Précipitations

leeman

"Il était tard, 22h40, lorsqu'ils se rejoignirent au croisement du parc Saint-Paul. Les deux amants vivaient de nuit, ne se voyaient que lorsque le disque de platine veillait sur nos têtes, et pendant que la partie du monde dans laquelle ils se situent dort, ces derniers se retrouvent enfin.

Les lumières sombres éclairaient partiellement leurs visages indissociables, mais quelle importance, il n'y a plus qu'eux. Au loin l'on entendait quelques aboiements répétés de façon très irrégulière, l'on sentait l'absence, le vide à travers toutes ces rues immenses et presque infinies; comme si toutes ces lueurs n'étaient là que pour donner un semblant de vie aux avenues noires. C'était l'été, et même si le soleil s'était éclipsé à l'autre bout du monde -là ou il rayonnait sur les étrangers-, la chaleur, ainsi que le temps, étaient favorables à une détente profonde. 23° régnaient dans les cieux obscurcis par la nuit. Ils ne se voyaient que très peu, cet homme et cette femme voilés par le mystère, les ténèbres; ils menaient une autre vie de jour, très éloignés l'un de l'autre, cette fois est comme une rencontre pour eux, 4 mois, 1 an peuvent passer sans qu'ils ne sachent ce qu'il en est, sans qu'il ne s'aperçoivent physiquement, ou que leurs âmes s'entremêlent. C'est ça, être amant.

Une demie-heure passa et ils n'en finissaient plus de se tenir par la main, ils n'en finissaient plus de se regarder dans les yeux,  voire de se contempler sans véritablement se voir. Les rayons lunaires devenaient formidablement doux jusqu'à caresser chacun des deux amants souffrants. Et on les entend rire -non pas fort-, on les entend chuchoter on ne sait trop quoi en se regardant encore et toujours; s'aimaient-ils? qui étaient-ils? Le banc sur lequel ils étaient assis semblait être gravé de leur présence à tout jamais, comme si le soir prochain -ainsi que tous les autres- l'on verrait deux spectres mi translucides mi opaques converser sous le syndrome de l'attirance.

Longuement après, le vent s'était levé, entraînant avec lui les quelques feuilles qui demeuraient au sol, délaissées, pourrissant, abandonnées, décédées. L'ambiance était terne, froide malgré la chaleur moyenne qu'il y avait dans l'air. La statue de Saint-Paul était dominante au milieu de ce parc immense. Grand, spacieux, propre et élégant, il était comme l'endroit cliché ou se doivent d'être les élus de l'amour lors d'un rendez-vous fatidique. Et eux étaient toujours là, encore, indéfiniment : allaient-ils partir? personne ne le savait, eux encore moins. Ils semblaient patienter, attendre quelque chose sans le voir arriver, l'espérer sans qu'il n'existe véritablement. Ils se levèrent, se baladèrent, la pluie s'était mise à tomber, d'abord par légères gouttes, mais le rythme s'était accéléré, et les gouttes ainsi que le bruit fracassant semblaient presque détruire le sol. Ils s'arrêtèrent, sous un lampadaire à demi-éclairé, clignotant, bégayant, proche de la mort -était-il vivant?-. Le tambour battant que l'on appelle tonnerre était né quelques minutes après les premiers déluges.

La pluie semblait interminable puisque depuis plus de 2h les flots divins s'écoulaient sans cesse sur leurs têtes. Ils s'étaient collés, fortement, comme pour se rassurer de la tempête. Ils s'étaient murmurés des mots doux, des mots d'amour, comme s'il s'agissait des derniers. En effet. non loin de là, la tempête ambulante arrivait: une tornade de centaines de dizaines de mètres de haut approchait, annihilant chaque objet, chaque immeuble, chaque maison et chaque vie. Tout allait être détruit dans quelques minutes; et les deux amants, bientôt emprisonnés dans cette spirale de la mort, allaient partager leur dernier moment ensemble, transportés au lointain par la nature qui les avait unis."

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