Produire français

divina-bonitas

Oui, c'est à mon sens une évidence. Fabriquer et acheter de préférence localement, histoire aussi de ne pas polluer la planète en kérozène. Des années que je pratique les deux, autant que faire se peut, d'autant que je suis une phobique de l'avion, le cauchemar des pilotes, suis pas beaucoup plus à l'aise sur l'eau. Donc je décide de faire faire ma gamme de maillots de bain en France. Comme on dit au nord de la Loire, on n'est pas rendu! Trois ans que je ferraille et pitonne pour avoir une poignée de prototypes. Les fabricants de dentelle m'ont dit qu'ils ne fabriquaient que pour des grandes marques, la haute couture, que donc moi et mes petites séries, je pouvais aller me faire cuire un oeuf. Je cherche un beau rouge vif, que mon fabricant n'a pas. Lui a un rouge limite bordeaux qui ne me plait pas. Je trouve un fournisseur à côté de chez moi qui fait un beau rouge qui ne déteint pas, résiste à l'eau chlorée et salée. Je lui demande, naïve, s'il serait intéressé par un accord avec mon fabricant. Réponse: on ne vend qu'en grande surface. Je veux des échantillons de fils tissés afin de me rendre compte de ce que donne le bleu turquoise et le pistache sur 15 cm2. Impossible rétorque mon prototypeur. Lundi, je lui ai envoyé un mail, toujours pas de réponse. Quatre fois qu'il refait un modèle qui curieusement n'est jamais symétrique. Un peu gênant d'avoir la fesse qui dépasse plus à droite qu'à gauche. J'avais demandé un volant sur un modèle, qui arriva. Sauf qu'en portant le maillot, le volant ne volante plus, cousu trop serré, trop chiche. Dans cette entreprise, ceux qui fabriquent sont des hommes, qui me disent que mes maillots, pour des femmes d'un âge, cancéreuses parfois, sont trop décolletés, échancrés, sexys, qu'il ont retouché le modèle pour qu'il soit plus "convenable." Quand je demande un 42/44, j'obtiens un 34/36, parce que les autres clients ne fabriquent que pour les minces et les jeunes. Je demande un devis pour un nouveau modèle et l'ai, avec un peu de chance, au bout de plusieurs relances. Je trouve un autre fabricant qui fait un produit complémentaire et questionne les deux pour savoir s'ils voudraient travailler ensemble. Réponse: "Ouh là, on verra, nos machines ne permettent pas de...il faut nous commander au moins 10 000 mètres..." Je poursuis sans relâche mes efforts mais, quelle énergie dépensée!  Parallèlement, je constate que les ouvrières de Lejaby veulent conserver leurs postes. Super! Mais quand j'expose à la plateforme textile technique mon projet en lui disant qu'il pourrait peut-être intéresser ou être exploité par un fabricant de lingerie et maillots français en perdition, je me fais envoyer aux pelotes. A l'inverse, je constate qu'un reportage important sur France 2 montre la réussite économique et financière d'un fabricant de pulls en cachemere qui fait fabriquer en Chine, tout en asséchant les plaines chinoises et en condamnant les nomades à la sédentarité, puis à la précarité, du fait que les chèvres n'ayant plus rien à brouter, il faut ralentir l'élevage et la production, d'autant qu'à cause de cette sur-exploitation des terres, des vents de sables s'abattent sur la côté ouest des USA. Cherchez l'erreur! Bonjour la réussite. Un gars qui en plus ne connait pas les salaires des employées chinoises et n'a à l'évidence aucune intention de le faire, se glorifiant de son succès au pied de l'avion qu'il prend avec ses containers. 

Puis j'essaye d'acheter français. Réponse de beaucoup de vendeuses dans les boutiques quand je leur fais remarquer que c'est fait en Chine ou à l'autre bout de la planète: "Tout est fait là-bas maintenant vous savez, sinon ce serait trop cher pour vous". C'est faux, mais comment le leur faire entendre? Quand je dis que j'achère Bio de production locale au marché à 500 mètres de chez moi, ou naturel au GAEC du village d'à côté, à défaut d'acheter des paniers Bio, que ces produits sont moins chers que ceux bourrés de pesticides à l'hypermarché du coin qui ont fait le tour de la planète, on me regarde comme si j'étais une extra-terrestre ou une menteuse. Or, il ne me semble pas qu'acheter 25 euros de fruits et légumes par semaine pour six/8 personnes soit absolument exhorbitant. Lorsque je cherche la provenance des produits sur les étiquettes, tiens, comme par hasard, sauf pour quelques uns, impossible de savoir d'où provient par exemple, la viande des raviolis. La composition y est, mais rarement la provenance, juste parce que rien n'oblige les fabricants à le noter. Quand je fais faire des semelles pour un de mes enfants qui a un pied creux, la podologue me dit: "L'idéal pour mettre les semelles ce sont les Converse", made in China. Je tente d'aller dans une boutique de chaussures pour enfants, où les maigres modèles proposés sont si moches, des bottines orthopédiques ringardes que je portais déjà il y a 40 ans, que mon fils refuse de les porter. Pas de chaussures pour ados à la mode dans les boutiques. Je me rabats sur des Vejà faites en Amérique centrale qui ont au moins le mérite d'être conçues selon les règles du commerce équitable. Enfin, je l'espère!  

Conclusion: il est louable et souhaitable de produire et d'acheter français, mais ceci nécessite à mon sens non seulement un effort collectif de part et d'autre, mais aussi une vraie démarche pédagogique auprès des consommateurs, en plus de réels efforts de l'Etat pour favoriser les entreprises qui choisissent de faire fabriquer en France. Or, aujourd'hui, qu'on fasse fabriquer ici ou ailleurs, aucun entrepreneur n'a à y gagner, sauf une phobique des transports aériens et fluviaux comme moi, à l'esprit écolo, qui vient de s'acheter des lunettes rouges comme celles d'Eva Joly! 

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