pour une poignée de sable blanc

Dominique Laurent

Quelle curieuse idée de faire l’amour à 5 h du matin !

Mais qui aurait pu voir cet étrange manège érotique auquel  se livrait cette créature de rêve ?

Les marins étaient partis à la pêche bien avant que l’aube ne se lève, les touristes dormaient enfin après des soirées de liesse bien arrosées.

Etonné par une image aussi surprenante que jouissive on aurait pu croire que le soleil, curieux de voir cette plantureuse poitrine ainsi offerte à ses bras tentaculaires, s’était levé plus tôt que d’habitude afin de mieux caresser de ses rayons ce corps de déesse.

Les vagues qui venaient doucement s’échoir sur le sable blanc semblaient accélérer leur va et vient car le ressac provoqué par cet inhabituel obstacle semblait ne point leur déplaire.

Elles venaient s’engouffrer avec gourmandise dans cet antre à peine dissimulé entre ses jambes entre ouvertes, ne laissant, en se retirant que quelques grains de sable blond comme autant de paillettes emprisonnées dans son doux duvet.

Les gouttes d’eau, éclaboussures salées, s’évaporaient aussitôt comme autant de baisers papillons éphémères se brûlant les ailes au contact de sa peau miel caramélisée.

Appuyée sur ses avant bras, le buste arc bouté, tendu comme un arc bandé prêt à décocher sa flèche, ses cheveux flottant au vent vanillé jusqu’au sable ne faisant qu’un à leur point de jonction, les reins cambrés comme un étalon sauvage, les talons arrimés au sable humide  comme une ancre jetée dans une barrière de corail, le ventre creusé comme un coquillage pour recueillir la pluie tropicale, elle fermait les yeux comme si ce simple fait allait intensifier l’orgasme qu’elle quémandait à la mer son aimée amante. Par contre  elle lui offrait ses lèvres, toutes ses lèvres gonflées, humides et largement ouvertes appelant le baiser salvateur.

Ses mains soudain semblaient vouloir s’enfoncer dans le sable comme si ceux ci avaient été des draps de satin mais, vicieux, il  se dérobait afin qu’elle se laisse aller au plaisir et qu’elle s’y abandonne sans retenue. Les vagues frappaient violemment son doux mont de Vénus, mis à rude épreuve, elle ne pût réprimer une érection clitoridienne, celle là même qui allait la faire jouir.

Son corps dérivait maintenant de façon désordonnée et improvisée par le plaisir qui ne cessait de croître, elle pouvait hurler tout à loisir car elle allait jouir, elle ne cherchait même plus à s’arrimer juste à aimer.

Tel un raz de marée le plaisir la submergea,  elle se serait noyée  dans une gerbe d écume semblable à une éjaculation superbe, si tout ce liquide ne s’était pas échappé de ses yeux sous forme de larmes de joie.

Coquillage échoué maintenant loin de son amante elle jouissait de cette petite mort après l’amour comme lorsque l’on grille une cigarette,  épuisée mais heureuse.

L’amante s ‘était retirée la laissant ainsi sans force offerte aux assauts du soleil et du vent qui voulaient eux aussi la prendre, la violer s’il le fallait.

Son dos, comme lacéré par les ongles acérés d’un amant, l’avait été en réalité par des milliers de grains de sable et commençait à la faire souffrir. La salinité de l’eau  demeurant encore en son vagin la brûlait. Les caresses insistantes du soleil croissant dans le firmament se faisaient plus drues et titillaient ses nerfs à fleur de peau. Son sang qui avait gonflé ses lèvres et toutes les zones érogènes de son corps  commençait à bouillir et son cœur, cocotte minute, ne tarderait pas à imploser  si elle restait ainsi, gisante, sur cette  plage idyllique.

Il lui fallait se lever au prix d’efforts douloureux pour rejoindre le monde des hommes qui jamais ne sauraient qu’ils ne pourraient un jour rivaliser avec cette sublime amante, elle seule pouvait lui procurer cette jouissance jusqu’à cette ultime souffrance  inhérente  au plaisir  et que l’on accepte comme une manne divine.

Elle devait vite rentrer pour préparer  le petit dej des petites têtes brunes qui devaient encore jouer en riant dans des rêves arc-en-ciel. Ces petits n’étaient pas les siens mais c’était tout comme.

Sept frères et sœurs plus un petit bâtard adopté par la force des choses puisque le père l’avait ramené un soir sans plus d’explication. Elle faisait office de maman depuis que la mère était devenue tétraplégique suite à sa dernière tentative pour mettre au monde son neuvième enfant, tentative qui s’était soldée  par un échec cuisant puisque l’enfant n’avait pas survécu laissant la génitrice dans un état de léthargie tant physique que moral. Et cela remontait à 4 ans déjà, elle n’avait alors que 16 ans.

Et puis il y avait l’aïeule qui en plus d’avoir perdu sa beauté légendaire et quasiment  mythique (on en parlait encore dans les veillées) avait aussi perdu la tête en même temps que sa fille perdait enfant et envie de vivre.

Elle se hâtait   vers la maisonnée, maisonnée qui n’avait  de maison que le nom, un F3 pour 12 et des lits pour 3.

En fait elle ne s’était pas levée tôt mais elle rentrait simplement  de son travail et comme un rituel pour se donner des forces elle passait par la plage avant de s’occuper de sont petit monde. Mais avant de trouver un repos bien mérité elle devait gérer tout ceci en bonne ménagère, frotter, briquer, donner la becquée aux petits comme au grands.

Une fois cette cérémonie accomplie dans les règles de l’art, rigoureuse et méthodique comme un adjudant menant ses troupes (seul héritage non négligeable du père qui sans doute se battait on ne sait où, mais quelque part dans un rad de l’île, contre démons et autres hallus flottant dans des vapeurs d’alcool). Elle confierait  les plus jeunes aux aînés, si jeunes eux aussi, pour aller à l’école, elle mettrait   les 2 femmes sur la balancelle devant la cabane et pourrait enfin se coucher comme boucle d’or en travers des lits encore chauds car tout juste délaissés.

-          Karen, lève-toi, c’est l’heure !

Ron la secouait avec amour mais très fermement comme un petit homme qu’il était déjà.

-          Janice est passée et te fait dire que le boss veut te voir avant que tu ne prennes ton service. Ne t’inquiète pas je ferais dîner les petits si tu veux.

-          Non, non, ça va aller Rony mais qu’elle heure est-il ?

-           Six heures pourquoi ?

-          Si on veut préparer à manger il faut tout d’abord que j’aille faire les courses. Mais avant je vais  faire un brin de toilette. Tu as goûté ?

-          Il n’y a plus de lait .

-          Tu vois,   il faut vraiment que j’aille au centre commercial.

Quelle place y-aurait-il-eu pour un galant dans cet emploi du temps de business man ?

-          Vous vouliez me voir boss ?

-          Qu’est-ce qui t’as pris hier soir d’envoyer balader  le Signor Carasco ?

-          Il était saoul et devenait un peu trop entreprenant.

-          Et pourquoi je te paye d’après toi ? Pour faire ta mijaurée tu peux aller travailler au super marché ou pointer au chômage si  tu préfères mais je doute qu’avec ta putain de famille ce n’est pas ce que tu veux, n’est-ce pas ?

-          Non monsieur mais….

-          Mais rien, sois plus gentille avec mes clients et tout se passera bien, tu es jeune et belle  je ne te demande pas de faire la pute mais c’est à toi de voir ce que tu dois faire à des clients comme Carasco ce que tu dois donner tu comprends ? Tu m’écoutes ?

-          Oui Monsieur.

En fait elle s’était réfugiée sur sa plage revivant ses ébats matinaux pour ne pas entendre donc ne pas s’offusquer des ordres du patron, cela lui semblait si réel que son entre-jambe était humide et elle avait l’impression très parano que les yeux de son boss étaient rivés sur cet endroit et qu’ils brillaient  de façon malsaine avec ce petit sourire vicieux qu’il avait quand il regardait « ses » filles à la dérobée.

Elle avait autre chose qui lui tenaillait les entrailles, quelque chose de beaucoup moins agréable que ce matinal souvenir, quelque chose qui pouvait être à la fois merveilleux et  à la fois douloureux. Ils ne s’agissait même pas des pensées libidineuses de cette fouine de Zorg Morgensen qui à côté de ses inquiétudes actuelles semblaient bien dérisoires.

Son ventre si généreusement offert aux vagues ce matin allait irrémédiablement s’arrondir  pendant tout du moins 9 mois et non, Gabriel n’avait pas  surgi  de flots pour lui annoncer la nouvelle. Ce qui la tourmentait c’était plutôt le peu de tissu dont était fait son costume de scène et qui laisserait voir très tôt son état, son cher patron ne tarderait pas à la renvoyer car elle ne pensait pas qu’il aurait la bonté, (savait-il d’ailleurs que ce mot était dans le dictionnaire ? ) de la garder à la plonge par exemple en attendant qu’elle mette au monde ce petit cul de poule supplémentaire. Comment allait-elle donc subvenir aux besoins de la smala puisque le seul salaire entrant était bel et bien le sien ?           

