner, de nouveau ce chien énorme ! Lise trouva ça bizarre et se dit que c’était sûrement un pervers. Elle regarda la couverture de son nouveau livre et se mit à rire.

 - C’est ça ! se dit-elle. Un tueur en série devant chez moi ! 

Lise s’installa et entama sa lecture. Une demi-heure plus tard, passionnée par l’histoire, la jeune femme crut avoir une crise cardiaque lorsque quelqu’un sonna à la porte d’entrée. Elle déposa l’ouvrage, mit une main sur sa poitrine et se dirigea vers l’entrée. Elle n’avait vraiment envie de voir personne ! Elle ouvrit la porte et un mélange de surprise et de peur lui coupa le souffle. En premier, elle vit le molosse baver en la regardant d’un air innocent, ensuite, elle leva la tête vers son maître et tout s’écroula autour d’elle. Elle ouvrit la bouche, éberluée, son présumé pervers avait un visage qu’elle connaissait. En une fraction de seconde, elle le reconnut et son cœur se comprima comme serré dans un étau. Adrien était là, devant elle ! Tellement beau ! Ses cheveux étaient plus longs mais toujours aussi travaillés avec autant de gel, si pas plus encore ! Un style décoiffé qui devait certainement lui prendre une heure chaque matin !  Il lui fit un petit sourire de coin et d’une voix rauque qui lui sembla pleine d’émotions, lui dit bonjour. Il regarda son chien puis reposa les yeux sur elle. 

- On peut entrer ?

LUI

Après que Christelle soit partie au travail, Adrien passa son coup de fil. Il eut la confirmation qu’il attendait. Maintenant, il avait l’adresse complète de Lise. Il fit rapidement un sac dans lequel il mit des affaires pour quelques jours. Il appela Franck pour le prévenir de son absence. Carlton, affalé dans le divan, le regardait s’activer d’un air inquiet.

- T’en fais pas mon gros, tu viens avec moi ! 

Après l’avoir installé à l’arrière de la voiture, il prit la route. Le G.P.S indiquait qu’ils en auraient pour une heure et demie. Adrien n’en revenait pas, après tout ce temps, il savait enfin où la trouver ! Ses sentiments étaient mélangés entre l’excitation, la peur et le doute.

Il mit de la musique pour essayer de se calmer. En arrivant près de la destination, il se sentit de plus en plus nerveux. En regardant dans le rétroviseur, il demanda à Carlton.

- Dis vieux, t’as pas un truc pour se relaxer ?  Le chien lui répondit en baillant. Ok, je vois ! La vie est dure pour toi, mon gars ! 

 Il arriva à un rond-point et fut pris d’une soudaine indécision. Et si elle était mariée avec quatre ou cinq enfants, si elle était devenue une folle dingue… Il tourna une deuxième fois autour du rond-point. Puis, dans sa tête, il la revit ce soir-là à la lumière du feu de camp, puis couchée à côté de lui dans sa robe bleue. Il s’engagea sur le boulevard sans aucune hésitation. C’était Lise ! Depuis tout ce temps, il pensait à ce qu’il ressentirait en la voyant, en la tenant dans ses bras. Il fallait qu’il lui dise que maintenant il savait pour Arthur et qu’il avait été idiot de partir ! Qu’importe qu’elle soit mariée, il fallait qu’il sache si elle allait bien ! Il fallait qu’il la voie !

Arrivé à l’adresse prétendue, il se gara et inspecta la façade. La maison, bien que modeste, avait un certain charme et le devant, parfaitement entretenu, était décoré de quelques pots de buis. Il retira la clé de contact et se rendit compte du tremblement de sa main.

- Reste là !  dit-il à Carlton en descendant du véhicule.

Il traversa la rue. Arrivé devant la boite aux lettres, il n’y vit qu’un seul nom : Fonchamp. Il eut un pincement au cœur, non seulement, c’était le bon endroit mais il n’y avait pas de deuxième nom. Elle n’était peut-être pas mariée. Il se dit de suite qu’il était bien bête de penser ainsi, pourquoi voudrait-elle encore de lui. Il venait juste pour la saluer, voir ce qu’elle devenait, lui dire qu’il l’avait attendue ce jour-là devant le lac et que seulement maintenant, il savait la raison de son absence.

Il respira un bon coup et sonna. Après trente secondes d’attente, il appuya une seconde fois sur la sonnette. Qu’espérait-il, à onze heures du matin, il y avait de grandes chances pour qu’elle soit au travail. Il fit demi-tour et sortit Carlton de la voiture. Celui-ci, heureux de prendre l’air, se secoua et tira vers le trottoir. Après avoir laissé le chien se vider, Adrien retourna devant la maison de Lise. La curiosité l’emporta sur la bienséance et il appuya ses deux mains sur la vitre de manière à pouvoir regarder à l’intérieur. Son logement paraissait bien rangé, mais à première vue, il trouva la pièce froide et sans personnalité.

Derrière lui, retentit une voix féminine.

- Elle est au travail ! 

Embarrassé d’avoir été pris en flagrant délit, il se retourna vers la dame.

La vieille dame, une main posée sur la hanche, le toisait d’un air peu avenant.

- Je peux vous aider, peut-être ! 

D’un air gêné, il mit une main dans ses cheveux et lui sourit.

- Je vous assure que je ne suis pas un maniaque, juste une ancienne connaissance. Et lui, c’est Carlton, ajouta-t-il en montrant son dogue.

En le regardant, elle haussa un sourcil.

- On dirait le chien des Baskerville ! 

Adrien rit de bon cœur à cette remarque.

- Il est en effet très imposant mais contrairement au chien des Baskerville, il ne tue personne. 

- Vous m’en voyez ravi,  lui dit-elle sans sourciller.

Face à l’humeur déconcertante de la femme, qui de toute évidence était la voisine, Adrien bafouilla : - Je vais attendre dans la voiture ou un peu plus loin. 

Il s’éloigna perplexe en tirant sur la laisse. Quelques maisons plus loin, il se retourna pour se rendre compte qu’elle le fixait toujours.

- Bien étrange bonne femme, se dit-il. Viens mon gros, on fout le camp avant qu’elle ne nous tire du gros sel dans les fesses ! 

Après avoir arpenté le boulevard pendant une bonne heure, il aperçut une jeune femme marcher sur l’autre trottoir. Sa démarche était pleine d’assurance. Elle portait les cheveux en dessous de l’oreille. Elle s’arrêta au coin pour regarder une vitrine et Adrien put mieux la voir ainsi de profil. C’était elle ! Bon sang, Lise était juste en face de lui ! Il se décida à traverser la rue au moment où elle entrait dans la boutique. En s’approchant, il la vit prendre un livre et il paniqua. Il continua donc son chemin mais Carlton, ayant sentit une bonne odeur s’arrêta. Adrien, ayant peur d’être vu dans l’embarras, tira sur la laisse. Lorsqu’elle sortit, il était retourné sur le trottoir d’en face.

- Maintenant, super ! J’ai l’air d’un sadique !  se dit-il.

Il la suivit à distance modérée tout en se demandant comment l’aborder. Il préféra la laisser rentrer chez elle plutôt que de l’interpeler en rue. Lorsqu’enfin, son courage fut revenu, il se décida.

