Première leçon amoureuse

La Louve Et Le Sphinx


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Je me suis marié en CM1. Le préau faisait office de lieu de célébration, une sorte de no man's land poreux entre les zones de la cour de récréation qui séparaient les filles des garçons.

À l'époque, il était facile de trouver des alliances. Près de chez moi, il y avait un distributeur de gadgets. Pour un franc, nous pouvions nous procurer des pistolets en plastique ou des colliers de bonbons. Une bague à eau allait suffire pour sceller notre hymen.

Je ne sais plus pourquoi j'avais jeté mon dévolu sur Valérie Grassart. Il serait vain d'essayer, plus de trente années après les faits, d'en comprendre la logique. L'enfance possède son propre moteur quant aux sentiments qui n'ont rien à voir avec de l'amour tels qu'on peut le percevoir avec des yeux d'adultes et ne concerne en rien les instincts de notre cerveau reptilien et manipulés par nos hormones.

En guise d'autel, nous eûmes droit à un chevalet utilisé pour la gymnastique, sur lequel était posé un mouchoir. Une assiette et un verre en Duralex ramenés de la cantine nous permirent de célébrer la messe dans tout son cérémoniel. Avec nos témoins et les invités, nous partageâmes les hosties, des soucoupes avec de la poudre acide à l'intérieur et rapportées par Jean-Christophe tandis que l'officiant se réserva le sang du Christ au goût de jus de fraise.

La période la plus délicate de la cérémonie fut, après que nous nous fûmes juré fidélité et une fois les anneaux passés aux doigts, de nous embrasser. Nous étions encore bien trop jeunes pour nous faire la bise le matin. Peu de temps avant notre union, le sexe opposé n'était encore à mes yeux qu'une espèce de pisseuses incapables de comprendre l'importance de Goldorak face aux forces de Véga. Quant à la langue, je n'aimais encore que celle de bœuf mijotée à la cocotte-minute.

Notre lune de miel fut très classique. Le voyage de fin d'année eut lieu à Paris. Avant d'aller à la capitale, nous visitâmes le château de Versailles. Ma maman s'était proposée comme accompagnatrice. Il fallut donc faire preuve de la plus grande ruse pour que Valérie me transmette une carte postale du Petit Trianon parfumée à la vanille et agrémentée d'un « À mon amoureux ». De mon côté, je dus sacrifier à l'achat d'un crayon de bois géant dont j'avais commencé la collection. Je n'eus donc pas le loisir d'admirer les rois de France qui y figuraient. Je lui offris un canevas, sans le fil qui dépassait mon budget.

Nous filâmes le parfait amour encore en CM2. À l'entrée au collège, elle intégra le tout nouveau Jacques Prévert tandis que j'allais à Henri Barbusse. A onze ans, on a vite fait d'oublier les premiers amours. Les opportunités s'accélèrent et à la préadolescence, j'étais encore trop jeune pour entamer mes chroniques et pour être rongé par la nostalgie.

Toutes mes recherches sur la toile se sont avérées vaines pour la retrouver. Sur Copaindavant, elle reste totalement inconnue. J'ai demandé à Jean-Marc Morcrette qui habite toujours à Caudry, par le biais d'une question innocente, s'il l'avait croisée. Il me répondit par la négative. C'est mieux ainsi. Il est plus sage que ces souvenirs restent là où ils sont, dans l'éther de mon innocente enfance.

PetiSaintLeu

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