Prologue 3eme roman : Même Pas Cap !

Laurent Moreau

On se dit que parfois fermer sa gueule est un gage d'intelligence. Le rouge qui tache et le caractère hautain de la nature humaine nous offrent aujourd'hui un point de non-retour. Nous sommes à la fin du repas et on est tous d'accord pour dire que c’est une belle connerie.

Pour mieux le comprendre, petit bond dans le passé

19h30 : Apéro

 Le rituel commence, personne n’est en retard. En débauchant plus tôt pour certains, en préparant cet évènement avec attention pour d’autres, ils n’auraient manqué ça pour rien au monde.

Nous découvrons cinq potes d’une trentaine d’années rigolant en parlant de prout comme des sales gosses qui auraient jetés une bombe puante dans les toilettes des filles.

Tout a commencé il y a dix ans quand Lucas, le comique du premier et même second service, a proposé à ses autres meilleurs potes de se retrouver dix ans après leur Bac. Parti à cause d’une chanson à la con de Patrick Bruel, ce défi fut relevé par deux boutonneux, un fan de guimbarde, un Apollon déluré et un comique souvent pas drôle.


Jamais Nico, Bruno, Lucas, Ludo et Manu n’auraient loupé ce moment. Et pour cet événement, ils se retrouvent tous les cinq comme de gros poivrots autour de plusieurs bouteilles de pif et d’une entrecôte-frites dans la brasserie PMU où ils venaient jouer au baby. Cette kitscherie Made in France fut sans doute une bonne idée. Mais les picons bière et les caractères disparates ont fait que de simples retrouvailles ont fini en gros truc qui part en couilles.

Pour le moment, on en est encore à la bière…

20h30 : salade campagnarde

Accompagnant des gros morceaux de lardons perdus au milieu d’une salade pas trop verte, nos amis ont choisi un Graves de 2002.

En comparant leur trogne de jeunes cadres dynamiques avec les photos de classe de la terminale 3, on remarque que 10 ans c’est un bon chiffre pour combattre l’acné. Les carrures se sont formées au niveau des épaules pour certains, pour d’autres c’est la partie où se situe le nombril qui a triplé de volume. Manque de sport, bouffe dégueulasse, soirées en boîte et autres excuses, cela permet aux ventres gluants d’avoir la conscience tranquille.

Le seul truc qui n’a pas changé pour nos cinq lurons : le célibat. A deux doigts de la trentaine, nous avons  affaire à cinq jeunes avec début de rhumatisme qui déambulent autour de filles sans jamais se poser. Elles ont goût de miel mais jamais ils n’atterrissent, trop peur de rester collés. S’ils avaient un choix à faire ils prendraient en mariage Jack Daniel’s plutôt que Madame Figaro.

Trente ans, c’est pas si vieux, et puis y’a personne pour nous faire chier quand on regarde Téléfoot.

21h15 : Entrecôte-frites

On ne parle pas la bouche pleine, on préfère se marrer le verre vide. En dix ans les choses ont tant changé... Anecdotes, expériences, relations, tristesse, vantardise… Après avoir parlé du passé, de leur taff, de leur voiture et du meilleur lieu de vacances au monde, ils arrivent enfin au sujet tabou qui a fait tellement couler de larmes (surtout pour les deux boutonneux…) : les filles. Etalant des tableaux de chasse non validés par le livre des records, chacun rajoute au fur et à mesure que les minutes s’écoulent une fille dans le calepin. Les blagues les plus grivoises circulent sur chacun. Les compliments ironiques, talent de certains, sont des réparties faisant mouche à coup sûr.

Ce combat d’ami(thomanes) hausse le ton.