Non disais-je, elle n’était pas la vierge en bikini, non elle n’avait pas non plus été violée par un des clients privilégiés de son boss ni même par le boss lui-même bien qu’il ait fait d’elle son fantasme favori il n’avait pas les couilles de passer à l’acte, peut-être avait-il été émasculé, par le passé, par un mari jaloux. Son père ? Son père, aussi alcoolique soit-il, ne l’avait jamais touchée, fort heureusement sinon il serait en train de se faire bouffer les bijoux de familles et le reste par poissons et crabes dominicains.

Rien d’aussi mélo, tout simplement une banale histoire d’amour entre un touriste beau comme un dieu et une autochtone belle  comme une déesse. Mais il ne s’agissait pas d’une super production Hollywoodienne hélas. Le beau touriste en mal d’amour, exotique, érotique, de vacances prolongées idylliques et paradisiaques pensait finir ses jours auprès de cette superbe créature, entourés de jolis bébés joufflus et bronzés, sirotant des cocktails multicolores sur des plages de sable blanc au son d’un ukulélé. Toute cette joyeuse et heureuse famille serait nourrie par les produits de la mer, coquillages aphrodisiaques, chairs goûteuses des poissons bigarrés et des fruits gorgés de soleil que l’île produisait à profusion, il n’y aurait qu’à se baisser, puis baiser, puis siester. The paradis ! Mais comme je le disais il faut cesser de se prendre pour Elwis ou Marlon où tout ou presque n’est que factice et décorum et cela même un gamin de 4 ans le sait. Pour tout ce qui est nourriture terrestre  il y a les marchés et le plus cher sont les produits d’importation.

On apprend aux jeunes filles dès leur plus jeune age de ne jamais faire confiance aux étrangers qui lorsqu’ils ont épuisé leur dernier denier font mine de chercher un petit boulot qu’ils n’obtiennent jamais et en désespoir de cause, ayant utilisé toutes les ressources et tiré toutes les ficelles, décident, la mort dans l’âme, la peau bronzée, le porte feuille vidé, une goutte d’eau salée roulant sur leurs joues (larme ou eau de mer le saura-t-on jamais)  de quitter leur dulcinée. Promesse de retour il laisse leur cœur en gage comme s’ils laissaient la chose la plus précieuse au monde  alors qu’en fin de compte ils ne laissaient moult  semence qui 9 mois plus tard ferait de jolis petits bâtards.

Une bouche de plus à nourrir mais avec quoi puisqu’elle n’aurait plus de travail  sauf peut-être à la conserverie où elle écaillerait jusqu’à en vomir, ce qui se faisait déjà sans l’odeur de poiscaille.

Elle avait bien pensé à l’avortement mais si cela se savait, et cela se saurait sur une petite île comme la sienne, elle serait à tout jamais banni de la communauté elle et tous les siens qui n’y étaient pour rien mais c’était comme ça. C’était abject et mieux valait élever un bâtard en plein jour que d’enterrer un petit vermisseau à la tombée de la nuit. D’ailleurs où aurait-elle pu trouver l’argent puisqu’elle en avait juste assez  pour acheter chaque jour la farine et le lait.

L’avenir n’était pas rose sauf peut-être pour la layette, bien sûr il pourrait revenir un jour mais il n’avait pas laissé d’adresse il n’avait laissé que son cœur pensant que cela suffirait.

En même temps qu’elle jouerait les Pénélope ou les Evangéline il fallait faire bouillir la marmite. Tout en se maquillant elle réprimait les nausées qui pour elle s’adaptaient  à ses horaires et ce qui aurait dû être diurne devenait nocturne. Les cernes, qu’elle dissimulait aisément, n’étaient pas uniquement liées à son nouvel état ce qui les rendaient gérables et justifiables auprès des copines. Par contre ce ventre irréprochablement plat qui faisait bien des jalouses parmi les autres filles semblaient maladivement ballonné, elle ne pouvait s’empêcher de le regarder à la dérobée à chaque fois qu’elle croisait n’importe quelle surface qui pouvait lui renvoyer son image. Elle se voyait déformée comme dans ces miroirs de fête foraine. Si seulement elle avait pu avoir cette confiance en elle et en sa beauté qu’avait la sorcière de Blanche Neige cela lui aurait donné l’air moins coupable et les gens auraient cessé de lui demander :

-          Est-ce que tu te sens bien ?

-          Est-ce que tu es sure que ça va ?

Bientôt ce serait le patron qui lui poserait ces questions et elle ne pourrait être aussi évasive, il lui semblait avoir un nez à la place du ventre car son embonpoint se verrait bientôt comme cet appendice au milieu de la figure.

-          Allez en scène ! Qu’est-ce que tu fous ?

-          C’est bon j’arrive

-          Encore en train de rêver.

-          Tu sais ton prince charmant et bien il est pas prêt  de remettre  les pieds dans l’île.

-          Pourquoi tu dis ça ?

-          Il a du mettre une pauvre fille en cloque et il a pris la poudre d’escampette.

-          Tu dis n’importe quoi, tu es jalouse c’est tout !

-          Arrêtez de jacasser, allez plutôt danser sinon je retiens autant sur votre paye.

-          C’est sûr, ça calme

Comment se trémousser avec sensualité avec un petit être tapis au fond des entrailles qui espionnerait celle qui allait être sa mère, qui ne se gênerait pas pour juger cela indigne d’une maman et qui à peine âgé de quelques semaines lui donnerait mauvaise conscience.

Comment séduire par ce déhanchement autrefois inégalable alors qu’on a l’impression d’être comme un lamantin échoué sur une plage ?

Comment lancer ce regard qui veut dire « Veux-tu passer une bonne soirée et vider une bouteille avec moi ? » alors que l’on sait pertinemment  que l’on ne peut donner quoi que ce soit à qui que ce soit ?

Est-ce que je crois réellement au fond de mon âme qu’il reviendra, est-ce que j’y crois envers et contre tous ?

En fin de compte je suis un automate, rien de plus, rien de moins. J’ai tellement fait ces gestes tant et tant de fois, tant et tant de soirs, fatiguée, malade même absente je suis sur scène et personne ne se rend compte que je ne suis plus là. Je danse et je danse et je danse mais ce n’est pas moi. Ce corps sur scène ne m’appartient plus, c’est un outil de travail comme à un chanteur sa voix, et quand je pars au petit matin je l’accroche au vestiaire avec les autres accessoires, peut-être pourrais-je aussi y laisser mon ventre rond comme une poche kangourou montée sur fermeture éclair.

-          Vous finissez à quelle heure ?

-          Dans 1/2 heure environ

-          Est-ce que je peux caresser l’espoir de vous offrir un verre après votre service ?

-          Est-ce l’espoir que vous voulez caresser ou bien… ?

-          Loin de moi d’indécentes pensées

-          Vous ne seriez pas anglais ou homosexuel ou encore les 2 ?

-          C’est vexant Mademoiselle, mes propositions n’ont rien de malhonnêtes je peux vous l’assurer  et vous me vexeriez encore plus si vous persistiez à les croire pleines de sous-entendus à connotation sexuelle.

-          Désolée mais dans ce genre d’endroit et vu le travail que je fais tout laisse à penser qu’on n’invite pas une fille comme moi pour discuter du dernier  Paulo Coelho.

-          J’ai encore mieux à vous proposer qui vous rendra un peu moins suspicieuse à  mon égard. Je vous propose donc un rendez-vous diurne dans un lieu que vous vous choisirez, à l’heure que vous déciderez. Je ne peux pas mieux dire je crois et au fait je suis français et je m’appelle Sébastien Simon, deux prénoms faciles à mémoriser ? J’espère que cette proposition vous agréera ?

-          On peut voir, vous êtes ici pour combien de temps ?

-          Dix jours seulement, donc ce n’est pas un non catégorique ?

-          On peut dire ça mais vous devez bien vous doutez qu’à me trémousser la nuit il faut que je dorme le jour et puis j’ai toute une famille à m’occuper le reste du temps.

-          C’est quoi toute une famille ? Vous semblez si jeune ?

-          Des frères et sœurs…

-          Ah bon, je préfère

-          Ca changerait quoi pour vous si ces marmots étaient les miens ?

-          Rien, bien sûr, mais je ne vous voyais pas mère avec un corps comme le vôtre. Pour moi le corps d’un mère est plus plein, tout en courbes douces et câlines, des seins  plus lourds débordant de lait autant que de tendresse, des hanches plus larges pour porter le petit comme on porte le monde.

