Première surprise-partie

verbal-krysz

J'ai participé avec cette nouvelle au concours des éditions du bord du lot, mais malheureusement, je n'ai pas été retenu parmi les 15 finalistes. L'avantage, c'est que je peux vous en faire profiter ici. Le thème était : Le temps qui passe :

Je ne garde que de lointains, mais excellents souvenirs des premières années de ma vie.

La famille dans laquelle j’ai vu le jour était aux petits soins, toujours très attentionnée, je ne manquais ni d’espace, ni de nourriture, et la chaleur des premiers mois reste ancrée en moi à chaque hiver qui s’approche.

Les pieds emmitouflés, à boire dès que le besoin s’en faisait ressentir, il faut dire qu’à la campagne, les gens ont du savoir vivre, de l’expérience, savent écouter les conseils des anciens et les appliquer à la lettre pour le bonheur de leurs progénitures.

A chaque nouvelle saison, on m’habillait de couleurs à la mode, on me couvrait de friandises, et les autres enfants de la famille et du quartier ne manquaient pas de le souligner, sourires béats, venant passer leurs journées en ma compagnie, voir même certaines nuits.

Même si ma mémoire me fait souvent défaut concernant ces débuts dorés, les images que je garde d’eux ne sont que bonheur, joie, lumières, et les sons qui résonnent encore au creux de moi sont rires, tintements de verres, et douces chansons.

Les seuls regrets que je pourrais avoir concernant cette époque sont les longues vacances que je passais seul à la maison, car j’étais le seul à ne pas avoir le droit de voyager, et personne n’a jamais essayé de m’emmener avec lui pour voir du pays.

Mais à chaque retour de mes proches, chacun d’eux avait un geste pour moi, et le fait de sentir que je leur avait manqué suffisait à me redonner du baume au cœur.

Il y avait le petit Jeremy, qui passait son temps à venir m’étirer les bras, et avait toujours quelques minutes de tendresse à offrir à ma peau rugueuse.

Clémentine, qui avait une dizaine d’années quand je suis arrivé, me parlait sans cesse, me racontait ses journées, ses cauchemars, me posait toujours des questions dont elle n’attendait pas la réponse, avec son petit air interrogateur et plein de reproches, même si je sais bien que c’est à la vie qu’elle les faisait, il n’y a pas d’âge pour se poser des questions existentielles.

Ha oui, il y avait également ce foutu chat, qui adorait tant essayer ses griffes sur moi, s’il avait su à quel point c’était douloureux, même pour moi, il aurait peut-être passé plus de temps à ronronner à mes côtés, comme il aimait à le faire dans les bras des autres membres de la famille.

Louis et Edith, les parents, me laissaient tout de même, au fur et à mesure des années, un sentiment mitigé.

Les bonnes idées qui me ravissaient tant venaient souvent d’eux, ou en tous cas, c’est eux qui donnaient leur accord final lorsqu’un des enfants en avait une, mais les premiers mauvais moments de ma vie étaient aussi de leur fait, et ça, sans que personne d’autre n’y soit pour quelque chose.

Il paraît qu’à un moment, j’étais devenu trop grand, et que ma place n’était plus dans la maison.

Le jardin est devenu mon habitat, et les premiers froids ont été difficiles à supporter, tout comme les moments de solitude, dont la fréquence augmentait avec cet éloignement de quelques mètres.

J’avais beau les apercevoir à travers les fenêtres donnant sur la cuisine et le salon de leur petite bicoque, celle-ci n’était plus tout à fait la mienne, je m’en sentais exclu, tous ces sons familiers qui à travers le double vitrage n’étaient plus les mêmes ne me mettaient plus en joie de la même façon.

Et puis ces larmes dans les yeux de Jeremy lorsqu’il faisait trop glacial pour qu’il ait l’autorisation de sortir, devant se contenter de me regarder de loin, bien au chaud, derrière ces fichus vitres…

Continuant à grandir pendant qu’eux vieillissaient, je pouvais cependant les observer de plus en plus facilement, et j’avais encore le droit à quelques égards, certes un peu plus rares mais tellement réconfortants.

