Pour elle

metis

A vouloir trop réparer, on oublie ce qu'on a abîmé...

L'an deux mille quatorze, le mercredi dix-huit juin.

 

Nous, maman, Lucas, Nathan et moi, aimante famille du Brigadier en chef au commissariat de Limoges, déclarons par la présente souffrir d'absence paternelle chronique.

Jean MARTIN, mari fidèle de Laurence depuis 21 ans et père de trois enfants, est reconnu coupable de blessures par négligence.

Bien qu'attentionné, drôle et protecteur, ces qualités ne sont pas jugées atténuantes pour justifier ses actes.

Agissant conformément aux instructions de sa brigade, et poursuivant avec acharnement une carrière envahissante, il reconnait, à tord, délaisser sa famille.

Moi, Lisa MARTIN, victime d'abandon involontaire vous présente aujourd'hui ma déposition.

 

Question. Que faisais-je si tard ce soir là? Jamais je n'aurais du trainer seule dans ces rues mal éclairées empestant le gâchis des vies ignorées.

La vérité c'est que depuis quelques années, tous les moyens sont bons pour défier l'autorité et surtout, pour attirer l'attention sur moi.

Mes diverses frasques d'adolescente, j'en tairai les détails, ont conduit ma mère vers une dépression dont elle ne sortira jamais. Je ne suis pas seule responsable de son état, mon père y est pour beaucoup. On dira qu'il avait préparé le terrain

Partager son mari est une chose, assumer, pour lui, les conséquences de ces absences sur sa progéniture était trop pour elle.

Elle a fuit, se réfugiant dans la douceur fictive de cachets anesthésiant son esprit, de véritables gilets par balle chimique indispensable à sa survie.

 

Le mien s'appelle MP3. De ma chambre, chaque nuit, je couvre de musique les sanglots étouffés par les plumes humides de l'oreiller de ma mère.

Elle est épuisée, elle ne tiendra guère plus longtemps cette comédie. Le clown triste, que je suis la seule à connaitre, caché derrière les rideaux d'une honte intérieure fera bientôt son entrée sur scène, j'en suis certaine.

Le déchirement procuré en moi les premiers temps a laissé place à une rage destructrice. Je ne finirais pas comme elle, pas question de subir. Si je dois souffrir, autant

 choisir le fouet.

 

Cynique? Il faut le dire, la pertinence d'esprit héritée de mon père, s'est fatalement transformée chez moi en un trait de caractère décapant et hideux.

Je ne crois plus à la vie. Voilà pourquoi, à 17 ans, je me balade si tard dans un quartier mal famé. Qui sait? Mon père, en service, passée la stupeur de croiser mon chemin en un lieu si sordide, me raccompagnera peut-être à la maison?

Fixant mes bottines noires usées, je fantasme de cet instant père-fille volé. Sa veste d'uniforme délicatement jetée sur mes épaules frissonnantes, assise à l'arrière de sa voiture de fonction, écoutant sa voix rauque me sermonner sans conviction. Dénonçant sa propre culpabilité.

Un an que je répète ce rituel nocturne sans succès..

Mes rêves se sont transformés en d'étranges scénarios macabres.

Aucune figure paternelle à l'horizon.

 

Comment vous le décrire?

Grand, charismatique, une épaisse masse poivre et sel, les yeux perçants, des rides tracées par chaque enquête sur son front et ses joues. Elles ne gâchent pas son charme, au contraire, elles lui donnent un air rassurant, protecteur.

Traumatisé par la mort de son jeune frère à l'âge de 15 ans, sa vie se résume à oeuvre pour faire de nos rues des endroits plus sûrs. Alors que moi, égoïstement, je rêve qu'il ne veille que sur notre maison. Je prie qu'il abandonne la jungle sociale et clôture notre jardin. Qu'il jette sa boite de pilules vitaminées, abandonne la chasse et se mette enfin à vivre.