Lorsqu’elle ouvrit la porte, Adrien se sentit soulagé de la voir. Pas de doute, c’était bien Lise. Il reconnut les courbes de son visage, certes il faisait à présent plus femme que jeune fille mais était toujours aussi beau. Elle eut l’air surpris, voir même effrayé, en voyant son chien. Avec sa taille gigantesque, il faisait d’ailleurs souvent cet effet aux gens ! Lorsqu’elle posa son regard sur lui, il vit de suite qu’elle l’avait reconnu et lui sourit. Il était heureux de la revoir.

ELLE

Lise le laissa entrer et s’exclama : - Incroyable, Adrien ! Mais bon sang, qu’est-ce que tu fais là ? Je t’ai vu de l’autre côté de la rue mais je ne t’avais pas reconnu ! Et j’ai aperçu ton mastodonte près de la librairie ! Tu m’as suivi ? Il y a longtemps que tu me suis ? T’es pas devenu un maniaque quand même ?  Lise était surexcitée et complètement ébahie de voir Adrien chez elle.  Tu m’attends depuis ce matin ? Tu n’as pas trop changé !

Elle se mit à le regarder de la tête aux pieds, il écarta légèrement les bras comme pour mieux se montrer et afficha un grand sourire.

- A quelle question veux-tu que je réponde en premier ? Mais, si je peux me permettre, avant de répondre à cet interrogatoire, pourrions-nous avoir à boire et nous réchauffer ? 

Elle ne put  s’empêcher de rire.

- Oh, je suis désolée. Quel accueil ! Débarrasse-toi, viens t’asseoir ! Donc, si tu as froid, ça veut dire que tu attends depuis longtemps ! 

Ils se regardèrent d’un sourire complice, il y avait bien des années qu’elle n’avait été contente comme ça ! 

Alors qu’elle lui préparait un chocolat chaud, elle le vit s’asseoir dans le canapé et inspecter les lieux du regard. Adrien, chez elle, après tout ce temps ! En sachant qu’il ne la voyait pas, elle se permit de l’observer plus en détails. Habillé dans un style décontracté, il portait un sweat-shirt à capuchon. Une légère barbe d’un jour naissait sur ses joues et elle trouva que ça lui donnait un petit air terriblement sexy.  Après avoir déposé un bol rempli d’eau pour son chien, elle lui apporta la boisson et s’assit près de lui.  Le dogue se mit à boire bruyamment en envoyant des projections d’eau autour de la gamelle improvisée.

- Au moins, tu ne risques pas de le perdre celui-là ! remarqua-t-elle en riant.

Ils discutèrent sur un tas de choses. Sur Carlton, sa taille impressionnante et son manque de discrétion… Il lui parla de son travail d’architecte, de son associé et de certains de ses projets immobiliers. Elle le trouva passionné par son récit et le félicita de sa réussite professionnelle. Il avait en effet l’air pleinement heureux dans son domaine.

Il lui parla de son cousin qui allait bientôt avoir son deuxième enfant. Il en profita pour sortir fièrement une photo de l’aîné. Lise regarda la photo avec admiration, le gamin en question y arborait un sourire canaille et elle ne put s’empêcher de ressentir de la tristesse. Le filleul d’Adrien avait l’air si heureux, si vivant.

Le chien s’approcha de lise et lécha affectueusement sa main. Elle le caressa et celui-ci en profita pour grimper à ses côtés. Adrien, embarrassé, s’empressa de vouloir le faire descendre. La bête, apparemment décidée à s’installer, se vautra sur le canapé et posa son énorme tête sur les genoux de la jeune femme en poussant un soupir. Elle le trouva adorable et pria Adrien de le laisser.

Leur discussion dévia sur son travail et alors qu’elle lui racontait ses journées, sa main caressait affectueusement le dogue si bien qu’il s’endormit. Le temps défila et bientôt la lumière du jour se mit à décliner. Son estomac cria famine de façon peu discrète et Adrien s’esclaffa.

-Moi aussi, j’ai faim ! As-tu des œufs ? 

Après lui avoir donné son approbation, elle le regarda s’activer dans la cuisine. Il farfouilla dans le frigo et en ressortit plusieurs ingrédients. Lise s’étonna qu’il puisse y trouver autant d’aliments. Elle était plus adepte des plats préparés et vite faits !

Toujours installée dans le fauteuil, elle reporta son attention sur le chien. Resté dans la même position, il était parfaitement détendu et se laissait caresser paisiblement. Elle prenait un réel plaisir à sa proximité. Son contact, le bruit de sa respiration, sa chaleur, cela l’apaisait. Et, elle en avait bien besoin ! Adrien, chez elle, la situation avait de quoi la rendre nerveuse. C’était incroyable !

Ce ne pouvait être une coïncidence, il avait dû voir l’émission hier soir. En quelques sortes, avoir remué le passé de cette façon, avait apporté quelque chose de bénéfique. Elle ne pouvait toutefois s’empêcher de revoir les rétrospectives dans sa tête. Une larme coula doucement sur sa joue et elle l’essuya discrètement en espérant qu’il n’ait rien vu.    

LUI

Lise le bombardait de questions et il la trouvait adorable ! Elle paraissait réellement heureuse de le revoir et il en fut ravi.

Alors qu’elle lui préparait une boisson, il observa la pièce du regard et ressentit la même impression que ce matin lorsqu’il l’avait épiée par la fenêtre. Il y manquait de la chaleur et de la vie. Aucun tableau, aucune photo ne décoraient les murs. Il n’y avait aucune touche personnelle qui aurait permis de pouvoir y associer la maitresse de maison. Le chocolat fut le bienvenu et le réchauffa immédiatement. Carlton, comme toujours, se fit remarquer! Mais, sa présence et ses bêtises permettaient de détendre l’atmosphère. Ca lui semblait tellement surnaturel d’être auprès d’elle après tout ce temps !

Lorsqu’ils commencèrent à discuter, Adrien se détendit. Comme jadis, parler avec elle était tellement agréable et facile.  Il lui montra le portrait de son filleul et remarqua de suite la tristesse masquer le regard de la jeune femme. Adrien se sentit abruti de lui avoir exposé ainsi la bouille du gamin. Il avait presque le même âge que le frère de Lise lors sa disparition. Il aurait dû se douter qu’elle aurait du chagrin ! Il eut envie de le lui dire mais n’osa pas. Il préféra relancer le sujet du travail en lui posant des questions et Carlton fit son entrée en grimpant sur le canapé.

- Je suis désolé ! Il est mal élevé ! A la maison, j’avoue qu’il se vautre sur tous les fauteuils !

- Laisse-le faire, ça ne me dérange pas. Allez, viens près de moi mon gros ! 

Adrien adora sa façon d’accueillir le chien, il la trouva tellement chaleureuse. Ce n’était pourtant pas dans les habitudes de Carlton de grimper sur quelqu’un d’autre que lui. Tout le temps que Lise parla, elle n’avait de cesse de gratouiller sa grosse tête et celui-ci avait l’air on ne peut plus comblé ! 

Il fut tout excité d’avoir l’autorisation de cuisiner pour elle. Adrien appréciait fortement se mettre aux fourneaux et cela le détendait toujours. Il dégota une tomate et quelques tranches de fromage. Après les avoir coupés en petits morceaux, il les inséra aux œufs battus et débuta la cuisson. Du coin de l’œil, il vit Lise continuer à gâter le chien et ne put s’empêcher de sourire.