Quelques semaines dans l’année, j’étais à nouveau le centre d’attention de tous, et malgré ma taille devenue si handicapante pour vivre avec mes proches, on venait encore me rendre visite et me faire admirer ses dents en de larges sourires, et les petits yeux pétillants m’illuminaient quelques heures, quelques jours et parfois bien plus longtemps selon si j’étais réceptif ou non.

Pendant les douces saisons, Jeremy aimait à venir jouer au ballon en ma compagnie, ramenant avec lui ses copains, et les journées me semblaient passer à la vitesse de la lumière, ces enfants qui criaient et riaient à nouveau autour de moi me redonnaient de la force et mes bras se tendaient vers le ciel, cherchant à happer toute la lumière et le bonheur que je pouvais, comme si ce bonheur pouvait venir du ciel…

Clémentine avait bien grandi et avait un comportement tout autre que son frère à mes côtés.

Elle préférait venir me voir au crépuscule, et continuait sont petit rituel né de mon arrivée, me posant toujours ces questions auxquelles je ne pouvais répondre.

Toutefois, avec les années, les questions avaient évoluées, elle me parlait maintenant de ses interrogations concernant ses examens de fin d’année, me demandait si elle devait dire oui à l’invitation lancée par un camarade de classe, si après avoir dansé avec lui elle était obligée de l’embrasser, et si après l’avoir embrassé elle était obligée de… Je n’ai jamais compris cette partie, heureusement qu’elle n’attendait pas mon avis, c’était l’erreur assurée et je ne me le serais pas pardonné.

Ce camarade, qui allait devenir son petit ami, elle allait même me le présenter officiellement avant même que ses parents n’aient entendus parler de lui, une des petites fiertés que je garde encore de ces années difficiles.

Louis et Edith ont continué à prendre de la distance, ma présence ne leur importait plus vraiment, et il n’y a guère que les corvées inhérentes à ma condition qui les rapprochaient encore un peu de moi, mais je n’ai pas souvenir d’avoir vu leur mine réjouie, ne serait-ce qu’une seule fois dans ces moments là.

Lorsque Clémentine et Jeremy sont venus m’annoncer que la maison allait être vendue, et qu’ils allaient se rapprocher de la ville, j’ai d’abord cru que ça pourrait nous rapprocher, que l’espace familial serait redéfini, que ma taille imposante allait être prise en compte et que cette nouvelle étape me ferait redevenir membre de la famille à part entière.

Hélas, ce bel espoir prit fin lorsque les enfants, quelques semaines après cette annonce, étaient venus chacun leur tour me dire ce qu’étaient des adieux.

Jeremy, dont les bras avaient grandis, mais bien moins que mon corps, pleurait à nouveau de ma faute, essayant de me serrer tout entier contre lui.

C’est en sentant ses larmes couler contre moi que j’ai compris définitivement que je ne serais pas du voyage, que je resterais dépendant de la bonne volonté des habitants suivants, si toutefois il y en avait, des habitants et de la bonne volonté.

Qu’allais-je devenir, seul, sans personne pour s’occuper de moi?

Clémentine était venue en début de soirée, comme à son habitude.

Elle me demandait qui allait bien pouvoir l’aiguiller sur ses choix maintenant qu’elle ne me verrait plus, qui allait pouvoir la consoler lorsque ses notes étaient mauvaises et ses amoureux insupportables, et moi…

J’étais toujours incapable de lui répondre.

Juste avant de partir, elle avait même écrit son prénom sur ma peau, en me disant que comme ça, je ne l’oublierais jamais, et que de son côté, elle me promettait que je resterai son seul et unique confident, précisant qu’elle parlerait à ce cheveu qu’elle m’arracha délicatement.

Les parents?

Vous me demandez si les parents sont venus me saluer, s’ils se sont rendus compte de la peine qu’ils faisaient à tout le monde en me laissant ici?

Autant rester muet.

Cinq années de calvaire se sont enchaînées, sans que personne ne se soit soucié de moi, à commencer par l’arrivée de ceux qui avaient acheté la maison.