J'ai en mémoire quelques extraits de vie, gamine, quand il n'était que Lieutenant. J'ai bien tenté de les effacer, cherchant à apaiser le manque, mais ils sont profondément encrés dans mon ADN. Une simple odeur de sous bois ravive nos balades complices dans le campagnes limousines. Il n'existe pas meilleur guide que lui, connaissant les plus beaux paysages, aussi bien que les anecdotes macabres que savent garder jalousement secret les plus beaux chènes.

sous la bande annonce du meilleur guide de la région qu'il était. Nous contant aussi bien les faits historiques que macabres.

Mais aujourd'hui, sous le poids de l'engagement envers sa fonction, mon père a oublié le gout des obligations manquées juste pour savourer le plaisir de rester avec sa famille.

Faisant de lui un étranger, héros au service d'inconnus.

 

Modèle pour ses collègues, son caractère bien trempé impressionne, et son flair infaillible force l'admiration. Vêtu de son costume sombre taillé sur mesure, il imposé une classe britannique, que complétait son bureau meublé d'acajou. Ce bois noir, dont mon père semblait être fait, embaumait toute la pièce, dont la lumière tamisé faisait danser les ombres y pénétrant tel un feu de cheminé.

Lorsqu'il attrapait son pardessus, soigneusement pendu à la paterre de sa porte pour sortir, c'était toujours dans la précipitation, quelques idées bougonnantes au creu des lèvres. Une fois dehors, tous reconnaissaient la silhouette du juste, toisant d'un pas lent ce qui l'entoure, sous son chapeau feutré. Ne quittant jamais ce crayon noir mordillé, fantôme de cigarettes amputées.

 

Les faits. Il est grand temps d'en venir aux faits.

Suivant scrupuleusement ce scénario répété nuit après nuit, je divaguais depuis quelques heures, sans but, dans les rues reculées du centre ville. La tête en arrière pour observer la lune si pleine que sa lueur était aussi forte que ces haut lampadaires gris qui éclairaient faiblement mes pas zigzagants, projetant à mes pieds une ombre difforme presque inquiétante. Je ne vis pas tout de suite ce couple, à l'allure à la fois précipitée et mal assurée, se diriger droit vers moi. Leur silhouette trahissait une excitation malsaine, me forçant à la méfiance. Je n'eu pas le temps de rebrousser chemin pour m'enfouir que ce jeune couple m'est littéralement tombé dessus. Me ruant de coups si fort, que le seul souvenir que j'en garde est l'intensité de leur rage bien avant celle de la douleur irradiant mon corps, me poussant à perdre connaissance.

Traumatisée, je ne peux que vous les décrire sommairement. Une jeune femme blonde, trop maigre, vêtue de vielles fringues, les cheveux mal entretenus et des cernes trompant son âge. L'homme, qui semblait être son mari, dépeignait la même pauvreté, d'une tête de plus qu'elle, il portait une casquette de baseball.

 

Les habits déchirés, le visage défiguré, ce corps inerte baignant dans son propre sang ne fut ni découvert ni secouru par Jean MARTIN.

Affecté au quartier de la Brégere, la patrouille dirigée par François, viel ami de la famille, et parrain de mes petits frères fut la première sur les lieux.

C'est à l'hôpital, effondré, affichant pour la première fois, une xxx de faiblesse, que mon père m'éxamina, puis m'identifia dans un long râle de douleur.

 

Il fut très vite rejoint par ma mère, qui poursuivait dans les couloirs de l'hôpital, des pleurs débutés bien des heures avant le drame.

Elle lui jeta un regard débordant de reproches, miroir de ce que lui même ressentait à son propre égard. Toute une vie consacrée à traquer des intrus, vidant l'essence de notre famille, et détournant le regard du loup qui frappe à notre porte pour emporter leur chair, pendant qu'il détourne les yeux, impuissant.

xxxxxxxxIl ne remit plus jamais les pieds à la maison.

Désormais, ma mère n'avait paradoxalement pas la force de supporter sa présence. Ses absences inutiles, laissaient place à une rancoeur indicible. Il était le seul et unique coupable.