-          Evidemment une telle femme ne pourrait se trouver là sur cette scène à mouvoir ces attributs maternels.

-          Je pense surtout qu’une telle femme qui par le passé avait dû accepter la contrainte d’un tel travail que pour subvenir aux besoins de sa famille, cette femme une fois mère n’aurait plus besoin de le faire car l’homme responsable de son état  prendrait désormais soin d’elle et de sa progéniture. N’est pas comme cela que ça doit marcher ?

-          In a brave new world, sans doute mais pas ici au paradis.

-          Alors on en discute quand ? Quand m’expliquerez-vous comment ça se passe sur cette île aux allures effectivement paradisiaques ?

-          A quoi cela servira-t-il de tresser des liens puisque dans 10 jours vous serez reparti et que vous m’oublierez au fil des km qui nous sépareront ?

-          Ce que nous nouons aujourd’hui demeurera lié à jamais. Vous savez nous vivons à une époque merveilleuse quant au progrès dans le domaine de la communication, c’est prodigieux ce que l’on peut faire avec le net, les portables et même le courrier, et puis 10 jours aujourd’hui ne veut pas dire que ce ne sera pas trois semaines aux prochaines vacances ?

-          Je ne tiens pas à vérifier votre théorie j’ai déjà donné.

-          Et ?

-          Et je suis enceinte  et il ne reviendra pas car il n’est pas au courant et quand bien même  il le saurait ça ne changerait rien, il n’a pas sa place ici comme je n’aurais pas ma place chez lui, peut-être, au mieux reviendrait-il s’occuper de son enfant mais certainement de toute ma famille qui sans moi ne peut vivre et je le comprends.  Et même s’il me proposait d’aller vivre chez lui j’étoufferais dans un HLM et jamais je ne pourrais imposer cette séparation à ma smala.

  Les mots se bousculaient, je m’énervais toute seule, il n’y était pour rien  ce pauvre Sébastien qui voulait juste passer un peu de bon temps sur cette île, peut-être la visiter hors des sentiers battus, avec des histoires d’autochtones, des légendes qui ne se transmettent que par tradition orale et plus si affinités comme par exemple  les heures et les lieux où l’on peut faire l’amour avec le vent qui nous caresse vanille, tout en nous jetant des pétales d’orchidées. Des endroits où la nudité ne fait qu’une avec la nature parce que la nuit nous habille de velours et la lune nous pare  d’or et de diamant. Je hoquète, je pleure, lui en veut comme s’il était le père de mon enfant qui de peur semble se recroqueviller au fond de ma paroi utérine. C’est typique, ça, l’Etranger qui prend pour tous les autres et qui en l’occurrence prend pour cet étranger qu’elle a aimé et qui l’a abandonné.

-          Ne vous mettez pas dans cet état ça va sûrement s’arranger.

-          Non rien ne va s’arranger mais vous n’y êtes pour rien je le sais bien, désolée c’est plus fort que moi de vouloir mettre tous les étrangers dans le même panier de crabes et pour batifoler mieux vaudrait choisir une de mes collègues je pense qu ‘elles sont plus sociables que moi et beaucoup moins compliquées.

-          Permettez-moi de n’être pas d’accord avec vous et je préfère rester seul pendant 10 jours plutôt que d’être avec quelqu’un d’autre que vous.

Cause toujours mon petit lapin ! Ca n’allait pas remettre ça, le manque de discernement  et tout le toutim ! Au moins, celui-la ne risquerait pas de me mettre enceinte parce que ça, c’était déjà fait ! Je n’allais tout de même pas tomber amoureuse de tous les touristes moitié blanc, moitié écrevisse, sentant bon le béton humide et sale des grandes villes, de Rome, Madrid, Paris, Amsterdam ou d’ailleurs. A chaque fois que j’en voyais un je rêvais asphalte luisant à la lueur des réverbères, je rêvais building se prenant pour le haricot géant du petit Jacques, je rêvais  entrelacs de voies ferrées et murs tagués  qui s’évadent de la cité, je rêvais grands bals multicolores haute couture aux lustres des grands magasins, je rêvais de lofts blancs avec micro-ondes desservis par des ascenseurs miroirs, je rêvais théâtres  tous les soirs et cafés tous les matins, de café-théâtre le reste du temps, je rêvais l’amour sur draps de satin émeraude ou sur moquette bouclée sable. Enfin je rêvais en technicolor, sur carte postale ou sur catalogue comme vous pouvez rêver de plages au sable blond ourlées de cocotiers et parfumées d’hibiscus avec pour seule ombre celle de l’oiseau lyre passant devant l’astre du jour. Seulement on ne montre pas la misère et la saleté sur ce genre de documents, on ne peut les voir qu’aux actualités ou dans les prospectus qui demandent la charité mais la charité pour qui ?  Et non la misère n’est pas « plus belle au soleil » monsieur Aznavour elle pue encore plus.

Enfin, revenons à nos lapins et celui la même qui, s’il baisait comme tous ceux son engeance, me donnerait 30 secondes de bonheur,  il n’y a pas de mal à se faire du bien, il n’y a surtout pas de mal à vouloir se sortir de sa condition ou même y croire seulement 10 jours, 10 jours à croire que cela peut être possible, 10 jours avec celui  la, 10 jours avec celui ci jusqu’à que cela commence à se voir. Je sais, ça fait un peu, beaucoup pute, à la folie mais la fourmi doit faire ses provisions avant que la bise ne vienne. Car, gros malin celui qui me jette la pierre, ce n’est pas toi qui nourriras ma famille quand  le ventre bien rond  ne sera rond que par le fait de ma grossesse et non de la bonne chaire que je pourrais faire. Quand ces jolies rondeurs m’empêcheront d’arrondir mes fins de mois. Pour nourrir toute ma nichée je me ferais tous les touristes de l’île s’il le faut et je casse la gueule au premier qui ose me juger, le curé le premier, mauvais exemple car ce n’est  pas le dernier à vouloir me sauter et comme les autres il n’aura pas de tarif préférentiel même en invoquant son patron ou en promettant son absolution pour quelques pater noster et ave maria.

-          Alors, quelle est votre réponse ?

-          On en reparle demain je vais y réfléchir.

-          D’accord, en attendant prenez mon numéro à l’hôtel si toutefois vous aviez besoin de moi avant demain, on ne sait jamais.

-          Merci, c’est gentil.

C’était honnête et gentil, trop peut-être, enfin In cha’  Allah !

-          Karen, je peux te voir 5’ ?

-          Qu’est que j’ai encore fait ?

-          Dis plutôt ce que tu n’as pas fait.

-          Je ne comprends pas.

-          Tu n’as rien à me dire ?

-          Je ne vois pas, à moins que vous ne vous décidiez à m’augmenter ?

-          En rêve ma belle encore moins maintenant avec un polichinelle  dans le tiroir.

-          Qui vous a dit ça ?

-          Peut importe, tu ne le nies pas donc j’en déduis que c’est une bonne info et non de l’intox ?

-          De toutes façons je n’aurais pas pu vous le cacher très longtemps, je suis virée c’est ça ?

-          Ca va dépendre de toi.

-          Comment ça ? Je ne comprends pas.

-           Tu peux être définitivement à l’abris de tout toi, ton bâtard et même ta famille à une condition.

-          Laquelle ?

-          Que tu m’épouses et que tu me signes un papier qui me garantisse que toute cette  marmaille, filles comme garçons, à l’âge requis, seront mes employés et travailleront gratuitement pour moi pendant un an.

-          Quoi ?

-          Tu as bien compris  ou bien il y a quelque chose qui t’échappe ?

-          Je peux m’asseoir ?

Qui avait pu vendre la mèche, qui que ce soit c’était un homme mort ou une femme morte. Mais je pensais à cet instant même à l’étranger plutôt qu’aux filles.

-          Aurais-tu une meilleure proposition ?

-          …..

-          Silence éloquent s’il en fut ! Le géniteur n’est, bien entendu, plus sur l’île ? Il a tiré son coup au clair de lune et s’est tiré une fois le soleil au zénith en te promettant de revenir par le prochain bateau. Quant au zigoto qui veut jouer les chevaliers au service de la veuve, de l’orphelin et de la putain engrossée, je parie que demain il aura quitté son hôtel.

-          Non, il n’est pas….

-          Comme les autres ? Et celui qui t’a engrossée non plus n’est pas comme les autres car en fait, ceux qui avant lui t’avaient chevauchée ne t’avaient pas foutue encore en cloque.

-          Je ne…..

-          Je sais, tu n’es pas une pute parce que tu ne le fais pas pour de l’argent, mais ça, c’est seulement que tu es trop conne et que tu n’as pas les sens des affaires pourtant tu devrais, avec tous les frais aux quels tu dois faire face., Crois-tu que ta cabane tiendra le coup au prochain ouragan ?