Ils sont venus, on regardé la maisonnette avec un air dédaigneux, ont jeté un vague coup d’œil dans le jardin, pas même un petit arrêt sur moi, et sont repartis, avec leurs petites serviettes en cuir à la main, sans jamais se retourner.

Deux ou trois semaines plus tard, la maison de ma famille a été détruite, petit à petit, avec des machines, des masses, des pioches, puis plus rien, une fois de plus.

Et mon premier hiver seul dans le jardin, sans la moindre visite, sans le moindre sourire, sans la moindre chanson pour me réchauffer le cœur.

Les ruines de la maison sont restées ainsi durant toutes ces années, personne ne venait plus, même pas les acheteurs et leurs serviettes d’homme d’affaire…

Alors tout doucement, malgré les saisons chaudes qui revenaient régulièrement pour me sortir de ma torpeur et de mon désarroi, je me suis éteint, petit à petit, n’ayant plus la force de vivre pour moi seul.

Je ne savais pas encore ce qu’était la mort, mais je souhaitais y sombrer, car la vie n’était plus rien, seul, sans aucune utilité sur cette terre, même les oiseaux ne venaient plus me rendre visite.

A la toute fin de l’automne de la cinquième année, des voix sont venues troubler mon coma à la tombée de la nuit, je ne savais plus si je devais être content ou non, ma dépression et mon état de fatigue m’ôtaient toute envie de réagir.

Les deux grands gaillards qui s’approchaient ont soudainement commencé à s’adresser à moi, en des termes dont je n’avais plus souvenir qu’ils existaient.

-« Tu vas voir mon gars, tu vas être le roi d’la fête!

-Il est magnifique mon Gilou, t'as raison, il va venir avec nous, c'est une aubaine!

-

-On va l’habiller comme jamais il l’a été, et avec la musique autour, et toutes les animations, ce sera le plus beau et le plus majestueux de tous ceux qu’on a vus dans notre carrière! »

Mon cœur s’est remis à battre la chamade, je me suis réchauffé comme jamais, oui, j’avais bien entendu, ils allaient m’emmener avec eux, j’allais être le roi de la fête, comme au bon vieux temps.

J’aurais de nouveaux amis, une nouvelle famille, de la musique, je n’en ai plus entendu depuis l’époque ou j’habitais la maison, si il y a musique, il y aura des chants, une vraie surprise-partie, ma première vraie surprise-partie d'adulte!

Une douleur intense m’arracha ces belles images que j’avais en tête, et lorsque je me suis aperçu de ce qu’ils me faisaient, je réalisais qu’en fait, ce serait également ma dernière surprise-partie…

Mon tronc scié à la racine, ils me traînaient jusqu’à leur camion, et même si leurs échanges étaient toujours aussi joyeux, ils ne calmaient pas la douleur.

Ce sera la dernière fête du condamné, j’espère au moins pouvoir en profiter un peu, rester en vie encore quelques jours, quelques semaines peut-être.

Maintenu artificiellement par des morceaux de métal alors que garder mes racines aurait été bien moins antalgique, paré des guirlandes les plus jolies mais également les plus lourdes que je n’ai jamais eu à porter, entendant malgré mes forces qui me quittent les notes du manège tout proche, tentant de regarder fièrement les visages qui s’amoncellent dans les nacelles de la grande roue, il est vrai que la place Charles de Gaulle de Lille est un bien bel endroit en cette saison, même quand ça sent le sapin.

Entre deux vociférations appelant à l’achat de tickets, de marrons, de bonnets clignotants et autres plaisirs de noël, à la grande joie des parents, un timbre de voix retient mon attention.

-«  Jeremy, regarde! Le sapin!

-Quoi, quel sapin?

-Le grand devant ton nez, idiot, regarde son écorce!

-Ho, c’est ton prénom?

-C’est notre sapin Jeremy, il nous a suivit, mais comment il a fait? »

Et nous avons pleuré tous les trois, ensemble pour la dernière fois, bercé avant de m’endormir définitivement par une question de Clémentine, comme au bon vieux temps.

Sauf que cette fois ci, je voulais répondre.

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