Elle était toujours aussi belle, ses cheveux plus courts mettaient son visage en valeur et lui donnaient un air sérieux qu’Adrien trouvait extrêmement attirant. Il la trouvait habillée avec goût, sans fioriture superflue. De fait, il se dit qu’elle n’en avait nullement besoin.

Bien que son visage ait mûri, elle n’avait pas trop changé. Ses traits étaient toutefois quelques peu différents, légèrement tirés voir même un peu stricts.  

Il présenta le repas sur deux assiettes et y ajouta une tranche de pain.

- Et voilà ! C’est prêt ! 

Ils s’installèrent l’un en face de l’autre et mangèrent en silence. A plusieurs reprises, il entama l’un ou l’autre sujet mais il n’obtint que de brèves réponses. Lise semblait fermée et perturbée. En la regardant manger, assis si près en face d’elle, il vit en quoi ses traits avaient changés depuis ces nombreuses années. Ils étaient tristes et graves. Adrien pensa de suite à l’émission de la veille et trancha dans le vif.

- Lise, je ne savais pas pourquoi tu n’étais pas venue ce jour-là. Depuis toutes ces années, j’imaginais des raisons. Et hier…  Il garda le silence pendant quelques secondes, le temps de reprendre ses esprits et de récupérer du courage.  J’ai enfin compris et j’en suis bouleversé. J’ai entendu ton nom de famille que je ne connaissais toujours pas et j’ai pu te retrouver ! Il fallait que je te revoie, que je sache si tu allais bien. 

 Il posa une main sur celle de lise et sentit un léger tremblement. Il découvrit quelques larmes sur ses joues. Ils restèrent ainsi immobiles à se regarder un temps qui lui parut interminable.

- Je suis tellement désolé pour toi. Tu as dû passer par des moments terribles.

Elle hocha la tête et malgré les larmes, elle ébaucha un léger sourire.

- Tu m’as retrouvé. 

ELLE

A table, Lise avait le cœur lourd. Elle n’avait plus de gout à la conversation anodine et n’avait de cesse de penser à ce qui avait permis à Adrien de la retrouver. Lorsqu’il aborda le sujet de manière franche et directe, elle en fut soulagée. Elle n’aurait pas eu le courage elle-même. Sa manière honnête d’exprimer ses sentiments lui apporta du réconfort et elle en fut surprise. Cela faisait 13 ans qu’Arthur n’était plus là et elle n’avait encore jamais ressenti cette sensation d’apaisement. La jeune femme se sentait bien auprès de lui, elle se rappela leur rencontre et  leur soirée, leur moment à eux. Depuis ce fameux soir, il n’y avait plus eu que de la tristesse dans sa vie et un énorme vide. Des larmes coulaient le long de ses joues lorsqu’Adrien lui effleura la main, elle en tressaillit d’émotion. Il était venu, pour elle.

 Lise débarrassa la table et se rendit compte qu’il était déjà bien tard aussi demanda-t-elle à Adrien s’il était descendu à un hôtel ou s’il avait prévu de reprendre la route le soir même. Elle se mit à espérer qu’il resterait plus qu’un jour.

- Je n’ai rien prévu, j’avoue que je ne savais pas à quoi m’attendre. J’ai juste pris quelques affaires dans un sac et embarqué Carlton. Voudrais-tu que l’on se voie demain ? Je peux me trouver une chambre, mais il me faudrait un endroit qui accepte les animaux ! 

Lise s’étonna elle-même, mais sans réfléchir, elle lui proposa de rester en prétextant que le divan était hyper confortable et son chien bien trop gros pour être accepté dans une chambre d’hôtel. Comme s’il avait compris, Carlton, toujours vautré comme un pacha, se mit à ronfler bruyamment.

- Je crois qu’il vient de dire oui pour moi ! 

 Elle remarqua une certaine gêne chez lui et fut elle-même embarrassée de la situation. Après lui avoir descendu des draps, elle lui souhaita une bonne nuit. Elle eut l’impression d’être une gamine en ne sachant pas si elle devait l’embrasser sur la joue et sans s’en rendre compte, elle rougit de façon magistrale ! Elle se décida toutefois et le contact de sa peau rugueuse l’a mis encore plus en émoi. Elle se trouva idiote en remontant l’escalier vers la chambre et espéra surtout qu’il n’ait rien remarqué. Juste avant d’arriver à l’étage, elle osa un petit regard dans sa direction et eut directement la réponse à son interrogation ! Il lui souriait d’un air malicieux ! Elle pressa le pas et son pied accrocha la dernière marche. Elle manqua tomber.

-Ca va là-haut ? Rien de cassé ?

Elle perçut une certaine moquerie dans le ton de sa voix et en bredouilla d’autant plus.

Le bas de sa robe flottait au ralenti et ses cheveux, malmenés par le vent, lui cachaient la vue. Devant elle, se trouvait un homme qui paraissait sourire. Elle écarta quelques mèches et aperçut un sourire  espiègle. Le visage d’Adrien lui apparut distinctement. Il s’avança de quelques pas en la regardant dans les yeux et elle n’eut aucun doute quant à ses intentions !

Lise s’éveilla en sueur, la respiration difficile. Elle fut étonnée de s’être endormie, elle s’était retournée durant deux heures dans son lit et était sûre de passer une nuit blanche. Le sommeil l’avait gagnée malgré elle mais ce rêve l’en avait extirpée à la vitesse de l’éclair ! Elle ne connaitrait pas la suite de cette rêverie ! Frustrée et boudeuse, elle s’assit sur le lit. Sa bouche était tellement sèche que son palais en était légèrement douloureux. Elle avait cruellement soif.        – Zut, il faut que je descende pour boire !

Du pas le plus léger qu’elle put, elle entreprit de descendre l’escalier sans faire craquer le vieux bois. Arrivée en bas, soulagée d’avoir franchi une étape, elle posa un pied sur le parquet et entendit un grondement sourd à un mètre à peine. Carlton ! Le cœur de la jeune femme se serra de peur.

 – C’est moi, grosse bêbête. Tu sais, c’est ma maison, chuchota-t-elle d’un timbre mal assuré. En une fraction de seconde, sans avoir eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait, elle fut aplatie sur  les marches et le chien vautré sur elle, lui léchait le visage. Elle ne put réprimer un rire et la lampe de table du salon s’éclaira.

-Je t’ai réveillé ! J’avais fait tant d’efforts pour être silencieuse !

 Toujours coincée sous l’animal, elle aperçut, sur sa droite, Adrien se lever de son lit improvisé et s’approcher.

-Je ne dormais pas. En découvrant la raison du vacarme, il haussa directement la voix. Carlton, suffit !

Sans demander son reste, celui-ci libéra de suite Lise et fila se coucher les oreilles baissées. Il avait employé un ton qui ne laissait aucune équivoque et Lise en ressentit un certain trouble. Il était clair qu’il était devenu un homme et elle en fut encore plus convaincue lorsqu’il vint se placer devant elle ! Il portait un pantalon de pyjama assez ample et rien au-dessus ! Son torse, à peine poilu, révélait la pratique d’un sport de musculation mais ce, sans exagération.

 –Juste ce qu’il faut, là où il faut ! pensa-t-elle en se mordillant la lèvre inférieure.

-Il ne t’a pas fait mal ? Prends ma main !

Plus troublée par lui que par la réaction du chien, Lise eut du mal à articuler. Après avoir prononcé  un « ça va » à peine audible, elle accepta son aide et lui tendit la main. Il l’attira directement à lui et l’enlaça de son autre bras.

