Pour Elise
bubble-dream
Il vient aujourd’hui.
9h30, je file sous la douche. De l’eau brulante s’échappe un nuage de vapeur. Un souvenir exquis affleure mon esprit : celui de la rencontre surprenante dans le train Paris-Montpellier, de la première excitation, du temps qui se dilate auquel succède inévitablement l’attente de la rentrée. Je souris à l’idée que depuis 12 ans notre relation est réglée au rythme d’un coucou suisse. J’essuie avec le dos de ma main la buée sur le miroir de l’hôtel en prêtant une oreille jalouse aux coups lancinants et réguliers de la chambre voisine. Il vient aujourd’hui !
9h42, rituel du maquillage, un trait d’eye-liner et un aller-retour de mascara s’ingénient à agrandir mon regard. Pschitt d’Amber nude, les senteurs de l’ambre m’évoquent la mélodie orientale de sa langue. J’ai vaguement tenté à une époque de l’apprendre sans malheureusement dépasser le stade de l’alphabet.
10h05, sur le lit, un assemblage épars de vêtements et l’éternelle question. Pourtant, hier soir, je m’étais fixée sur cette robe en lin blanc, trop sage, trop enfantine…habille toi, habille toi. Ce sera finalement la tunique verte, une ceinture sanglant la taille, des sandales lacées. Surtout, ne pas paraître avoir accordé grande importance à ma tenue.Il est beau, je m’amuse à imaginer dans chacune de ses rides une bataille. Son visage dur et tanné exalte son assurance, les sourcils froncés comme plongé dans une intense réflexion d’une affaire dont je serais toujours ignorante.
10h28, je sors de l’hôtel, il fait chaud, j’aurais du choisir la robe en lin. L’été supplante la tiédeur du printemps, mon esprit s’évade vers ces régions exotiques et lointaines où il doit forcément pêcher le mérou encouragé par les voix voluptueuses de vahinés dévêtues. L’air qui dégage un parfum de brise marine tempère ma jalousie, je respire à plein poumon.
10h45, j’ai de l’avance et en profite pour griller une clope le long de la digue face à la citadelle. J’essaie de me concentrer en calquant mes battements de cœur sur le flux et le reflux des vagues. C’est une marée d’angoisse qui me submerge. Que lui dire ? Quelle première phrase pour briser la glace ? J’ai bien mis en mot quelques idées les jours précédents sa venue mais là, maintenant, elles me semblent profondément affligeantes et banales. Je tire furieusement la dernière taffe et d’une pichenette balance le mégot dans le caniveau me forçant à ne pas rebrousser chemin.
11H00, devant le palais des congrès la file est immense, une véritable procession de bohèmes-chics au look savamment négligé, coiffé-décoiffé, robes multicolores, jupes longues, boucles d’oreilles cliquetantes. Nous baignons dans un nuage d’effluves douceâtres. La sueur dégouline de mon cou sous ce soleil de plomb, la chaleur m’anesthésie. Je prends place dans la file son livre à la main.
11h28, le voilà, face à moi, visage luisant, légèrement avachi, esquissant un sourire poli.
- « Bonjour, je m’appelle Elise ».
C’est sûr, je ne reviendrai plus à Saint Malo, les étonnants voyageurs vogueront sans moi.