Promenade

laventure

Sur l'estran du cormoran, une mouette est venue me voir et m'a demandé ma main. Je lui ai répondu que mon coeur était déjà pris, qu'il était déjà aimé. Pour me faire pardonner ce mensonge, je lui ai donné la plume avec laquelle je t'écris. Lisant dans mes yeux le sacrifice de mon présent, elle m'a alors proposé de m'emmener avec elle, de me prendre sous son aile. Docilement, je me suis serré contre son ventre jusqu'au lueur de l'aube

Nous sommes partis au matin vers le nord, poussés par le noroît, ce vent violent du Canada qui traverse l'océan. Nous avons survolé les côtes rocheuses de Cornouailles, il n'est pas te mentir que de te dire avoir senti sur la lande de Bodim Moor, l'odeur des fleurs des chardons sauvages. Ce parfum délicieux que certains amants délaissés essaient d'attraper toute leur vie durant.

Sur les terres d'Islande, la mouette s'est arrêtée pour un visage buriné par le sel et le vent. Ils ont discuté ensemble sans relâche pendant nuits et veillées. Je me suis enivré jusqu'à plus soif de leurs paroles prononcées. J'ai appris à connaître la solitude du pêcheur, j'ai abreuvé mon esprit des fureurs de Scylla, je me suis initié au maniement du verbe et de l'élégance, je me suis affranchi des combats contre l'hypocrisie et l'importance. Le soir de notre départ, j'ai serré fort le vieux marin dans mes bras, aussi fort que mon corps me le permettait.

Après avoir affronté neige et blizzard, nous nous sommes posés au pays où il fait toujours nuit, où il fait toujours froid. Sur le sol glacé de sa demeure, un Inuk m'a éduqué à réchauffer les coeurs. Il m'a dit qu'il fallait toujours prendre un coeur amoureux, les autres sont sans passion. Il faut le prendre délicatement bien au creux de ses mains pour le rassurer, le rapprocher de sa bouche et lui parler. Lui parler avec des mots qu'il comprend, surtout pas de mots compliqués qui ne feraient que l'embrouiller. Il faut lui parler d'amour, de rosée du matin, de lendemains à inventer. Des fois aussi, il faut le faire rigoler. Pour le faire rigoler, l'Inuk m'a dit qu'il fallait l'embrasser, l'embrasser tout le temps, partout de la tête aux pieds ... Je me suis étonné en regardant mon coeur dans mes mains, car de ce coeur je ne voyais ni tête, ni pieds ? Alors l'Inuk s'est esclaffé et m'a dit : « Voilà, tu vois tu as souri, tu as presque réussi !!! ». Oui j'avais souri, pour la première fois depuis mon départ. A force de l'aimer, le coeur confié s'est réchauffé. Une âme en peine à qui il appartenait est venue le chercher. Elle m'a remercié de mille feux, de mille baisers.

Mais déjà nous devions repartir. L'Inuk une dernière fois m'a rappelé : « N'oublies pas, un coeur amoureux !!! et rien d'autre, sans ça tu n'y arriveras pas ». D'un geste de la main, je l'ai remercié pour toute la bonté que j'avais accumulé.

Au rives du Gange, nous nous sommes baignés, cela nous a fait du bien de nous réchauffer. J'ai dit à la mouette qu'il était peut être temps de rentrer, de retrouver la plage de Douarnenez, que déjà tu me manquais. Elle m'a répondu qu'il fallait savoir être patient.

Prés d'un champ, nous nous sommes assis. Plus d'une année sur la terre brulante nous avons jeûné. Et puis est venu un jeune paysan, nous l'avons regardé labourer le limon des entrailles. Nous l'avons vu sculpter le sol de lignes de vie. Le mouvement des semences a attisé notre appétit. Dans les pousses de blé, nous avons goûté le rire des enfants qui se cachaient des grands. A la fenaison, nous avons entendu le bruit des faux que l'on aiguise. Enfin, nous avons aidé à coucher les épis bien grainés et nous nous sommes délectés de galettes et de vin de Sula.

Il était maintenant temps pour nous de revenir.

La mouette m'a reposé sur l'estran du cormoran, m'a redonné la plume que je lui avais offerte. Avant de s'envoler, elle m'a dit qu'elle serait mon messager, au contraire des hasards qui comme tu le sais ne seront jamais là pour ça.

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