-          Rony est grand et travaille un peu après l’école, il ramène aussi de l’argent maintenant.

-   Bien sûr, c’est ça qui va payer un nouveau toit et renforcer les murs extérieurs et votre         abri ? Avez-vous fini les fondations de la cave en cas de tempête ?

-          Ce n’est pas la période des ouragans ni des typhons on a le temps et mon père….

-          Ah ! Il a refait surface celui-la ?

-          Non, mais si je le fais rechercher, il viendra aussitôt pour nous aider.

-          Tu rêves de trop ma pauvre fille, mets un peu les pieds sur terre et mets donc ton cul entre de bonnes mains. Je vais le faire fructifier, moi, ton capital, ton cul c’est de l’or mais attention tu n’es pas la poule aux œufs d’or donc pas question de faire de toi une poule pondeuse, tu fais ton bâtard et stop, fini les morveux.

-          C’est mon mec ou mon mac que vous vous proposez d’être ?

-          Les deux, mon cœur, tu ne crois pas qu’avant de te donner en pâture à la gent masculine je ne vais pas me servir d’abord, il est toujours bon de goûter la marchandise avant de la mettre sur le marché et avant cela même, tu vas me faire les tests car un môme, soit, mais je ne veux pas courir le risque de choper une saloperie  et je ne voudrais pas vendre une denrée avariée, tu comprends.

-          C’est ignoble !

-          C’est ça, ma jolie, tu ne diras plus ça quand ta marmaille ira à l’école avec des vêtements tout neuf, que les aïeules seront placées dans une maison spécialisée, que Rony aura un job tout trouvé en sortant de l’école et que le pater sera en désintoxe. Quant à toi tu n’auras plus à travailler  tant que tu n’auras pas mis bas, ensuite tu auras nourrice, cuisinière, femme de chambre, tu auras ta chambre où je te rejoindrais et puis il y aura celle où les autres te baiseront…

Jamais, jamais, plutôt crever !

Je m’enfuyais sans cri, sans larme mais avec encore plus envie de vomir que d’habitude.

-          Reviens, il te reste une heure encore à faire sinon je la déduis de ta paye !

L’air était pourtant si parfumé et doux comme de la soie, elle n’avait pas envie de dormir, elle se sentait sale des propositions et des appellations injurieuses  dont elle avait fait l’objet, elle se sentait malade de doutes nauséeux, de nausées douteuses. Elle était déjà dans la chambre ou bien était-ce dans l’antichambre et entendait les  cris d’un bébé dans la pièce d’à côté mais un homme vautré sur elle l’empêchait de se lever pour aller nourrir son enfant. Elle cauchemardait tout en marchant à grands pas vers l’hôtel dont elle avait entendu prononcer le nom tout à l’heure. Les paroles du bel étranger étaient plus doucereuses  voir mielleuses, c’était  des paroles comme cela dont elle avait besoin. Elles viendraient oindre  ses plaies comme un placebo faisant office de panacée. Quand bien même elle ne devrait les entendre qu’une nuit, ce devait être cette nuit ou jamais !

Il ne paraissait pas étonné de la voir sur le pas de la porte et un sourire plus qu’amical ornait son visage d’ange.

-          Ecoute, je ne suis là que pour une oreille attentive et des paroles réconfortantes même si elles doivent être fausses et si tu peux me promettre cela je ferai tout ce que tu voudras.

-          Aucun problème, qu’est-ce qui t’arrive ?

Je lui racontais en détail toute l’histoire glauque, un bon mélodrame pour sitcom.

Mes paroles semblaient glisser sur lui comme une brise légère, doux zéphire à la surface d’un étang aux eaux sombres et stagnantes, aucun pli ni frémissement, parlais-je à un homme ou à un mannequin de cire qu’il avait posé là pendant qu’il vaquait à ses occupations ? De temps à autre un « hum! , Hum! » me confortait dans l’avis que mon interlocuteur était bien un être de chair et de sang mais ce qui m’importait surtout c’est qu’il ait un cœur.

-          J’espère que tu ne lui as pas dit oui.

-          Ai-je le choix ?

-          Bien sûr ! On a toujours le choix.

-          Il ne s’agit pas que de moi.

-          Soit, je te le concède mais il y a certainement une autre alternative.

-          Je veux bien mais laquelle.

-          Désolé, je n’ai l’esprit assez clair pour étudier le problème.

-          Mais tu l’as assez pour me sauter !

Ses paroles étaient douces et caressantes et elles n’étaient pas les seules.

-          Si tu crois que je ne pense qu’à baiser, effectivement il vaut mieux en rester là, mais rassure toi je suis aussi trop fatigué pour faire l’amour, je ne veux que te rassurer et t’aider à te calmer.

-          T’es trop beau pour être vrai, c’est louche !

-          Je comprends bien qu’après toutes ces galères tu ne fasses plus confiance mais pourtant il faudra bien t’y faire avec moi.

-          C’est vrai que pour 10 jours c’est tout à fait faisable et ça n’engage à rien.

-          Tu sais 10 jours peuvent très bien se transformer en 10 semaines, 10 mois….

-          Tu sais le père de l’enfant que je porte m’a dit  la même chose, je pense même qu’il a sincèrement cherché du travail mais ce n’est pas si simple et sa famille lui manquait et je ne pouvais le suivre avec la mienne alors restons d’accord pour10 jours, je préfère ce sera mes 10 jours de réflexion et peut-être même mes 10 derniers jours de femme libre.

-          Ne dis pas cela, n’as-tu aucune nouvelle du père ? Veux-tu en avoir ? L’aimes-tu ?   As-tu réellement envie qu’il revienne et si oui serais-tu prête à  passer ta vie avec lui ?

-          Par quoi veux-tu que je commence ? Qu’as-tu envie d’entendre ?

-          Il ne s’agit pas de moi mais de toi, de tes sentiments et de ta vie.

-          Je dois t’avouer que je ne me suis pas posé toutes ces questions  encore car les choses se sont un peu précipitée depuis que je sais que je suis enceinte. Le rêve semble être devenu cauchemar, j’étais su la grève à regarder l’horizon et attendre l’homme que j’aime, les vagues m’apportant sa force, le vent sa douceur et les nuages sont image et puis je me retrouve presque en talons aiguilles à attendre le client sur les trottoirs crasseux de la ville. Tous les hommes qui passent ont le même  visage et moi j’ai oublié le sien. Tous ces hommes me touchent et j’ai oublié ses caresses,  son odeur se perd dans les relents d’alcool et de sueur. Leurs mots orduriers ont totalement couvert ses mots d’amour. Je ne sais plus qui il est ni comment il est alors comment veux-tu que je sache si je l’aime ?

-          Ce n’est qu’un rêve.

-          Sous peu  ce sera la réalité, hélas !

-          Tu ne vas pas dire oui à ce vieux cochon, je préfère t’emmener tout de suite avec moi quitte à revenir après avoir préparer notre retour et chez moi tu pourras au moins accoucher dans un bon hôpital, avoir un excellent suivi médical, te nourrir correctement et  surtout ne plus travailler. Fini les cauchemars et vive la vie !

-          Tu oublies un petit détail ?

-          Ah oui ! Lequel ?

-          Ma famille.

-          Si je comprends bien il faut que j‘affrète un charter pour nous tous.

-          Ne plaisante pas. Si je devais partir avec toi, et cela n’arrivera jamais, tu sais très bien que ce serait avec ma famille ou pas du tout.

-          Je sais, je sais et ne sois pas aussi catégorique.

-          Si, tout à fait, c’est moi et ma famille, c’est à prendre ou à laisser, d’ailleurs mon boss l’a bien compris, lui, et sa proposition tenait compte de ce facteur sans que j’aie besoin d’y faire allusion.

-          Non, je parlais du fait que tu ne me crois pas capable de faire ce que je dis, tu penses que ce ne sont que des paroles en l’air. Suis-je aussi peu digne de confiance ? Est-ce que je te semble aussi superficiel ?

-          Est-ce  qu’on se connaît ?

-          Touché !

-          En parlant de toucher, pourrais-tu arrêter de me toucher ?

-           Ca ne te fait pas du bien ?

-          Si, mais j’aimerais dormir maintenant.

-          Ca aide.

-          Ca peut aussi déraper.

-          T’inquiète, je maîtrise.