Ne pouvant se fuir lui même il se mit à pourchasser mes agresseurs jour et nuit.

 

C'est barbu et bourru, lui qui était si soigné, qu'il déambulait entre le commissariat, les scènes de crime, la morgue, les suspects et les témoins. Son aura semblait s'être ratatinée en une ombre mortuaire aspirant sa vie, l'effaçant discrètement du paysage des vivants.

Il ne vivait plus que pour dénicher des pistes infructueuse.

Affaire classée.

 

Sans indices pour confondre des suspect, la cour du statuer en voie de fait orchestrée par des crapules à la recherche de stupéfiants. Je ne suis rien de plus qu'une fille tranquille sans ennemis, qui se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment.

 

...

 

Que sommes nous devenus?

Un an plus tard, ma mère se remariait, incapable d'affronter le reste de sa vie sans un tuteur. Sans François, je pense qu'elle aurait sombré dans la drogue, mais "il y avait les enfants, il fallait bien que quelqu'un s'occupe d'eux". Ce n'est pas leur père qui pouvait s'en charger. Incapable d'apprendre de ses erreurs, il n'était pas plus présent qu'avant, fuyant encore, poursuivant de nouveaux démons.

 

Pour ma part/en ce qui me concerne, j'étais impuissante. Bloquée par cette agression qui m'a ôté toute capacité à communiquer, il ne me reste plus qu'à observer ma famille se détruire. Cachée de tous, comme un secret honteux que chacun tente d'oublier à sa façon. Ne conservant que l'image de cette petite fille radieuse que chacun appréciait. Jetant le voile sur mes défauts, mes impolitesses d'ados, et mes caprices. Aucune photo de mon état actuel, ma mère a préféré ressortir des albums pour les accrocher au mur. Exposant sans retenue celles de moi souriante à tout âge inférieur à 12 ans. Fière de sa belle petite poupée blonde au sourire coquin qui ne sera jamais plus, ses contines se sont éteintes la nuit du drame, aujourd'hui ne reste qu'une plainte inaudible, que tous semblent ignorer. Au fil des mois ma chambre est de moins en moins visitée, mon prénom n'est plus que rarement prononcé, mais hante toujours autant l'esprit de mon père. xxxx

 

Lui tant apprécié de tous, s'est transformé en paria. Au début, le commissariat fut solidaire de sa peine, et remua ciel et terre pour trouver les coupables. Patients, face aux changements d'humeur et aux colères imprévisibles de mon père, il s'éloignèrent peu à peu, creusant le vide autour de lui, y compris mon parrain.

En rien affecté, il s'était fixé qu'un seul but, ne pas échouer sur cette enquête. Hormis celle de l'assassinat brutal petit Sam, il n'avait jamais classé une seule affaire. Même si ça devait lui coûter la vie, et quand on y réfléchit, il l'avait déjà sacrifiée de toute façon, il irait jusqu'au bout. (... AAV)

 

Errant pour la millième fois, rue Charles Michel, il perçoit comme une présence dans son dos. L'expérience lui souffle de ne pas se retourner, de ne pas modifier son allure, juste tendre l'oreille. Une bouteille roule dans les égouts, il ne s'agissait que du vent. Il se fige, écoute à nouveau, crois y déceler une plainte, un appel au secours, sifflé entre les feuilles de l'imposant chêne qui lui fait face. Il ferme les yeux, soupire et reprend ses cents pas, toujours à l'affut. C'est alors qu'une feuille vient frôler son coup, son crépitement  murmurant à son oreille. La fatigue nerveuse commence à peser sur son imagination, peut-être pourra-t-il en tirer des idées neuves? Il en profite pour s'énumérer tous les éléments de l'enquête un à un. Eclairé par la lune bienveillante, tel un phare dans l'obscurité qui le noie depuis ce fameux soir où sa vie à basculer. Il a besoin de faire appel à de nouvelles forces, les siennes sont épuisées.

