Psy-schisme -chapitre dix-neuvième

Juliet

20 juin 1994.

"J'entends..."
-Monsieur, réveillez-vous s'il vous plaît. Il est sept heures du matin.
"J'entends un bruit. Depuis combien de temps ? Il y a ce bruit qui me trouble."
-Monsieur...
-C'est inutile. Je suis réveillé depuis longtemps, vous savez.
-Je suis désolée. Il vous faut vous lever. Votre petit-déjeuner sera apporté dans un instant.
-Merci, je n'ai pas faim. Et il est inutile de me traiter comme un handicapé.
-Inutile, inutile, vous n'avez que ce mot à la bouche.
-Vous vous trompez de section ! Moi, je suis en psychiatrie. Pas chez les blessés graves.
-Bien, je reviens un peu plus tard.
-Mademoiselle...
-Oui ?
-Il y a quelqu'un qui pleure. J'entends cela venant du jardin.
-Vraiment ?
-Vous n'entendez pas ? Je ne peux plus dormir, depuis tout à l'heure.
-Je n'entends rien, moi.
-Alors, je dois rêver. Bien, laissez-moi, je voudrais m'habiller.
-Je reviens dans une demi-heure.


Il a attendu que l'infirmière referme la porte derrière elle pour se lever. Il a marché lentement, les pieds nus sur le sol tiède, et a écarté les rideaux pour laisser les rayons du soleil qui annonçaient la venue de l'été inonder son visage. Ouvrant largement les fenêtres, il s'est laissé caresser par la chaleur matinale des rayons et, enhardi par la lumière, il a enfin baissé les yeux en direction du jardin d'où il lui semblait entendre les pleurs.
-Est-elle sourde, ou bien indifférente ? Je ne rêvais pas.
 

Dans un profond soupir, il s'est éloigné de la fenêtre et s'habilla en toute hâte, et deux minutes plus tard, c'est pieds nus et les cheveux en bataille qu'il a parcouru l'hôpital à toute vitesse, courant se cacher à chaque fois qu'il entendait quelqu'un approcher. Au bout de quelques temps il est arrivé au jardin, devant un banc sous un cerisier. Un petit garçon pleurait et tirait sur le bras de son père qui le retenait fermement tandis que sa mère essayait de le consoler.
-Sois sage, mon cœur, s'il te plaît...
-Non ! Je ne veux pas y aller ! Maman !
-Ah, ça suffit maintenant ! Tu es un homme, non ? Tu ne dois pas avoir peur !
-Mais j'ai peur quand même !
-Alors, tu n'es pas un homme.
-Je ne veux pas être un homme si il faut faire ça !
Et l'enfant pleurait de plus belle, son père le traînait de force vers l'entrée de l'hôpital tandis qu'il se débattait désespérément, en vain.
-Excusez-moi, Madame.

La mère s'est retournée vers lui, stupéfaite, tandis qu'un peu plus loin le père s'était arrêté et le dévisageait avec méfiance.
-Vous êtes qui, vous ?
-Je suis désolé, je ne me suis pas présenté. Je m'appelle Asagi. Je voulais parler avec votre enfant.
-Lui parler ? De quoi vous mêlez-vous ? aboya l'homme avec une agressivité qui fit taire les pleurs du garçon pour les remplacer par des hoquets.
-J'ai l'habitude de parler aux enfants. S'il vous plaît, ça ne prendra que cinq minutes. Au vu de la manière dont vous vous y prenez, le gosse aura vomi toute son angoisse avant que vous ne vous en rendiez compte.
-Qui es-tu pour te permettre de parler comme ça à des inconnus ? Va-t'en, espèce de fou, et laisse notre fils tranquille !


L'enfant regardait Asagi avec des yeux ronds et brillants, silencieux.
Lorsque le jeune homme lui adressa un sourire bienveillant, il cacha son visage contre la poitrine de son père, honteux.
-Je l'entendais pleurer depuis ma chambre, au troisième étage. S'il vous plaît, je ne demande que cinq minutes ; non, trois, pas plus.
-C'est ça, et vous pensez que nous allons confier notre fils à un inconnu foncièrement louche qui a l'air d'un échappé de l'asile ?
-Chéri, laisse-le... Après tout, on ne risque rien, et puis nous avons le temps...
-Ah, non ! Ne t'y mets pas, toi aussi ! Tu es prête à laisser ton gosse à ce fou ?!
-Je ne ferai rien, Monsieur. Je veux seulement lui expliquer pour le rassurer.
-Cela suffit. Allons-y, à présent.
-Non !

Sans crier gare, l'enfant se libéra avec force de l'emprise de son père et courut se cacher contre Asagi qui sursauta, déstabilisé.
-Je veux rester avec lui ! Vous êtes méchants, surtout toi, Papa ! Je ne veux pas y aller !
-Mashiro, tu viens immédiatement !
-Mashiro... ? murmura Asagi.
Son père venait vers lui, menaçant, quand le jeune homme le stoppa d'un geste de la main.
-Ce n'est qu'un enfant. Mettez-vous à sa place. Les hôpitaux font peur. Il ne sait pas ce qu'on va lui faire, et ça l'effraie. À cet âge, auriez-vous été plus fier ?
-Mais...
-S'il vous plaît, je ne vous demande que trois minutes.