Quel délice de s’abandonner dans les bras de…, de…., on va dire de Morphée. Ce lit immense aux draps magnolias, aux moustiquaires comme les voiles d’un bateau gonflées par les alizés vanillés, les murs si petits et dorés comme des pains sortant du four laissaient place à des  baies vitrées toujours grandes ouvertes sur le large pour que le vent puisse mieux entrer, comme tout invité de marque, accompagné d’une multitude d’odeurs sucrées-salées, mélange de bougainvillée et de poissons saumurés, de noix de coco et de varech saumâtre, les rideaux n’étaient là que pour leur ballet chorégraphié par les courants d’air, mouvance savamment  déstructurée pour jouer le modernisme, les gravures rares et décolorées parlaient d’un autre temps dans d’autres pays et puis surtout il y avait ce corps lové comme un boa aux parfums de frangipaniers. Un boa au sang chaud et un frangipanier au musc viril.  Cette image arlequinesque et surannée n’était pas déplaisante, très kitch, très soap mais malgré tout j’aurais aimé la fixer éternellement sur une pellicule qu’après on aurait égarée. Cette image du serpent  représente, soit disant,   dans l’interprétation des rêves, un désir sexuel très violent et pourtant je n’étais en quête que de douceur, une douceur infinie. Douceur dans le verbe, douceur dans le vent, douceur dans les gestes, douceur dans l’amour aussi, peace and love brother, j’aurais fumé un champ entier de cannabis pour atteindre ce nirvana, pour entendre ce chant d’éther, pour entonner ces mélopées sibyllines avec les anges ou dorer ma peau  aux flammes écarlates des enfers.  

Je dirigeais mes rêves vers ces édens  si fréquentés  et où, pourtant on ne rencontrait jamais grand monde. Il était des fleurs aux parfums secrets, il était des arbres aux branches démesurément tendues vers les cieux qui leur déversaient des pluies arc-en-ciel, il était des oiseaux aux plumes satin et des chats au pelage soie, il était des enfants aux rires angéliques et surtout il était des hommes anges de jour et démons de nuit, anges au quotidien et démons dans l’amour.

Au petit matin ce ne fut pas le cérémonial habituel, elle avait dormi en fin de compte  une heure, celle volée au boss,  plus le temps qu’elle avait l’habitude  de passer sur  la plage avec en offrande aux Dieux de la mer et des vents : elle-même. Elle avait tout de même toutes les turpitudes de la nuit à se faire pardonner mais cette fois c’était différent car elle n’avait rien fait de mal donc inutile de s’offrir en sacrifice aux éléments par contre elle serait plutôt partante pour s’offrir au Dom Juan endormi à ses côtés. Mais elle n’avait pas vraiment le temps hélas car les piafs devaient déjà s’agiter, la promiscuité faisant, lorsque l’un se réveillait c’était toute la maisonnée qui se levait et réclamait à manger. Non ce n’était pas raisonnable, non, vraiment pas. Il était très beau avec la lumière qui venait frôler son corps, pure lumière filtrée par la fine toile des moustiquaires, seules quelques poussières d’étoiles venaient se poser délicatement sur les zones épargnées par l’ombre de la nuit. L’érection matinale ne devait pas trop le faire souffrir  puisqu’il était carrément coucher sur le ventre et il avait un cul à faire pâlir de jalousie tous les Banderas de la terre.  

Comment refroidir mes ardeurs, tout simplement, comme les mecs, sous une douche bien froide accompagnée d’une petite masturbation au passage si cela s’avère nécessaire. Comme quoi on n’est pas si différentes que ça des mecs!

L’eau froide de la douche   n’est pas vraiment froide chez nous, elle s’aligne sur la  température que l’eau de mer et  c’est délectable. Dans nos hôtels nous recherchons plus le savon de Marseille que le Tahiti douche à l’aloé vera car pour nous c’est la ville de Marseille qui nous fait voyager alors que vous ce serait plutôt Tahiti. Et puis chez nous il est de coutume de se doucher à plusieurs par pure mesure d’économie mais lorsqu’il m’eut rejoint sous la douche je suppute qu’il songeait plus sodomie qu’économie et je dois avouer que je ne trouve rien de plus sexy que deux corps glissant l’un contre l’autre. Bien que cet excédent de mousse soit assez casse-gueule, c’est pour moi, l’endroit le plus excitant pour faire l’amour   même s’il faut se hâter si l’on ne veut pas terminer à l’hosto. Il faut bien dire que bandant  déjà avant de me rejoindre ce fût vite expédier et ça m’arrangeait. Je dois dire que je ne fais pas preuve d’énormément de romantisme mais l’avarice des hommes dans ce domaine fait que nous faisons hélas dans le mimétisme. Toujours pressée par les choses de la vie plus de place pour la romance et c’est triste mais c’est ainsi même sur notre île où la nonchalance n’est que cliché et la sieste crapuleuse, carte postale.

Dans ce lieu les préliminaires suffisent à me faire jouir et le seul fait de sentir un sexe dur entre mes fesses m’excite à mort. Je pourrais me passer de pénétration mais il faut bien que le monsieur prenne son pied. Quant à moi je dois avouer que j’ai réellement peur de glisser ce qui gâche un peu la fin de la partie. Par contre quel gain de temps de déjà de pouvoir se laver de suite.

Je sors et m’habille encore humide, on fait toujours comme ça sous nos tropiques car cela donne une impression de fraîcheur qui ne dure hélas que très peu de temps.

Il s’approche de moi par derrière, baisse la bretelle de ma robe tout en déposant un baiser frais sur mon épaule mais non, cette fois il faut que je parte.

Mes moineaux vont tomber du nid si je ne leur apporte pas à manger dans le quart d’heure qui suit mais quel arrache cœur d’abandonner cet amant potentiel, chaud comme les marrons que les New-Yorkais font griller dans de grandes bassines et délivrent dans des cornets (j’ai vu ça au cinéma)Je saisis sa main qui, libertine, commençait à courir le long de ma jambe, non pas que cette fois je sois réellement sur le point de partir mais parcequ’un bulletin d’alerte  était diffusé en continu depuis quelques minutes ? Je n’y avais prêté aucune attention jusqu’à présent

car le flot de musique conjugué au ressac et à mes plaintes incessantes censées faire cesser  ses caresses insensées  semblait faire partie intégrante du décor et de l’ambiance. Je pense même qu’il devait y avoir eu déjà plusieurs annonces avant que je n’y prenne garde. Un ouragan se profilait à l’horizon et avait déjà fait de gros dégâts   sur des îles environnantes, des tornades de vents de pluies et de divers matériaux ramassés sur le passage détruisaient les fétus de paille qu’étaient la plupart de nos constructions. Nombre de personnes ne voulant quitter leurs demeures périssaient en chœur et nourrissait ces mortelles rafales.

Une fois encore la colère des Dieux se faisait durement ressentir car je ne sais si Dieu existe pour aimer  mais il est clair qu’il est bougrement doué pour tuer des innocents.

Et notre abri qui n’était toujours pas terminé, et moi qui hésitais il y a encore 5’ entre rester égoïstement et faire l’amour et rejoindre toute une famille qui ne pouvait compter  que   sur moi. Quelle superbe irresponsabilité, quel superbe manque de discernement, quelle horreur mon Dieu ! Je n’étais pas très fière de moi à cet instant mais qu’aurait dû alors ressentir mon père, était-ce bien à moi de culpabiliser pour cette famille que je n’avais certes pas engendrée mais donc j’avais la lourde charge du haut de mes 20 ans. J’étais à un age où la part de futilité devrait être plus importante que la part de responsabilité, où les aventures amoureuses et les fringues et le cinéma et toutes les jolies choses de la vie et de l’amour devraient avoir plus de place que toutes les obligations inhérentes à une famille nombreuse.

Le boss avait quant à lui une magnifique hacienda à l’intérieur des terres où mes petits seraient certainement plus au sec que dans notre cabane en bord de mer. J’ai cru qu’à cet instant mon choix était fait, la raison le guidait et mon cœur  était si douloureux, alors que la panique  avait raison de ma pauvre tête je devais avoir une certaine ressemblance avec mes aïeules. Mon comportement hystérique se reflétait dans les yeux de celui qui avait failli être mon amant et plus si affinités. Ce  ne serait pas non plus mon Perceval, ce chevalier défenseur de la veuve et de l’orphelin. Si seulement le père de mon enfant était là, si seulement le père de mon équipe de foot était là lui aussi je n’aurais plus qu’à suivre le mouvement mais là il fallait que j’en sois à l’origine et je ne savais même pas quel bon sens lui insuffler. Toute erreur de jugement pouvait être fatale. 