-Tu n’as pas eu trop peur ? Tu es sûre que tu vas bien ?

Elle ne put qu’acquiescer d’un mouvement de tête et il ajouta : –Mais, tu trembles !

Sans oser le regarder, elle lui murmura : -C’est parce que tu me tiens dans tes bras.

Sans hésitation et sûr de lui, il l’embrassa. Son baiser était tendre et doux, la tête de Lise se mit à tourner. Elle sut immédiatement qu’elle voulait plus de lui. Elle voulait le sentir en elle, là tout de suite ! Sur les escaliers, au sol, peu lui importait ! Elle se mit à jouer de sa langue et fit descendre une de ses mains vers le sexe qu’elle sentait dressé contre elle. Adrien écarta la bouche de la sienne et glissa les mains sous ses bras. Avant d’avoir pu le toucher, elle fut soulevée et plaquée doucement contre le mur ; elle lui enlaça la taille de ses cuisses et l’embrassa à nouveau.

-Tout doux ! dit-il. On a des heures devant nous, laisse-moi faire ! Accroche-toi !

Il monta les escaliers pour se diriger vers la chambre et elle le laissa prendre les commandes….

Elle haletait en ayant de plus en plus de difficultés à contrôler sa respiration. Lorsque son deuxième orgasme la submergea, elle perdit tout contrôle et gémit en criant. En le chevauchant, elle avait pu varier la cadence à sa guise et se laisser monter à son rythme. La récompense n’en avait été que meilleure… Enfin remise, elle rouvrit les yeux. Adrien la regardait avec désir.

 –Tu es si belle, je pourrais te regarder jouir toute la nuit.

Un sourire comblé naquit sur les lèvres de Lise. Elle fit néanmoins la moue en regardant par la fenêtre.

-Malheureusement, le jour se lève et dans moins de deux heures, je devrai partir travailler !

Elle souleva une de ses cuisses et se coucha à ses côtés, le corps alangui.

LUI

Il fut de suite soulagé de lui avoir parlé du drame et l’ambiance entre eux s’allégea. Pendant qu’elle débarrassait la table, il regarda s’il n’avait pas eu de messages sur son téléphone. Un probable futur client lui demandait s’il pouvait s’occuper de la rénovation d’un loft. Jusqu’à maintenant, lui et son associé n’avaient donné que dans le neuf, mais le projet lui plut immédiatement. Il se promit de recontacter l’homme dès le lendemain.

A ce moment, Lise lui demanda ses projets pour le reste de la soirée et il fut pris totalement au dépourvu ! Il fut surpris de sa proposition mais l’accepta. Passer toute la nuit sous le même toit que la jeune femme le mit quelque peu mal à l’aise. Aurait-il la force de rester bien sagement dans le salon en la sachant étendue si près de lui, là-haut. Il savait d’avance qu’il aurait cruellement envie de la rejoindre et de lui faire l’amour jusqu’à qu’ils n’en puissent plus ! Il se ressaisit et essaya tant bien que mal de penser à autre chose.

Lorsqu’elle lui apporta les draps, il remarqua la même gêne chez Lise et sut qu’elle avait pensé à quelque chose d’analogue ! Juste avant le baiser sur la joue, il la vit rougir et en fut amusé ! Elle était absolument adorable et il aurait voulu la serrer contre lui mais il sentait que c’était prématuré et préféra jouer la carte de l’espièglerie. En haut de l’escalier, elle lui avait jeté un regard et il l’avait regardée avec un sourire coquin. L’entendre trébucher en réaction avait été purement jouissif !

Deux heures après s’être couché, il ne parvenait toujours pas à s’endormir. La savoir si près de lui le rendait complètement dingue ! Carlton, de toute évidence pas perturbé du tout, ronflait à réveiller un mort ! Soudain, le chien s’arrêta et prêta l’oreille. Adrien entendit un léger bruit sur une marche d’escalier et après avoir remis le drap sur lui, fit semblant de dormir. Pas question qu’elle comprenne dans quel état elle le mettait ! Un raffut le fit sursauter suivi par des rires qui se voulaient discrets. Lorsqu’il découvrit son chien ainsi vautré sur Lise, il eut directement peur qu’il ne lui ai fait mal et lui ordonna de suite de cesser. Mais, au lieu d’avoir mal comme il le pensait, Lise l’observait comme s’il était un dessert !

-Ok, se dit Adrien, je ne suis apparemment pas le seul à avoir des idées ce soir !

Restons correct ! Il l’aida à se redresser et s’enquit de douleurs éventuelles. Lorsqu’il la sentit contre lui, il perdit le contrôle ! C’était couru d’avance ! Il l’embrassa sans trop vouloir la brusquer, juste pour lui faire sentir qu’il en pinçait toujours pour elle.

La réaction de la jeune femme lui permit de passer à la vitesse supérieure. Mais il avait envie de pouvoir savourer ce moment, pouvoir en profiter pleinement. Aussi, lorsqu’il sentit la main de Lise descendre avec assurance vers son pantalon, il décida de calmer la cadence.  Il la porta jusque la chambre.

Il assit Lise sur le bord du lit et se mit à genoux face à elle. Leurs regards se croisèrent et il en fut comme électrisé. Il n’avait jamais désiré une femme à ce point, son besoin d’elle en était presque douloureux. De son bassin, il lui écarta doucement les cuisses pour pouvoir s’y glisser. Elle était sublime dans son pyjama, il détacha les boutons avec lenteur et écarta les pans du gilet de soie. Sans détacher les yeux de son corps, il toucha délicatement ses seins qui se durcirent au premier contact. Elle rejeta la tête en arrière en gémissant et Adrien fut pris d’une irrésistible envie de la faire jouir. Sans ménagement, il lui retira le bas du vêtement et découvrit sa nudité dans son ensemble. Après l’avoir couchée, il embrassa son ventre et sa bouche trouva le chemin. Il entreprit doucement de faire grimper son plaisir. A chaque coup de langue, le corps de Lise se contractait. Lorsqu’il sentit le moment, sa bouche insista au bon endroit et Lise fut transportée ! Elle jouit en criant son nom.

Sans attendre, Adrien se redressa et baissa son pantalon de pyjama. Son sexe gorgé de désir vint se placer directement contre celui de Lise.

-Vas-y ! Elle le regardait dans les yeux et Adrien s’enflamma. Il se souvint d’elle lors de leur première fois à tous deux, si belle dans sa robe. Et bien que ce soir-là, il avait cru cela impossible, à cet instant, il la désirait encore plus ! D’un coup de rein vif, il la pénétra et il sut qu’il voulait passer le reste de sa vie dans ses bras.

ELLE

Couchée contre lui, elle reprenait son souffle petit à petit. Il souleva le bras en une invitation et elle s’y lova avec ravissement. Elle sentait le torse d’Adrien se soulever à chaque inspiration et trouva cette sensation très agréable. Elle n’était jamais restée au lit avec un homme après avoir fait l’amour. Cela s’était toujours passé rapidement. Vite fait, bien fait et chacun chez soi !

Là, avec lui, c’était différent ! Elle voulait, au contraire, savourer chaque instant. Pouvoir se serrer contre lui, le regarder, respirer son odeur… Elle se sentait bien, merveilleusement bien !

-Reste près de moi.

-Je reste. Il lui embrassa le front. Je reste près de toi, Lise !