_ T’as vu ta gueule, t’es incapable d’aligner trois mots, toutes les meufs que tu rêvais, je les ai eu, t’as plus les boutons mais il te reste les cicatrices, comment un mec avec 6 en sport il y a dix ans peut-il tremper aujourd’hui, t’es pas beau, calvitie de pré-trentenaire, tu sais choper que des vieilles, tu vas chercher tes chéries à la sortie du brevet des collèges, tu t’épiles à blanc pour faire croire qu’elle est plus grosse, tu t’habilles encore comme un ado de 16 ans, tu gagnes à peine le SMIC, tu trouves des filles plus vénales qu’anales, à 28 ans tu leur proposes encore un Ciné Macdo, tu rencontres tes copines en boîte comme ça elles t’entendent pas parler, tu fais peur, t’as vu ta caisse, tu devrais mettre du déo, l’odeur c’était pas obligé, tu pètes toujours au nez de tes copines quand t’es dans leur lit?, les seules qui veulent de toi ce sont les poilues, t’as toujours tes trois tétons?, ça fait quoi d’être seul?

C’est cette dernière cruauté qui a fait que toutes nos insultes se sont arrêtées. En plus les frites étaient froides et il n’y avait presque plus de mayo. On a enterré la hache de guerre, le temps de manger notre viande ou peut-être en attendant de déterrer le bazooka…

22H45 : Fromage (et pain) suivis de près par le dessert.

Du camembert de Normandie avec le goût mais surtout l’odeur. Quatre crémiers sont morts asphyxiés pour pouvoir nous offrir ce plaisir crémeux. On espérait y voir un asticot mais l’odorat de celui-ci n’a pas supporté les effluves fromagères. A la table, tout le monde se régale, cependant je ne sais pas si c’est le moelleux du clacos, les 12,5% du Pessac-Leognan ou l’amidon du pain mais après une trêve de courte durée, le sujet «j’étais un bizuth hier et aujourd’hui je t’emmerde» vient de ressortir du placard.

Le ton monte, la vue baisse, les piliers de comptoir déblatèrent des phrases incompréhensibles, ou peut être que celles-ci sont des mots de neuf syllabes.

On reparle du lycée, des conquêtes, de ce fameux top trois, les trois plus belles filles de notre fief. Des filles tellement dingues qu’elles ne sortaient qu’avec des cons de vingt-cinq ans incapables de draguer des filles de leur âge. En tout cas, en persévérant, certains auraient bien mangé de la glotte.

23H04 : Le dessert est apporté à la table.

Les serveurs ont dû jouer à la courte paille pour savoir qui déposerait cette omelette norvégienne dans les assiettes de nos compères. Bien évidemment, c’est une serveuse de 19 ans et 48 kilos qui se retrouva face à cinq loups cuités. Heureusement pour elle, le calva de 1986 qu’elle portait à bout de bras a eu raison des énergumènes.

Mais c’est aussi la goutte de calva qui a fait déborder le vase car à 23h11 un pari stupide transforma un combat de prose en un combat d’action. Ce bout de nappe où les règles ont été inscrites se trouve désormais au musée de la bêtise humaine entre la photo de l’homme qui s’est arraché l’oreille avec son javelot et la vidéo d’un homme essayant de faire sa première fois dans le nombril de sa compagne.

Voici mot pour mot l’inscription indiquée sur cette nappe.

En ce vendredi 21 mars à 23h11, un pari met en jeu talent de séduction et puissance de persuasion.

Notre enjeu, retrouver une des trois filles qui constituaient notre top inaccessible durant nos années lycée. 

Sophie Agarde , Eva Moliski, Barbara Anna.

Une fois retrouvée

Le premier d’entre nous qui, par tous les moyens, aura fait tomber amoureuse l’une de ses proies gagnera ce pari.

 

Tous les moyens sont bons pour réussir, les perdants devront s’avouer vaincus et annoncer leur défaite publiquement. Nous verrons enfin qui de nous cinq est aujourd’hui le meilleur.

 

Signatures

 

Nicolas Robin      Bruno Auget        Lucas Kaa     Ludovic Gonzalez     Manuel Brez

Voici la véritable histoire de cinq cons frères se connaissant depuis la primaire qui ont joué avec le feu au point de s’en brûler l’anus…

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