Mon compagnon restait d’un calme olympien ce qui avait pour résultat de m’exaspérer  encore plus. Comment pouvait–on être aussi calme après une pareille nouvelle ? Il suffisait, en fin de compte d’être un touriste. Ce n’était pas sa maison qui allait être rasée, juste son hôtel un petit peu chahuté. Ce n’était pas son pays  qui allait ressembler à un vaste champ  de bataille après de sanglants affrontements entre nous, petites fourmis insignifiantes et les éléments titanesques et déchaînés. Son pays l’attendait avec quelques querelles intestines politiques et sociales.  Ce n’était pas sa famille qui risquait de n’avoir de sépulture que la boue séchée  après s’être immiscée dans les moindres recoins de nos villes ou les flots qui après avoir tout englouti sur leur passage retrouvaient  docilement leur habitacle habituel mais engrossés tout de même de veaux, vaches, cochons et leurs maîtres. Lui sa famille l’attendrait à l’aéroport, inquiète à cause d’informations alarmistes. Nos préoccupations  ne pouvaient être les mêmes. Les enjeux non plus n’avaient rien à voir. Il n’aurait pas à tout reconstruire tout en sachant que ce ne serait que jusqu’au prochain ouragan. Il n’aurait pas à pleurer sur des tombes vides puis à faire son deuil de parents, enfants et amis pour pouvoir rebâtir sa vie en se disant que le prochain enfant qui viendrait au monde était peut-être déjà destiné à devenir la prochaine offrande en sacrifice aux Dieux. Et si son décor familier change c’est grâce à chaque fois à de nouvelles constructions, le nôtre se modifie au fil des typhons par toutes les choses qu’on ne pourra jamais reconstruire faute de moyens.

Non, il ne pourra jamais comprendre mais je pourrais toujours prendre sa liasse de billets jetée comme à une putain, celle que je vais devenir par le choix que je vais faire, offerte pour tout ce que je ne lui ai pas donné mais que je donnerai à mon patron pour le salut de ma famille, cet argent que je n’ai pas mérité sauf si ça compte d’allumer sans jamais éteindre sauf peut-être d’aller éteindre un autre feu que je n’ai jamais voulu allumer. La vie est ainsi, la vie est injuste, la vie est dégueulasse, c’est nul la vie mais peut-être que la mort c’est pas mieux, d’ailleurs pourquoi le serait-elle ? Ce qui me met la puce à l’oreille c’est  sa façon d’agir, de frapper comme elle frappe, de prendre là où elle prend, d’emporter qui elle emporte et  surtout de quelle façon elle le fait, je me dis que cette manière de faire n’est pas très catholique pour quelqu’un de bien.

-          Si je comprends bien ton agitation puisque tu ne dis mot, tu as décidé de rejoindre ton cher patron, qui a certainement plus de choses à t’offrir que moi, et quoique que je dise, fasse ou promette rien ne te fera changer d’avis ?

-          C’est ça.

-          C’est tout ce que tu as à me dire ?

-          Je crois que tout est dit (dis-je en ramassant le reste de mes affaires)

-          Tu penses vraiment ce que tu dis ?

-          Le temps n’est plus à penser mais à agir ne crois-tu pas ?

-          Ne penses-tu pas que l’on pourrait agir mieux à deux ? L’union ne fait-elle pas la force ?

-          Je ne peux t’empêcher de te joindre à moi, si tu veux venir avec moi chercher les petits pour essayer de les mettre à l’abri dans les terres il faudra qu’on se sépare car il y a ceux qui sont à l’école et ceux qui sont à la maison avec les deux femmes,  peut-être même y en a t il chez les voisins ?

-          OK. On y va le problème c’est que je ne les connais pas.

-          Mon prénom sera le cri de ralliement.

-          Arrivés chez ton boss, ne me demande pas de tenir la chandelle.

-          On n’en est pas là, laisse passer la tempête, après il sera temps d’aviser.

-          Une dette est une dette, une promesse, une promesse.

-           

-          A ce moment là j’ai aussi une dette envers toi et je promets de m’en acquitter quoiqu’il arrive.

-          Attention à ce que tu dis, je me fais un point d’honneur de te le rappeler.

-          Soit ! soit ! Allons, ne perdons pas de temps et que Dieu te garde et nous protège.

-          Je croyais que tu n’y croyais pas.

-          Ca n’engage à rien et mieux vaut mettre toutes les chances de notre côté.

-          C’est vrai que ça ne coûte rien. Tu parles de vacances !

-          Au moins tu auras de choses à raconter et non pas des banalités que l’on peut trouver dans n’importe quel guide du routard.

-          Moi j’aime les banalités comme rapporter une autochtone dans mes bagages pour preuve des aventures torrides que j’y aurai vécu.

-          C’est sûr il y en a qui ne ramènent que du sable ou des coquillages !

Un vent fait de sable et d’eau nous cinglait le visage et toute autre partie du corps que nous avions eu le malheur de ne pas couvrir pour cela il aurait fallu être nomade berbère familiarisé aux tempêtes de sable. L’eau n’était pas seulement faite de pluie mais aussi d’eau de mer ce qui fait que le sable en s’insinuant dans chaque pore provoquait une brûlure insupportable de par la forte salinité de cette eau. Il semblerait qu’il n’y ait pas eu que de l’eau mais aussi du sang et des larmes, des larmes de sang, du sang mêlé de larmes. Mais nous n’avions pas vraiment le temps d’analyser la composition précise de cet agglomérat qui, plus nous approchions du rivage, nous ralentissait par sa recrudescence,  plus on avançait moins on avançait. Cette escapade qui aurait semblé si agréable quelques dizaines d’heures auparavant, ressemblait à une route pour l’enfer qu’aucun de nous n’aurait volontairement suivi. On ne sentait même plus toutes les choses qui s’abattaient  sur nous comme autant d’obstacles dans un jeu vidéo. Quelle différence entre réalité virtuelle et ce que nous étions en train de vivre et que nous relaterions si toutefois nous nous en sortions vivant ce qui n’était pas gagné car la plupart des objets volants, pour la majeure partie non identifiés,  étaient des planches brisées encore bardées de clous plus ou moins rouillés. Les plaies ouvertes qu’étaient nos bras boucliers et où s’infiltrait le sel distillé ne sauraient résister à des objets plus conséquents tels que racines tentaculaires, meubles centenaires,  gentils mammifères, aïeules octogénaires,  il fallait s’estimer heureux de pouvoir faire un pas devant l’autre car sous peu ce ne serait même plus possible de nous maintenir dans une position quasi debout.

L’île était devenue un gigantesque puzzle dont les éléments se jouaient allègrement. Il faudrait du temps avant de pouvoir remettre chaque pièce à sa place en espérant qu’aucune d’entre elle  n’eu été malencontreusement perdue.

- N’allez pas plus loin, il n’y a plus rien à faire !

-          Et l’école ?

-          Plus d’école, fuyez !

-          Vous savez ou se trouve la maison de Karen ?

-          Si vous avez un sous-marin peut-être la rencontrerez-vous ! Ne soyez pas ridicule elle était sur la plage et là où nous sommes, regardez donc autour de vous, nous   sommes à 800 mètres de la plage, alors ne soyez pas idiot et suivez-nous.

-          Merci, mais non il faut que je retrouve Karen et vous ne sauriez pas où sont les membres de sa famille ?

-          Je ne sais même pas où sont mes propres enfants alors vous savez les autres !!!! Priez et prenez les jambes à votre cou si vous voyiez ce que je veux dire, chacun pour soi et Dieu pour tous.

Je ne pouvais pas me présenter bredouille devant Karen et je ne pouvais pas ramasser n’importe quel gamin dans ce semblant de rue et lui faire croire que ce petit tas de chiffons aurait pu être un frère ou une sœur, je ne pouvais pas non plus passer à côté d’une petite frimousse épouvantée, je ne pouvais pas jouer les joueurs de flûte, je ne pouvais pas rester sourd aux hurlements autres que ceux des vents et flots déchaînés.

Je me dirigeais vers un vestige d’édifice qui avait dû être  une école mais elle était déserte et c’était tant mieux car quiconque y serait encore aurait trouvé en ce lieu, balayé par une écume bizarre presque solide, une sépulture peu orthodoxe. Je priais pour que tous les petits écoliers aient pu s’enfuir à temps mener par des adultes plus préoccupés de la vie de leurs élèves que par leur propre vie.

-          Avez-vous vu Karen ?

-           .on, .irez-vous.

Plus personne ne prenait le temps de s’arrêter ce qui fait qu’avec le grondement incessant je ne comprenais plus rien à ce qu’on me disait lorsqu’on me disait encore quelque chose. Dire que j’avais hésité. Ma sœur m’avait invité à la rejoindre, elle ses deux affreux rejetons et son conard de mari. Quelles vacances de rêve j’aurais pu passer en leur déprimante mais si sécurisante compagnie ! Alors qu’au lieu de siroter un bol cidre en me goinfrant de  crêpes dégoulinant de confiture d’airelles j’étais en train de lutter pour survivre et trouver une ribambelle de gamins dont on ferait le tri une fois au sec si toutefois il restait un petit coin de sec sur cette île dont les agences de voyages vantait le calme et l’ensoleillement tout au long de l’année, dire que s’il m’arrivait quelque chose ce serait mes deux adorables neveux qui seraient bénéficiaires de mon assurance vie peut-être même que l’agence de voyage leur donnerait une indemnité pour publicité mensongère  car telle que je connais le beauf il remuerait ciel et terre (comme si ce n’était pas suffisant ici !) pour être dédommagé des préjudices subis par moi seul. Quelle ironie tout de même qui m’aurait presque fait sourire si je ne grimaçais déjà !