Aucun autre mot n’était nécessaire.

Lorsque la musique de la radio se mit en marche, Lise ouvrit difficilement les yeux. Il était pourtant l’heure de se lever ! Toujours dans la même position, elle n’avait pas quitté les bras d’Adrien. Elle s’était endormie ainsi, sans même sans rendre compte. Adrien, nullement dérangé par le réveil, continuait à dormir paisiblement. Elle releva doucement la tête et le regarda ainsi assoupi. Il était si paisible, son visage n’avait presque pas changé depuis toutes ces années. Il paraissait toujours aussi jovial comme si le bonheur à ses côtés ne pouvait être que communicatif. Elle n’osait bouger de peur de le réveiller et ne parvenait pas à le quitter des yeux. Adrien, dans son lit au petit matin ! Cette pensée la combla de bonheur !

La voix endormie du jeune homme, la ramena sur terre.

-Pourrais-tu cesser de me fixer et couper cette musique qui me casse la tête !

Sans même ouvrir les yeux, Adrien souriait d’un air taquin et Lise ne put s’empêcher de rire.

-Alors comme ça, tu es réveillé ! Et, comment sais-tu que je te regarde ?

-Je suis trop beau, tu ne saurais pas t’en empêcher !

 Il ouvrit les yeux à ce moment et elle se dit qu’il avait absolument raison ! Toutefois, au lieu de le lui dire, elle s’empressa de le chatouiller, ce qui se termina en pugila au milieu du lit. Il lui attrapa les poignets et la fit passer en dessous de lui. Ainsi, coincée sous son corps, totalement impuissante, elle riait tellement que son ventre en devint douloureux.

-Lâche-moi avant que je crie !

Il lui embrassa le cou.

-Au secours, le maniaque qui m’a suivie hier est dans mon lit !

Il rigola dans son cou, ce qui ne fit qu’aggraver le fou rire de Lise.

-Et arrête, ton affreuse voisine va rappliquer !

-Tu as vu ma voisine ?

-Elle a comparé mon brave Carlton au chien des Baskerville !

-Sérieux ?

Il acquiesça, ce qui eut pour effet de renforcer l’hilarité de la jeune femme. Après avoir plaisanté et ri de bon cœur, elle s’assit sur le  lit en remettant tant bien que mal de l’ordre dans ses cheveux. En écartant les jambes, il vint s’asseoir derrière elle et l’enlaça.

- Je te garde à ma merci pour toute la journée ! 

-Rien ne me ferait plus plaisir mais je dois aller au travail !

Comme un gamin, il posa la bouche sur le cou de Lise en poussant un soupir.

-Je voulais te faire l’amour et puis te préparer un petit déjeuner puis te faire l’amour…

-Stop, stop ! dit-elle en se levant et en se bouchant les oreilles. C’est assez dur comme ça, n’en rajoute pas ! Je dois y aller !

Il leva les mains en signe de capitulation et se tut. En se dirigeant vers la salle de bain, elle retira les mains de ses oreilles et Adrien reprit de plus belle.

-Et puis, je t’embrasserais partout et …

Lise claqua la porte en rigolant et cria d’un air amusé : - Tu es incorrigible !

Elle l’entrouvrit rapidement et le fixa avec envie.

 –Mais, fin d’après-midi, je serai à toi !

Adrien eut juste le temps de se redresser avec intérêt qu’aussitôt, elle referma à nouveau la porte et le laissa pantois ! 

LUI

Après lui avoir souhaité une bonne journée et l’avoir embrassée à plusieurs reprises, Adrien se retrouva seul avec Carlton dans la maison de Lise. En remontant dans la chambre, il regarda le lit en bataille et sourit d’aise en repensant à leur nuit. Quelle retrouvaille ! Il ne s’imaginait pas que le courant passerait toujours aussi bien entre eux et ne s’attendait certainement pas à passer la nuit avec elle ! Il n’allait sûrement pas se plaindre de la tournure des événements !

La vie les avait toutefois fais mûrir. En pensant à celle de Lise, il eut le sentiment qu’elle paraissait creuse comme si la jeune femme n’avait personne à aimer. Une maison pratiquement vide, pas même un petit chat pour l’accueillir après une journée de travail.

 Il enfila un t-shirt et redescendit en sifflotant. Il ouvrit la porte du jardin à Carlton et respira l’air frais du matin. L’arrière de la maison n’était pas entretenu, les mauvaises herbes avaient pris possession du lieu et aucune décoration n’agrémentait le décor. Ce jardinet à l’abandon paraissait si triste. Le froid matinal lui donna des frissons sur les bras et Adrien n’insista pas. Après s’être préparé un chocolat chaud, il se mit à bailler en le dégustant. La chaleur l’apaisa d’un coup et il se rendit compte que dormir deux heures sur une nuit n’avait certes pas été suffisant ! Il retourna se coucher pour se reposer un peu. Il s’allongea avec plaisir et sentit l’odeur de Lise sur l’oreiller. En fermant les yeux, il imagina la fin de la journée lorsqu’elle rentrerait et demain, irait-elle travailler ? Et le lendemain, que feraient-ils ? Il faudrait bientôt qu’il retourne chez lui, il sourit ; nous trouverons une solution ensemble, se dit-il en sombrant doucement.

Il s’éveilla en sentant un souffle chaud sur son front, sa première pensée fut de se dire qu’il avait dormi toute la journée et que Lise était rentrée mais en ouvrant les yeux, les énormes babines de Carlton lui gâchèrent son idée ! Le réveil indiquait treize heures. Adrien se leva à la hâte, il avait dit à Lise qu’il irait faire les courses pour lui préparer un bon petit plat ce soir. La jeune femme ayant terminé son service à seize heures, il devait se dépêcher de prendre une douche et de partir s’il voulait être là à son retour. La salle de bain, d’un blanc immaculé, était si parfaitement rangée qu’il se crut à l’hôtel.

- Pas possible ! dit-il à haute voix. Même pas un petit canard sur le bord de la baignoire !

Si Lise était venue à l’improviste ainsi chez lui, elle aurait eu droit à quelques vêtements éparpillés çà et là, peut-être même un slip trainant au sol ainsi qu’à ses draps décorés à l’effigie de Scoubidou qu’il appréciait particulièrement.   

Il savoura la douche puis s’habilla. Il sortit un tube de gel de son sac et s’en appliqua sur les cheveux. Il mit du temps à les façonner. Le look de sa coupe avait toujours été précieux pour lui. Il redescendit en invitant son chien à faire de même. En passant devant le buffet, il se rendit compte que l’un des tiroirs était légèrement ouvert et inconsciemment, il y jeta un coup d’œil. La couverture d’un livre du style d’un album photos était visible et Adrien ne put résister ! Peut-être y découvrirait-il d’anciens petits amis de Lise ou de vieux clichés la représentant. La tentation était trop forte ! Se sentant un petit peu coupable, il sortit toutefois l’album et excité de sa trouvaille, s’assit à table pour le contempler. Dès la première page, il tomba sur la binette d’un gamin. Au bas de la photo, était inscrit « Arthur » d’une belle écriture calligraphiée. En tournant les feuillets, il se rendit compte que les clichés avaient été soigneusement annotés d’anecdotes, de dates et qu’ils étaient classés par ordre chronologique. Plus il tournait les pages et plus Arthur grandissait passant du bébé pataugeant dans le bain, au petit enfant qui apprend à marcher. Tantôt souriant sur une fête foraine, tantôt endormi dans les bras de sa mère, il vit défiler sous ses yeux les moments clés de la vie de ce petit bout.  Arrivé au milieu du livre, une dernière photo le montrait fièrement assis sur un âne. Ensuite, plus rien, des pages blanches. Adrien retourna au dernier portrait et y lut la date « le 02 juin 1999 ».

