Prêt sans intérêt

nambul

Deux piges qu'elle bossait dans un fast-food pour un salaire de misère, à supporter les blagues les plus grasses des collègues, à afficher son sourire comme son principal outil de travail. Une morale teintée de rose, c'est ce qu'on lui avait demandé à l'entretien d'embauche. Ses parents avaient fait un scandale lorsqu'elle leur avait annoncé que les études, c'était terminé. Ils ne lui versaient plus les cent malheureux euros mensuels avec lesquels elle s'était démerdée pendant trois ans, elle ne comptait plus que sur elle même. Alors boîtes d'intérim, alors CDD de deux mois, et puis enfin un contrat à durée indéterminée. Un boulot de con, bien sûr, mais l'appartement qui allait avec. Elle l'espérait. Marie l'hébergeait depuis six mois, le temps que tout se mette en place mais empiéter sur l'espace privé de quelqu'un qui galère autant qu'elle lui était insupportable. Alors, après deux ans d'un salaire mensuel et immuable, elle avait demandé un prêt, le genre de truc qui soulage six mois et que tu subis le reste de ta vie. Mais elle s'y était abaissée. Sauf que pour obtenir un prêt, il faut prouver qu'on en a pas besoin. C'est ce que sa conseillère lui avait fait comprendre derrière son rouge à lèvres éclatant et son chemisier blanc de fille de riche, sortie tout droit d'une école de commerce payée par papa. Elle avait appelé le sien, de père, se sentant humiliée une nouvelle fois, pour lui demander d'être son garant ou au moins de l'accompagner au rendez-vous, de donner plus de poids à sa requête. Répondeur, depuis trois semaines.

Elle s'était trompée, elle ne regrettait rien mais elle avait tort : elle était incapable de faire face aux forces d'un monde qui ne tenait pas debout. Seule, elle avait séché ses larmes et étudié ses options. Elle n'en avait que deux. La première, sauter un riche célibataire, faire un peu briller ses yeux, quelques formules d'amour à apprendre par coeur et le tour était joué, elle aurait un logement et de l'aide le temps d'avoir une situation stable, une indépendance. Il lui fallait encore s'écraser, tomber plus bas que terre et rentrer dans le jeu de la manipulation, elle n'était pas comme eux. Alors elle avait choisi l'autre.

Elle entra dans la banque et sortit un cutter. Elle ne tuerait personne, elle ne le pouvait pas. Mais pour une fois, rien qu'une fois, elle serait menaçante.

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