Je n’avais plus qu’à compter sur ma bonne étoile pour retrouver Karen et mettre à l’abri ces petits êtres qui s’agglutinaient à moi comme des grains de raisins à leur tige et ralentissaient plus encore ma marche déjà laborieuse. Peut-être que dans le tas il y avait un des chatons de Karen. J’étais à mon tour chargé de famille nombreuse et ou l’on s’en sortait tous ou on crevait ensemble ce qui était  moins triste que de crever seul. Mais je comptais bien être un héros malgré moi pour les beaux yeux de ma dulcinée qui avait peut-être succombée déjà. Il fallait garder espoir sinon autant s’arrêter tout de suite et attendre son tour en chantant une chanson pour rassurer les plus jeunes. Il faut positiver et avancer car avancer était déjà très positif en soi car loin d’être évident dans la situation actuelle vous pouvez me croire  sur parole. Je marchais comme un automate vers une silhouette fantasmagorique ou fantomatique comme les marins étaient attirés par le chant des sirènes.  C’était ma Lorelei cette évanescente forme féminine, attirance indéfinissable mais irrésistible ou alors c’était la vierge en bikini, peut-importe j’en faisais mon but à atteindre coûte que coûte, mon Graal, caché ce sein grêle que  je ne saurais voir. Seigneur Zeus extirpe moi de ta cuisse généreuse, Dieu Neptune vomis-moi de tes entrailles, Moby Dick crache ton venin et que je sois dedans, je ne sais plus à quel saint me vouer et pourtant je ne souhaitais que de me retrouver au sein de l’île sain et sauf. Que Dieu me garde si ce ne sont ces seins qui se dressent sous cette robe légère qui fut vaporeuse et tellement sexy et qui ressemblait plus maintenant à un kleenex prêt à se déchirer. Elle était tremblante de froid et de peur, ruisselante d’eau et de colère, ses larmes ravalées lui noyaient le cœur. Elle était épuisée mais comme la Victoire sur les barricades elle traînait derrière elle une myriade de petits moussaillons qui avaient tous mis leur vie entre ses seins, ses mains, je voulais dire ses mains.

Que n’aurais-je donné pour n’avoir de préoccupation que de savoir le dosage exact de gin dans mon cocktail aux couleurs du perroquet du patron de l’hôtel.

Que n’aurais-je promis  contre l’échange d’un regard, de  son regard chaud comme les laves du Vésuve et de l’Etna réunis.

Que n’aurais-je fais pour me glisser dans son lit à l’aube rose-orangée à côté de son corps pain d’épice aux  parfums de vanille  et de cannelle.

Sans doute prendrait-elle sous son aile tous ces petits crabes qui s’accrochaient aux lambeaux de sa robe avec leurs petites pinces, elle garderait tous ceux  qui ne retrouveraient jamais leurs parents, elle qui ne retrouverait sans doute jamais « ses»  enfants, certains jours elle  les rebaptiserait du nom de Rony, Cassandra, Melissa, Ange, Mercurio et qui sais-je encore.  Qui donc irait vérifier la réelle filiation de tous ces orphelins qui de façon tout à fait inespérée n’iraient pas grossir le nombre, déjà conséquent, des petits pensionnaires d’orphelinats  de fortune qui ne manqueraient pas de pousser tels des champignons. Après la pluie ne revient pas forcément le soleil, en tous cas pas pour tout le monde. Et ceux là n’iraient non plus faire le bonheur de couples américains stériles, ils resteraient sur leur île auprès de la plus jolie maman qu’on puisse rêver.

Le calme revenait quant aux éléments déchainés car les hurlements des vents en furies laissaient leur place aux cris désespérés des survivants cherchant ou pleurant leurs disparus. Les eaux se retiraient des plages mais pas des yeux. Des cadavres de tout jonchaient ce qui fut le sol. Cadavres récents ou cadavres anciens se mêlaient dans une farandole satanique. Les cimetières vomissaient leurs zombies ce qui était le comble pour un pays où le vaudou tellement présent n’aurait pu réussir ce tour de force.

De cette boue faite des os des aïeux, des chairs tendres des enfants surpris sur dans leur sommeil, des entrailles des génisses encore grosses, des poils dressés pour l’éternité sur le dos de leurs propriétaires par la peur, du bois des bancs d’école, des pierres emprisonnées dans le béton des très rares routes, du fer des armes rouillées, de l’air  volé aux poumons dans le tout dernier souffle de vie. On pouvait imaginer que le tout premier homme aurait pu être extirpé de cette argile féconde et immonde. 

Il est vrai que les survivants connaitront une deuxième naissance et se retrouveront comme le nouveau né sortant du ventre de sa mère, nu avec tout à apprendre et tout à (re)construire.

De la glaise Dieu façonna l’homme et de la glaise l’homme façonnera la civilisation qui évoluera lentement vers l’urbanisation.

Mais pour l’instant c’était grave l’anarchie. L’anarchie dans la recherche, l’un de sa maison qui sans doute faisait partie de la nouvelle Atlantide, l’autre de son chien pauvre baudruche échouée sur les nouvelles plages puisque les limites des terres avaient déjà bien reculé, la mer gagne du terrain à chaque fois. Nous nous cherchions de petits être qui avaient sans doute le toit d’une école comme pierre tombale. Fallait-il vraiment retrouver les corps, petits fétus de paille dispersés aux vents furieux, petits pantins désarticulés, poupées démembrées alors que  juste l’évocation de ces horribles images donnait l’envie de vomir.

Le tour était vite fait, la ville petite, on saurait rapidement et très vite nos intuitions pourraient être confirmées. La longue période de deuil pourrait alors commencer mais il est regrettable  qu’il nous faille quelque chose à mettre dans un cercueil puis sous la terre pour cesser d’espérer et enfin pleurer.

Comment reconnaitre, parmi tous ces visages ravagés par les larmes, le sel, la boue, le sang, oui comment reconnaître un petit être cher ? Comment discerner dans ces sanglots, ces hoquets, ces cris, oui, comment discerner la voix de l’un des siens ?

On prenait par la main  celui ou celle (car même ça était dur à déterminer) qui nous la tendait pensant qu’il ou elle savait. Après, ma foi, on verrait le tri.

Le compte était-il bon ? Deux de plus, le fils d’un voisin, la fille d’un ami qui ne voulait pas être seul et qui ne le serait pas, c’était comme ça, on ne pouvait pas rejeter celui qui était en trop ou que l’on ne reconnaissait pas sous la croute du malheur.

La bonne nouvelle, la boite  du boss n’était plus que décombres, le patron en faisait parti car il avait du resté après que toutes les filles soient parties, il faisait ses comptes, il les ferait pour l’éternité et cette fois le maquereau aurait de vraies morues.  Bon, ce n’était ni l’heure, ni l’endroit mais un problème de moins, c’était toujours ça. Une justice dans toute cette immense injustice ça mettait un peu de baume au cœur.

Le fait venait d’être avéré par les services d’ordre, des enfants qui s’étaient rendus à l’école, aucun n’avaient survécu.

Je regardais Karen dont tout le sang avait dû refluer vers un autre corps astral peut-être, elle était diaphane, déjà presque partie les rejoindre, partie à leur recherche dans ces limbes éthérées où errent les âmes en attente, attente pour savoir leurs destinations, leurs affectations ou je ne sais quoi. Elle croyait sans doute les ramener car elle savait que leur place n’était pas là, ne pouvait pas être là.

Sa bouche béante était la porte qui donnait accès à ce monde mystérieux interdit aux vivants. Aucun cri n’en sortait ni aucun air n’y entrait pour laisser la mort s’y installer ne serait-ce que le temps de faire croire aux gardiens qu’elle faisait partie du long cortège des défunts.

Ses yeux tout aussi ouverts ressemblaient à ceux des médiums en pleine transe, blancs laiteux et opaque, vidé de toute vie. S’était à s’y méprendre si un œil averti ne remarquait cette petite veine, à peine visible sous une peau sale, mais qui battait imperceptiblement, seul signe qu’elle était encore parmi nous dans le monde des encore vivants.

Fallait-il la gifler pour que le sang regagne toutes les parties exsangues et qu’elle crie enfin comme un nouveau né qui se met enfin à respirer.

-          Karen, il faut bouger.

-          ….

-          Karen, il faut trouver de quoi manger et boire et puis un abri pour la nuit qui ne va pas tarder (car le temps lui ne s’arrêterait pas). 

