Poussière
david-b
Il se demande pourquoi les pyramides se situent toujours au milieu d'espaces abandonnés. Tandis qu'il prend en photo leurs longues ombres sur les dunes, le vent se lève, et c'est une tempête de sable qui s'avance vers lui. Face à cet amas de poussière, il voit alors la vie, la mort, le mouvement du désert.
Il aime faire des photographies. Depuis quelques temps, tout son travail se base sur un jeu entre la lumière et la poussière, les ombres et ces fines pellicules laissées sur les surfaces abandonnées.
Parfois, il se photographie lui-même. Il met le retardateur sur son appareil, puis pendant plusieurs jours, il reste immobile, il attend que la poussière prenne possession de son corps, et quand le jour apparait, il immortalise cet instant. Mais ça ne suffit pas.
Il contacte la police, pour se rendre sur des scènes de crime, en particulier celles qui ne sont découvertes que plusieurs jours après, quand le sang séché est éclairé par une faible lumière du jour, avec à côté, sur le parquet, la poussière qui brille, ces milliers de particules dorées juxtaposées aux globules rouges décantés.
Les clichés s'accumulent. Il démarre un autre travail. Il se scarifie le bras, et laisse le sang se déverser sur des tapis de poussière. Le sang, vif, qui fuit dans l'inertie de la poussière depuis longtemps déposée. La poussière qui remonte, doucement, dans les airs. Il prend des photos, mais également des vidéos, pour décupler le mouvement de cet art lent, délicat, l'éternelle poussière à la rencontre de l'éphémère fluide vital, la vie, qui fatalement, se dilue dans la mort.
Il se demande, qu'est-ce que la poussière ? De l'air essoufflé ? De l'air qui, après avoir longtemps plané au-dessus du monde, chute, fatigué, épuisé. Trop respiré, trop brassé, l'air qui retombe au sol, sous forme solide.
Il récupère les cendres de son défunt père, les dépose sur une surface blanche, puis il y ajoute son sang, de telle sorte à ce que sur le cliché, apparaisse le sang qui sort de cet amas de poussières noires, la vie tentant d'échapper à la mort qui, partout, la poursuit, la vie qui, trop lente à s'enfuir, est bientôt rattrapée.
C'est son chef-d'oeuvre. Il reçoit diverses récompenses, dont les plus prestigieuses. Ses travaux, désormais reconnus, prennent de la valeur. Il commence à toucher beaucoup d'argent. Mais il s'ennuie. Il a besoin d'action.
Il remplit entièrement de poussière une benne à ordure, prend un plongeoir, saute. Il est photographié à chaque milliseconde de sa plongée dans la poussière. Il garde le meilleur cliché, quand il entre dans la benne, avec deux immenses rideaux de poussière se soulevant de part et d'autre de son corps. Il nomme sa photo 'Moïse 2012'. Encore un succès.
Ses projets deviennent démesurés. Il mêle le sport à la mort, le mouvement à l'immobilisme. Il fait appel à de nombreux sportifs. Des joueurs de foot sur un terrain recouvert de cendres. Des nageurs dans des piscines remplies de poussière. Des skieurs sur des pentes de poussière artificielle, créées à l'aide de canons à poussière.
Des journalistes lui demandent s'il désire être incinéré à sa mort. Il leur répond non. Il veut être momifié. Qu'on laisse sa momie dans une salle, une sorte d'atrium où la lumière éclairerait son corps uniquement, et où l'on ne verrait que la poussière chutant lentement, dans le jour, sur les lambeaux de son cadavre.