-C’est la dernière fois que je l’ai photographié.

Surpris, Adrien se retourna. Lise était là, juste derrière lui. En tournant le dos à la porte d’entrée et tourmenté par sa découverte, il ne l’avait pas entendue entrer.

-Il était à l’anniversaire d’un ami, ça se passait dans une ferme.

Pris sur le fait et meurtri par ce qu’il venait de voir, il resta sans voix. Elle le contourna, prit l’album pour le ranger aussitôt à sa place. Il vit qu’elle avait pleuré. Ses yeux, légèrement bouffis étaient encore rouges et humides.

-Lise, je suis désolé, je n’aurais pas dû.

-Non, tu n’aurais pas dû.  

Son visage était déformé par le chagrin et il vit quelques larmes couler à nouveau sur ses joues. Il s’empressa de se lever et se rua vers elle. Lise fit automatiquement quelques pas sur le côté pour l’éviter.

-Je veux que tu t’en ailles, Adrien.

Son ton de voix était faible mais malheureusement, il avait entendu.

-Je ne comprends pas, Lise. Pourquoi ? 

ELLE

Lise laissa Adrien chez elle et démarra sa voiture. Elle espérait que la journée passerait vite pour pouvoir le retrouver. Devant « Les Hirondelles », elle trouva facilement une place pour se garer. Le vent était particulièrement glacé ce matin et elle fut contente de ne pas devoir marcher ne fusse qu’un peu. Après avoir revêtu son uniforme et chaussé ses sabots en caoutchouc, elle commença ses tâches. Bien qu’elle faisait son travail avec sérieux, son esprit vagabondait et elle ne pouvait s’empêcher de repenser à cette nuit. Voir débarquer Adrien chez elle avait été absolument surprenant, agréablement surprenant ! Surtout ces dernières heures! C’était carrément de l’ordre de l’irréel ! Elle avait apprécié chaque moment et il s’avérait être un amant étonnant ! Jamais elle ne s’était sentie aussi bien et jamais elle n’avait eu envie de revoir un homme à ce point. Il devait certainement bientôt retourner chez lui et cette pensée lui déplut.

En début d’après-midi, elle eut envie de rendre une petite visite à Madame Cambier et peut-être même lui expliquer pourquoi elle n’aurait pas le temps de lui faire la lecture aujourd’hui ! La porte de sa chambre était déjà ouverte et elle s’y introduisit en s’annonçant. Elle trouva la pièce vide. Le lit, déjà défait, arborait les draps blancs amidonnés du home. Le boutis bleu, soigneusement plié ainsi que quelques affaires de la dame attendaient dans un grand sac qu’un membre de la famille vienne les chercher. Le sang de Lise se glaça et le chagrin la submergea. Le roman, déposé sur l’appui de fenêtre, semblait la narguer. Encore une histoire sans fin, Lise savait qu’elle ne terminerait pas le livre sans Madame Cambier. Toutefois, elle le prit et sortit de la chambre en larmes. Elle croisa une de ses collègues et s’empressa de lui demander.

-Que s’est-il passé ? Et quand ?

-Oh, Madame Cambier ! Cette nuit, elle a encore eu une attaque cérébrale et le docteur n’a pas pu la ramener. En dix minutes, c’était fini !

L’infirmière, plus âgée que Lise, la regarda d’un air perplexe.

-Voyons, Lise, reprenez-vous ! La mort fait partie de notre métier ! Depuis le temps que vous travaillez ici, vous devriez être habituée !

La froideur de la femme la prit de court et Lise fut écœurée par sa réaction.

-Habituée, dites-vous ! Par la mort des personnes que nous aimons, celles dont nous apprécions la compagnie !

Les larmes de la jeune femme redoublèrent. Droite comme un i, la soignante maintint son regard distant et insista.

-Nous ne devons pas nous attacher à une personne dans ce lieu, mademoiselle Fonchamp. Retenez ce conseil !

-Pour ma part, votre conseil vaut en toute circonstance !

Lise fila dans le couloir et se dirigea dans le vestiaire. Sans prendre la peine de se changer, elle prit juste son sac et quitta le bâtiment. Arrivée à sa voiture, elle posa ses mains sur le volant et prit le temps de se calmer. Elle inspira lentement tout en regardant la résidence et prit une décision. Elle ne voulait plus travailler dans un domaine où croiser la mort « faisait partie du métier ». Terminé ! Elle avait quelques économies qui lui permettraient de se retourner quelques temps avant de trouver un autre emploi. A quoi bon s’attacher aux gens, on les perd toujours. Autant faire un travail qui n’a rien à voir avec le social, où l’on n’a pas l’occasion de créer de lien. Elle démarra, sûre de son choix !  En sortant du domaine des Hirondelles, une angoisse lui noua subitement la gorge. Adrien était chez elle. Il devait peut-être repartir ce soir, en tout cas demain ou après-demain. Il avait un travail, une vie. Il partirait de toute façon. Et s’ils décidaient de se revoir, envisagerait-elle de déménager… Oui, bien sûr qu’elle le suivrait. Mais, elle s’attacherait tellement à lui, elle le savait.  Un amour si fort, que quelque part, il en deviendrait douloureux.  Un moment, elle le perdrait. Il se lasserait d’elle ou pour d’autres raisons, il partirait. Ou bien, il aurait un accident, une maladie… il mourrait. Comme Arthur. De sa tête, elle fit « non ». Pas question de repasser par un moment pareil. Il était toujours temps d’arrêter maintenant, plus elle tarderait, plus ça ferait mal. Elle s’en voulut de lui avoir permis d’entrer dans sa vie de la sorte. Elle n’aurait jamais dû aller si loin avec lui. Discuter une heure aurait été suffisant ! La situation lui avait échappé d’une belle façon ! Elle se gara et s’arma de tout son courage. Déterminée, elle avait cessé de pleurer.

En entrant dans la maison, elle aperçut directement Adrien. Celui-ci était assis à table et lui tournait le dos. Lise sentit directement son courage l’abandonner. Elle l’aimait, cette certitude la poussa à avancer vers lui. Il regardait l’album d’Arthur et Lise en resta tétanisée ! Voir ainsi le gamin si heureux sur sa monture lui fit l’effet d’une gifle. C’était trop pour une seule journée, trop d’émotions. Il fallait que cela cesse ! En rangeant l’album, elle ne put à nouveau contenir ses larmes et elle pria Adrien de s’en aller.

LUI

-Je ne te suis pas, Lise ! Si c’est parce que j’ai fureté, je t’assure que je suis désolé. Le tiroir était entrouvert et …

-Non, ce n’est pas pour ça. J’ai besoin de me retrouver seule.

 Elle lui tourna le dos et s’éloigna vers la cuisine.

-Que s’est-il passé ? Sans réponse, il insista. Dis-moi, Lise. A te voir, ça doit être grave, raconte-moi !

-Adrien, s’il-te-plait, ne me questionne pas. Cette nuit a été agréable mais il est préférable d’en rester là !

