Prologue
Rébecca Brocardo
Je suis entre la vie et la mort. La vie pleine de prémices, la mort pleine de promesses. C'est un voyage de l'esprit libéré de ses barrières : la pensée, le corps, le temps. Mon esprit se connecte à la gestation universelle, où gravitent les vérités éternelles. Plus grand que la solitude, c'est l'absolu. Ici sont nés l'idée-cellule, l'envie-germe, l'image-titre, le désir-perle de cette histoire. Les mots n'existaient pas séparément que dans ces concepts. Ils avaient besoin d'énergie pour devenir matière. Matière à créer. Il fallait créer le lien avec la vie, pousser le raisonnement jusqu'à la mort. Je redevenais potentiel, poussière d'étoile, énergie cosmique chargée de mémoire.
J'étais une créature dans un temps : un être humain. Si je devais témoigner de ce qu'il s'est passé, je dirais que j'ai flotté, tel un astre en chemin dans l'univers, en orbite autour d'un mystère. Je manquais d'ancrage, je ne savais pas exactement d'où je venais, si j'avais une histoire. Quand on n'est pas tranquille, l'idée de tourner en rond indéfiniment ne plaît guère. La perspective de s'écraser sur un objet était-elle préférable ? Les générations semblaient être régies par leur propre phylogénèse. J'aurais pu demander leur intention à mes géniteurs. M'attendaient-ils ? Pourquoi ? Je les percevais sur un autre plan, je me trouvais ailleurs dans le mien. À présent, je me vois en autoscopie. Mais ce n'est plus moi, c'est elle.
La communauté horizontale l'attirait loin de sa famille verticale. Les deux permettaient de se repérer dans les axes. Elle était touchée par les personnes-piliers qui pouvaient construire d'autres trajectoires, ceux qui disaient : « je sais qui je suis ». Savez-vous qui vous êtes ? Vu d'ici, c'était une femme dans un monde arbitraire qui a vécu, un peu, sans information, dans la grande tradition féminine de l'insécurité et du fais-comme-tu-peux, avec une conviction : mourir fille et non mère, fût-ce le début de l'extinction de l'espèce, épargnerait à sa lignée de tourner en rond.