Pour des queues de cerises
Cathy Galliègue
Un lever de soleil sur un champ fraichement labouré. La terre couleur chocolat au lait, les petites mottes débarrassées des brindilles piquantes et drues qui s'hérissaient la veille. Cette terre nue, lisse, que le pied ne veut pas fouler, ne pas abîmer, mais que le corps voudrait embrasser.
Me rouler dans la terre, voilà ce que je voudrais faire si je m'autorisais un jour à me déshabiller de mon costard trop étroit, et te prendre la main, courir comme deux enfants dans un champ réchauffé doucement par les premiers rayons de soleil.
Du vaporeux en rase-motte, du rose orangé perçant le ciel gris cotonneux par de petites échancrures, écartant de toute sa volonté les nuages, puis, en quelques minutes seulement, sa lumière s'imposerait magistralement, triomphante et rieuse, baignerait ton visage de ses premiers éclats, auréolerait tes cheveux d'un halo mordoré, te ferait plisser les yeux un peu.
Et moi, là, je serais à cet instant précis exactement à la place que j'ai passé ma vie à fuir. La bonne place. Alors, je te mangerais la bouche, te bousculerais et te rattraperais, je te regarderais courir en gloussant et je te plaquerais, haletante, les joues rougies, tes grands yeux noirs comme deux miroirs au soleil, deux points jaunes éclaboussant tes prunelles sombres, à cet instant-là, percé à jour par ton regard solaire, je serais celui que tu ne connais pas encore mais qui n'attendait que toi pour vivre.
Enfin.
Voilà à quoi je rêve.
Il aura fallu que tu glisses dans ton monde parallèle, que ton putain de pendu même pas amoureux t'y retienne, pour que je me foute à poil, que je me batte contre ce salopard que je ne peux pas tuer puisqu'il est déjà mort. Crois-tu qu'il pourra lutter contre mes mots, même en désordre, contre ma sincérité?
Crois-tu vraiment que la mort l'a rendu meilleur?