Absolument éberlué par la réaction de la jeune femme, il s’indigna.

-Agréable ! Non Lise ! Cette nuit a été merveilleuse, la plus extraordinaire de toute ma vie. Je croyais que c’était la même chose pour toi.

 Il sentit sa gorge se nouer, il était insensé que tout bascule de cette façon.

-Non, tu te trompes ! Je veux que tu partes, maintenant !

Adrien ne comprenait rien à la réaction de Lise.

-Retourne-toi, je veux que tu me regardes pour me le dire.

Lentement, Lise lui fit face. Il remarqua de suite qu’elle ne pleurait plus et qu’elle affichait un air résolu. La jeune femme articula chaque mot et pour Adrien, chacun d’eux eut l’effet d’un coup de poignard.

-Je veux que tu partes, j’avais une vie avant que tu ne débarques et tu ne peux pas en faire partie.

Adrien ne sut que répondre, c’était on ne peut plus clair.

-Bien, je prends mes affaires.

Après avoir rapidement rangé le tout dans son sac, il l’enfila en bandoulière et appela son chien.

Face au plan de travail, Lise se versait un verre de lait dans la cuisine sans trop faire attention à lui, il en fut peiné.         

–Voilà Lise, j’y vais. J’ai été heureux de te revoir.

 Il était embarrassé ainsi devant la porte, il attendait qu’elle se retourne. Lorsqu’il comprit qu’elle ne le ferait pas, il ouvrit la porte.

- Prends soin de toi, Lise.

Il referma doucement derrière lui et se dirigea vers sa voiture. Tout c’était passé si vite, il se sentait blessé. Il se ressaisit et embarqua Carlton rapidement. Il voulait s’éloigner le plus vite possible, oublier cette maison, cette rue, cette nuit…

 Il roula plus de dix minutes en essayant de vider son esprit. En arrivant à hauteur d’un grand parc, il eut une soudaine envie de s’aérer. Il se gara et invita son molosse à se dégourdir les pattes. Ils s’engagèrent tous deux dans l’allée principale. Ils firent le tour de l’étang et débouchèrent sur une plaine de jeux. Malgré le froid de l’hiver, le lieu était débordant de vie. Des enfants emmitouflés dans leur veste y jouaient bruyamment. Carlton, habitué aux petits, balança la queue en les apercevant. Ils dépassèrent les jeux  et trouvèrent un petit chemin bordé de marronniers. La promenade permit à Adrien de s’éclaircir les idées. Il en vint à se dire qu’il s’était peut-être emballé un peu vite. Peut-être avait-elle quelqu’un dans sa vie ? Il y avait tellement d’années qui s’étaient écoulées, à quoi pouvait-il bien s’attendre ? Pourtant, Lise avait paru tellement heureuse de le revoir et les moments d’intimité lui avaient paru si vrais, autant pour lui que pour elle.

 Carlton disparut de sa vue derrière un bosquet. Le cri surprit d’une jeune fille retentit, suivi d’un éclat de rire. Adrien en fit le tour pour se rendre compte que le dogue avait débusqué un jeune couple couché dans l’herbe, pensant être à l’abri derrière le feuillu. Il leur faisait la fête en les piétinant et en distribuant gracieusement des coups de langue. Embarrassé de les avoir surpris ainsi, Adrien rappela le perturbateur et s’excusa auprès d’eux. Le jeune garçon rougit tandis que son amie remettait de l’ordre à ses vêtements. Adrien ne put s’empêcher de sourire.

-Vous tracassez pas, je n’ai rien vu et lui non plus ! Si on croise vos parents, on ne dira rien !

Les deux jeunes rirent de la remarque et il s’éloigna, les laissant à leur intimité.

Il sourit en repensant à ses propres expériences de jeunesse et immanquablement, ses souvenirs revinrent au moment, où lui aussi, avait couché une jeune fille dans l’herbe. Lise. Bien sûr que c’était Lise ! Toutes ses pensées sentimentales, et ce, depuis toujours, le ramenaient irrémédiablement vers elle ! Elle ne lui avait donné aucune explication ! « Tu ne peux pas faire partie de ma vie », avait-elle dit et pourquoi ! Insatisfait, il rappela Carlton et s’empressa de faire demi-tour ! Hors de question qu’elle le laisse ainsi ! A moins de pouvoir lui apporter une raison valable qui pourrait faire que leur histoire n’était pas possible et au cas contraire, elle avait intérêt à lui trouver une bonne explication ! 

ELLE

Lise, remontée dans la chambre, avait retiré les draps de son lit. Tourmentée, elle ne parvenait pas à cesser ses larmes. Avait-elle fait le bon choix ? Bien sûr ! Rester seule, lui avait toujours permis de maintenir le cap et évité d’avoir de la peine. La preuve, elle avait permis l’intrusion d’Adrien pour une seule nuit et voilà dans quel état elle se retrouvait ! Chargée des draps roulés en boule, elle descendit avec l’intention de les laver.

-Tu t’empresses de faire disparaitre les traces !

Surprise, elle manqua de faire tomber son fardeau et se fâcha.

-Tu m’as fait une de ces peurs ! On ne t’a jamais appris à ne pas entrer chez les gens comme ça !

-Tu n’as pas fermé ta porte à clé, alors oui, je suis entré ! Adrien, debout dans l’entrée, la fixait d’un air furieux. Je ne peux pas faire partie de ta vie, Lise ! Et bien, ça ne me suffit pas ! Tu vas devoir trouver mieux, comme m’annoncer que tu te maries le mois prochain ! Tu vois quelqu’un peut-être ? Cette nuit, tu m’as pourtant paru disponible !

Lise ne s’attendait pas à ce qu’il déboule ainsi et fut totalement prise au dépourvu. Elle essaya de poser sa voix. En fait, une partie d’elle, aurait voulu lui sauter au cou mais l’autre partie, prit le dessus.

-Là n’est pas la question ! Tu ne peux pas débarquer comme ça et chambouler…

Adrien, lui coupa la parole de suite et afficha un air de défi.

-Quoi, chambouler ta vie ! Quelle vie ? Tu es seule, Lise. Même ta maison respire la solitude.

-J’ai la vie que je me suis construite !

-Sans attache, tu évites les relations. C’est ça que tu essaies de faire, n’est-ce pas ?

 La voix d’Adrien s’était adoucie et elle prit peur. Les barrières qu’elle avait eu tant de mal à ériger ne tiendraient pas s’il continuait dans cette voie.

- Je t’ai dit de t’en aller et tu reviens pour me juger !

- Je ne te juge pas, je constate juste.

- Ah, parce que toi, tu es marié peut-être !

- Non, mais moi, je n’ai pas peur de dire pourquoi ! J’ai essayé de construire une relation mais dès que j’ai su comment te retrouver, je n’ai pas hésité à tout foutre en l’air ! Lise ferma les yeux en hochant la tête et Adrien haussa le ton, la forçant à le regarder. Tu m’entends, Lise ! Parce que je n’ai jamais ressenti pour une autre femme cette intensité que je ressens quand je suis auprès de toi. Je n’ai jamais cessé de penser à toi. Rien n’a changé, j’ai l’impression d’avoir dix-huit ans. Je suis amoureux de toi. Tu me rends complètement dingue ! Et, c’est peut-être présomptueux de ma part, mais je sais que tu ressens la même chose !