Dans l'air moite et chaud, il sent ce soir flotter une atmosphère spectrale. Quelqu'un cherche à l'aider, il se doit d'être à l'écoute. Il entend son coeur battre sur un rythme de jazz, des gouttes de pluie viennent ruisseler le long de sa colonne vertébrale, une idée lumineuse s'insinue dans son esprit.

Il a bâclé son enquête.

Après tout le soin apporté à celle-ci il l'a bâclée.

Aveuglé par l'amour de sa fille, il n'a procédé à aucune recherche du côté de la victime.

Il se précipite dans ma chambre, talonné par ma mère hystérique.

Il fouille mon bureau, passe au crible mes placards et mets sans dessus dessous la pièce entière. Il me redécouvre, ou plutôt, découvre la jeune fille que j'étais avant l'accident. Son coeur se serre à la lecture de mon journal, il ne me connaissait pas. Un détail l'interpelle. J'ai fait du baby-sitting, il n'en n'avait jamais rien su.

"Quel était le nom des familles?" demande-t-il brutalement à ma mère.

"Des familles?

_ Oui, comment s'appelaient les parents pour qui elle travaillait?

_ Je ne m'en souviens pas, et puis il n'y a eu qu'une famille, d'ailleurs."

Ma mère, terrifiée, ne pouvais plus raisonner. Elle n'arrivait pas à suivre mon père, mais comprenait que c'était grave. Ce sentiment gonflait en elle. L'intuition que, si elle trouvait le nom, sa vie allait à nouveau basculer. Ca n'avait aucun sens, mais à force d'épreuve elle avait du développer un sixième sens.

Elle suivait des yeux mon père, muette cette fois. Il s'attaquait à présent au salon, et à toute la paperasse.

"Jennings.

_ Quoi?

_ Ils s'appelaient Jennings."

Finis par murmurer ma mère.

Elle ne savait rien d'eux, ni pourquoi j'avais, du jour au lendemain, arrêté de travailler pour eux. Elle ne me posait pas de questions, préférant éviter toute confrontation possible.

Elle ne discutait pas plus avec mon père, c'est pour ça qu'elle n'a jamais su que mon père avait travaillé sur l'enlèvement du petit Sam Jennings, 3 ans.

Aucun des 2 ne pouvaient savoir que j'étais le seul et unique lien. Je n'avais jamais donné mon vrai nom aux Jennings. Modestes, il me payaient en liquide.

Les inspecteurs, dont mon père était le chef à cet époque, avaient bien soupçonné la baby-sitter, mais n'avaient jamais pu retrouver sa trace.

 

Il ne voulait pas y croire, c'était surréaliste. Comment aurait-il pu passer à côté de tout ça? Lui?

Ca n'avait aucun sens, mais il devait en avoir le coeur net.

Il se rendit au beau milieu de la nuit chez le couple. Il trouva l'homme et la femme toujours aussi éprouvés, maigres, cernés, éteints. Leur visage, lui coupa le souffle, ils collaient parfaitement à la description que j'avais faite de mes agresseurs.

Sans un mot, il leur tendit une photo de moi, les larmes coulèrent sur leurs visages, et ils se reculèrent pour laisser entrer mon père. L'homme disparu quelques secondes, puis revint, tendant à mon père une lettre écrite de ma main accompagnée de la photo d'un garçon de 3 ans tuméfié à mort. Dans une calligraphie ronde et légère, les ronds sur les i tranchant avec l'horreur de mes aveux, je les invitais à venger la perte de ce petit innocent, rue Charles Michel.

Je savais ce qui passionnait mon père. Je voulais devenir l'objet de ses désirs. Pour cela, il n'y avait qu'une seule solution : devenir victime et bourreau.

J'ai réussi mon coup puisque même après mon enterrement il a refusé de me laisser partir, me poursuivant jusque dans ce salon endeuillé à jamais.

Ses 2 dernières enquêtes sont à jamais résolues.

Je suis morte pour lui.

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