-          ….

-          Karen, je t’en prie, le temps de penser à nos disparus viendra mais pour l’instant c’est des vivants qu’il faut se préoccuper.

Je joignais le geste à la parole et j’entrainais par la main toute une guirlande de petits moineaux qu’on aurait crus sortis d’une marée noire, entre la boue pas encore sèche et le goudron, il n’y avait guère de différence pour l’instant. Une douche la ferait   plus tard mais ce n’était pas la priorité.

Quand allais-je retrouver la Karen, battante, énergique, débrouillarde, la mère poule prête à en découdre bec et ongles pour la survie de ses petits.

Je ne connaissais rien de ce pays, ou de ce qu’il en restait, elle seule pourrait trouver un endroit pour la nuit, presque sec, presqu’ en sécurité, presque confortable. Elle seule savait où l’on pourrait trouver quelques œufs, peut-être même du pain ou du lait dans ce paysage en guerre.

D’après des photos d’archives on ne devait pas être très loin d’une situation d’après guerre. Quand tout est détruit,  quand tout manque, quand les morts plus nombreux que les vivants veulent prendre possession des villes ; quand au détour d’une rue des hommes armés plaquent au sol des pilleurs, quand on défend un morceau de pain à l’arme blanche ; quand des femmes hurlent à la mort comme des chiens sur les ruines de leur maison. Quand des chiens hurlent à la vie parce que leur maître est vivant sous des décombres et eux seuls le savent.

-          Karen, vers où doit-on aller ? Tu reconnais, quelque chose ?

-           Où est Rony ?

-          Il est mort Karen.

-          Il faut aller le chercher !

-          C’est trop tard Karen, regarde, il faut s’occuper des petits.

-          Je ne les connais pas !

-          Eux te connaissent, ils ont confiance, ils n’ont plus que toi.

-          Je veux retrouver mes frères et mes sœurs.

-          Ils ont morts et là où ils sont ils n’ont plus rien à craindre, tes aïeux s’occupent bien d’eux. Ils n’ont plus ni faim, ni froid, eux, si !!!

-          Leurs parents n’ont qu’à s’en occuper, moi j’ai assez des miens, ils ont besoin de moi, ils comptent sur moi, que sur moi.

-          Leurs parents sont sans doute morts, ils n’ont plus personne.

-          Ce n’est pas mon problème.

-          Karen !

-          Quoi Karen, je ne suis pas mère Thérèsa, j’ai une famille dont je suis l’unique ….

-          L’unique quoi, survivante ?

-          Non, tu n’as pas le droit (elle me frappe la poitrine de ses poings rouges cerise, et enfin elle pleure, je crois qu’elle vient enfin de réaliser)

Le temps passe, les larmes sèchent, la boue aussi, les hommes s’affairent comme des fourmis, les tentes fleurissent un peu partout d’une manière un peu anarchique. Des aides arrivent d’autres pas mais ne seront pas perdues pour tout le monde. Les camions militaires, croix rouge, verte ou juste postaux sont comme de gros oiseaux le ventre plein de nourriture prêts à régurgiter pour leur progéniture qui piaille, les petits becs grands ouverts, les yeux encore plus grands. Puis, rassasiée, la nuée s’envole pour partager quelques grains de riz avec ceux qui attendent un peu à l’écart, trop fatigués, trop vieux ou trop jeunes pour se frayer une place dans cette marée affamée et goulue, et surtout, rendue dangereuse par l’instinct de survie qui ferait tuer père et mère pour une once de farine ou un dé à coudre d’eau potable.

Le partage du peu que l’on a avec l’autre n’est vrai que lorsque l’on a réussi à obtenir quelque chose de quelque manière que ce soit.

Karen était très douée pour cela, quémender le plus, pour obtenir le moins et redistribuer le peu. Et ça marchait comme ça, au jour le jour. On guettait le ciel, essayant d’intimider les nuages trop lourds qui auraient  bien voulu  déverser leur cargaison sur nos tentes épaisses comme des feuilles de papier à cigarettes. Les seuls qui avaient le  droit de faire ça étaient les avions cargos de l’armée qui, pour ne pas se trouver pris dans des émeutes inéluctables, larguaient des vivres et médicaments qui hélas s’écrasaient en arrivant au sol et de ce fait devenaient inutilisables ou bien encore étaient récupérés par des bandes armées et organisées qui les revendraient en l’état au marché noir.  Enfin, rien de neuf sous le soleil, la misère encore une fois est plus belle au soleil mais pue toujours autant  et l’appât  du gain au détriment  de la vie d’autrui c’est sans commentaire parce que comme les putes c’est au moins le deuxième plus vieux métier du monde que de se faire du fric sur le dos des pauvres, et des  déshérités et des malheureux.

Qu’ils crèvent tous comme le patron de Karen en palpant leur pognon taché de sang, d’opprobre et de scandale.

Moi, je m’occupais de consolider notre habitat avec de la récup et Dieu sait qu’il y avait de quoi faire mais ce que je n’avais pas dit à Karen c’est que mon visa avait expiré depuis belle lurette. Dans la situation actuelle les autorités compétentes avaient bien d’autres préoccupations mais un jour il viendrait bien frapper à la porte, enfin quand il y en aurait une.

De toutes les petites bouilles une fois débarbouillées aucune ne s’était avérée être de la famille, de près ou de loin, de Karen, les aïeux, rayés des listes électorales, mais on faisait comme si !!! Ceux là n’iraient pas grossir le ventre déjà gonflés comme des baudruches des orphelinats locaux et ne prendraient pas l’avion pour assouvir le besoin d’enfants de couples stériles mais argentés et bien souvent   blancs ou encore pour combler le désir d’enfanter mais irréalisable de couples homosexuels. Le bonheur en terre promise et sèche au prix d’un déracinement, je leur  souhaite.

Un jour, des colis arrivèrent pour Karen. Son ex, mais néanmoins père du futur bébé envoyait des vêtements, ceux de sa femme et de ses enfants, et oui, quelle compassion !!!

Je voulais lui cacher mais c’était une erreur car elle aurait toujours eu au fond d’elle cet espoir secret que le père de son enfant allait revenir un jour sur son blanc destrier style  boing 747 pour l’emmener dans sa villa à côté  de Saint Raphaël ou dans son chalet à Mégève ou encore dans son loft donnant sur les vignes Montmartroises.

Il fallait qu’elle fasse aussi le deuil de ça devant ces cartons d’une famille lointaine faisant sa b. a parce que monsieur avait, lors d’une escapade dite professionnelle , trempé son biscuit un peu trop goulument dans un joli pot de glace à la vanille nappée de caramel et que la cerise sur le gâteau ne s’était pas fait attendre.

Peut-être qu’un jour, aux portes des enfers, il voudrait enfin connaître la jolie métisse à laquelle il envoyait chaque année, à Noël une petite carte et un petit billet pour s’acheter une conscience.

J’avais pris les devant et j’avais envoyé un mot de remerciement et j’en avais profité pour lui annoncer la « bonne » nouvelle, c’était une petite fille, je crois que sa femme a dû apprécié et je lui conseillais aussi de laisser tomber , j’allais prendre le relais et personne ne souhaitait le revoir sur cette île, il n’avait qu’à s’occuper de sa famille sur le continent et moi je m’occuperais de la mienne. Celle que j’avais extrait des entrailles de cette île et que j’avais constitué voir, construite.   

Il n’est pas Marlon , elle n’est pas Tarita, même si le malheur s’est abattu sur sa famille , son histoire ne ferait pas la une des journaux people et resterait à tout jamais anecdotique.

J’aime cet anonymat, j’aime l’idée de cette jolie famille aux couleurs de caramel et aux odeurs de fleurs de tiaré, de frangipanier et de vanille, aime l’idée d’un mariage dans le sable blanc chauffé par le soleil qui efface toutes les larmes avec pour seuls costumes des paréos bariolés et pour seules bijoux des colliers de fleurs tropicales aux fragrances si suaves avec la caresse des vents  sucrés pour accompagner la marche nuptiale.

Toutes ces petites mains s’agitant comme autant de colibris et jetant des pétales d’hibiscus dans toutes les déclinaisons de rouges sur nos têtes bénies par les aïeux et tous ceux qui veillent sur nous et qui dans un monde idéal auraient dû être aussi sur cette plage à partager notre bonheur . Petite pensée à nos chers disparus comme une ombre à  cette journée , petit nuage qui peu à peu rejoindra les cieux et s’estompera dans le bleu infini pour un jour s’y noyer à tout jamais pour ne faire qu’un avec les éléments.

Et ce sable soulevé par un souffle divin viendra se mélanger à nos cheveux décolorés par le soleil et la mer, je prends une poignée de sable comme on prend une poignée de sa terre natale. Je suis chez moi.

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