Lise s’assit sur une marche. Touchée par cette franchise, elle ne sut que répondre. Toutes ses protections volaient en éclat et elle se sentit plus démunie que jamais. Adrien, face à elle, paraissait tout autant désemparé. Il méritait une explication mais quels mots choisir ? Elle chercha le peu de courage qu’elle avait au fond d’elle.

- Je sais ce que c’est de perdre un être cher. Elle ravala un sanglot. Je ne survivrai pas à une seconde fois. Si je suis seule, je sais gérer. Essaie de comprendre.

Adrien s’approcha et la prit par les épaules. Il la pria de se lever et la força à maintenir son regard.

-Tu crois que tu gères… mais ce n’est pas le cas. Parle-moi d’Arthur, montre-moi ses photos, raconte-moi cet anniversaire où il montait sur l’âne ! Je veux le connaitre.

Agacée, elle se dégagea de son étreinte.

-Tu ne comprends pas, il n’y a plus rien à raconter ! Elle jeta les draps par terre et entra dans une colère noire. Tu ne pourras jamais le connaitre ! Il est mort, tu m’entends ! Arthur est mort !  

-Parle-moi du petit garçon qu’il était ! Laisse-le vivre dans ta mémoire.

Adrien se dirigea vers le buffet et reprit l’album. Lise, tétanisée, le laissa faire, incapable de l’arrêter. Il décolla le dernier cliché et le positionna sur le mur. Une boule dans la gorge, Lise se rua pour l’enlever.

Adrien la prit dans ses bras et la maintint fermement.

Lise, à bout de force, éclata en sanglots en s’agrippant à lui. La tristesse de tant d’années sortit par vagues incessantes. Il la laissa pleurer, le temps nécessaire. La détresse de la jeune femme le gagna, il ne put lui-même retenir son chagrin. Ils se retrouvèrent assis tous deux sur les draps, enlacés. Après un temps considérable, Lise se reprit petit à petit.

-Lise, tu dois continuer à vivre, pour toi. Pour Arthur ! Laisse ton frère exister dans ta mémoire. Ne l’efface pas, ne lui fait pas ça ! Pense à lui pour ce qu’il était. Et s’il pouvait voir ce qu’est devenue ta vie ? Aimerait-il ? Serait-il heureux pour toi ?

Elle desserra leur étreinte et regarda Adrien. Il avait les yeux rougis et les cheveux complètement en bataille, elle lui caressa la joue avec tendresse et parvint à articuler :

-Il en serait aussi malheureux que moi, si pas plus. Il avait une énorme joie de vivre. Il ne me comprendrait pas. Mais je ne sais pas comment faire, j’ai si peur !

-Je suis incapable de te promettre une vie sans peine, personne ne sait de quoi l’avenir sera fait.

Je peux juste te dire que je t’aime et que si tu me laisses faire, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour te rendre heureuse. Laisse-moi faire partie de ta vie, Lise.

Elle maintint le visage d’Adrien de ses deux mains et le fixa intensément.

-Tu en as toujours fait partie, mes pensées ne t’ont jamais quitté.

Elle l’embrassa longuement et sentit des larmes couler le long de ses joues. Pour la première fois, elle pleurait de bonheur. 

10 ANS PLUS TARD

EUX

Le petit garçon s’impatientait.

La rame à la main, il attendait que son petit frère monte dans la barque pour pouvoir s’y engouffrer lui-même.

-Dépêche-toi ! Enervé, il oscillait d’un pied à l’autre.

Déjà assise dans l’embarcation, sa mamy le réprimanda : - Laisse-lui le temps, il a des plus petites jambes que toi. Si tu le presses, il risque de tomber !

Maitre de la situation, Adrien attrapa le petit en dessous des bras et l’installa auprès d’elle.

-Assieds-toi bonhomme. En ébouriffant les cheveux de l’ainé, il rit de le voir bouder. Et toi, grimpe avant que Papy et Mamy ne décident de partir naviguer sans toi.

A sept ans, l’enfant avait un caractère déjà bien affirmé. Ressemblant quasiment trait pour trait à sa maman mais en version masculine, Adrien aimait le taquiner sur leur caractère râleur en commun.

La dame, peu rassurée, se tourna vers sa fille.

- Tu es sûre que c’est une bonne idée ?

Lise, restée sur la rive, lui sourit d’un air ravi.

-Ils en ont une telle envie, ça fait des semaines qu’ils se réjouissent.

En milieu d’après-midi, le couple avait rejoint la petite famille déjà en vacances au bord du lac. Les deux gamins, excités par leur arrivée, avaient prévu un programme bien chargé !

D’abord un tour en barque sur le lac, comme ils faisaient tous les jours avec leur papa. Ensuite, une ballade dans les bois puis retour au chalet où papy devrait leur préparer des crêpes dont lui seul avait le secret.

Papy, les rames en main, avait l’air de trouver l’idée attrayante.

-Quoi, Marie ! Tu ne me crois plus capable de pouvoir ramer ! Je ne suis pas encore trop vieux pour ça ! Par contre, toi…

 Il fit un clin d’œil au tout petit qui éclata de rire. A 4 ans, le petit blondinet était déjà tout à fait apte à comprendre la boutade. L’homme donna un coup de coude amical à l’ainé et entama la manœuvre pour s’éloigner de la rive. Lise leur fit signe de la main.

-A tantôt, mes amours et ne fatiguez pas trop papy ! 

Adrien vint se joindre à elle. La barque à peine éloignée, ils entendirent le plus grand des garçons rassurer leur mamy : -Ne t’en fais pas mamy ! On a appris à nager en même temps que de marcher !

Il se pencha ensuite vers son petit frère et d’un air conspirateur, lui chuchota : - Tu crois qu’on va revoir le gros poisson de hier ?

Adrien prit Lise par la main et ils s’éloignèrent lentement. La jeune femme, le sourire à la bouche le questionna.

-Alors, parle-moi un peu de cette surprise que tu me réserves !

Il posa un baiser sur ses lèvres et lui fit un clin d’œil coquin.

-En fait, il y a bien longtemps, j’ai découvert, un peu plus haut, une vue imprenable sur le lac.

-Tiens donc ! Lise se laissa prendre au jeu et feint l’ignorance.

Ils montèrent et elle fut heureuse de revoir leur endroit. Une couverture les y attendait déjà et elle ne put s’empêcher de rire.

-Et bien, je vois que tu as tout prévu !

-Oh, tu sais, je ne m’attends pas à quelque chose d’exceptionnel. La fille de l’époque était bien plus jolie que toi…

Elle le poussa en riant et il fit semblant de tomber, comme par hasard, sur la couverture !

Lise regarda Adrien dans les yeux en le rejoignant.

-Je suis sûre qu’elle a plus d’expérience maintenant…

Dans leur maison, inoccupée le temps des vacances, la fin d’après-midi rendait déjà les pièces très sombres. Dans la rue, le voisin de la maison d’en face démarra sa voiture. La lumière vive des phares vint éclairer le pan du mur du salon. Celui-ci, jonché de photos, racontait l’histoire de la famille. Lise portant un nouveau-né et arborant un sourire comblé.  Adrien, par terre dans l’herbe, terrassé par l’épée de « Dark Vador ». Différents clichés représentant leurs deux garçons. Au milieu de ceux-ci, Arthur, fièrement assis sur un âne, souriait pleinement à la vie.   

                                                                                                                                                     FIN   

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