Asagi s'inclina bassement face à l'homme, avant de s'incliner face à la mère qui le regardait avec un mélange d'embarras et de reconnaissance.
-En mettant les choses au clair, il comprendra et il aura moins peur, j'en suis certain. En attendant, entrer dans un hôpital avec la terreur au ventre, ce n'est pas bon. J'en sais quelque chose, croyez-moi. Cela peut laisser des séquelles toute la vie.
-Bon, écoutez...
-Laissons-le faire, chéri.
-Pourquoi lui ?! Pourquoi ce sale gosse écouterait cet énergumène plutôt que nous, ses parents ?!
-Cesse donc de traiter Mashiro de telle sorte ! Ce n'est pas parce qu'il ne t'obéit pas au doigt et à l'œil qu'il est mauvais ou irraisonnable ! N'as-tu donc pas de cœur ?

Silence. Mari et femme se dévisageaient profondément tandis que, trop confus pour les regarder une seconde de plus, Asagi baissa la tête vers l'enfant qui, tremblant, se cramponnait à lui comme à une bouée de secours.
-C'est bon. Allez-y. Trois minutes, pas plus. Je vous préviens que si d'ici-là vous ne l'avez pas ramené, je porte plainte.
 
 


Lorsque l'homme et la femme se furent éloignés dans le jardin, de l'autre côté du bâtiment où ils ne pouvaient ni voir Asagi ni être vus par lui, le jeune homme entraîna l'enfant au fond du jardin et l'assit sur un banc.
Il ébouriffa les cheveux de Mashiro qui n'osait pas lever les yeux vers lui, gardant son regard rivé sur ses jambes nues et sagement immobiles.
-Alors, dis-moi ce qu'il y a.
Asagi s'assit à côté de lui et attendit patiemment que l'enfant ne se mette à parler. Au bout de quelques secondes, il tourna la tête vers lui, interrogateur, et vit qu'il s'était mis à pleurer.
-Oh, non ! Efface-moi ce gros chagrin.
-Ce n'est pas du chagrin ! protesta l'enfant avec colère en repoussant le bras qu'Asagi tendait vers lui. Mais c'est de la rage ! Et de la peur. Je ne veux pas y aller. Papa est méchant, il ne m'aime pas.
-Bien sûr, qu'il t'aime.
-S'il m'aimait, il ne m'obligerait pas à y aller. Maman est plus gentille mais Papa dit toujours qu'il a raison.
-Ton Papa t'oblige à y aller parce qu'il sait que tu en as besoin, et il s'inquiète pour toi, même s'il ne le montre pas parce qu'il ne sait pas. C'est un adulte, tu sais, il ne raisonne plus comme toi. Tu dis que tu as peur, mais lui aussi a peur, pour une autre raison. Tu es malade ?
-Je ne sais pas, pleurnicha l'enfant qui enfonçait nerveusement ses ongles dans ses cuisses.
-Tu ne sais pas pourquoi est-ce que tu dois aller à l'hôpital ?
-Si. Ils veulent me tuer.
-Je ne crois pas.
-Si. Papa et Maman disent que je dois me faire soigner, et que je ne sentirai rien parce que je serai endormi, mais je suis sûr que les docteurs vont m'endormir juste pour me tuer sans que je ne puisse me défendre.
-Pourquoi donc est-ce que tu crois une chose pareille ?
-Parce qu'ils vont m'ouvrir la poitrine pour m'arracher mon cœur. C'est mes copains de l'école qui me l'ont dit.


L'enfant a détourné la tête comme s'il avait honte de ses larmes et de son aveu.
-C'est parce que Papa ne m'aime pas qu'il veut qu'ils me tuent.
Asagi a ri, d'un rire qui voulait exprimer l'amusement mais au fond duquel tintait un éclat chagriné.
-Ce n'est pas drôle, bougonna l'enfant.
-Viens là.
L'enfant se retourna, adorablement éberlué, avant de se blottir timidement entre les bras qu'Asagi lui offrait. Il se laissa faire lorsque le jeune homme posa sa main sur son crâne et l'enfant appuya son visage contre sa poitrine.
-Chut. Et écoute.
Au début, l'enfant n'entendait rien et se demandait ce qu'il devait bien écouter. Mais c'est lorsqu'il sentit les percussions battre lentement contre lui qu'il a compris. Il a fermé les yeux pour mieux s'évader et se blottir contre ces battements chaleureux comme au creux d'un nid de coton.
-Tu vois, Mashiro, il faut que tu comprennes. Ce que je vais te dire va te paraître dur et cruel, et d'ailleurs, ça l'est car tu es encore un enfant si jeune, pourtant tu dois savoir. En ce moment même, ton cœur bat comme tu entends le mien battre. Mais ton cœur à toi est malade, Mashiro. Alors un jour, ton cœur risque d'être tellement fatigué qu'il ne pourra même plus battre correctement. Il ne pourra peut-être plus battre du tout. C'est pour cela qu'il faut que tu ailles à l'hôpital. Ils ne veulent pas t'arracher ton cœur pour te tuer. Ils veulent prendre ton cœur, très délicatement pour ne pas te faire mal, et le remplacer par un autre. Tu comprends ? Ils vont l'enlever et en mettre un autre, tout neuf, qui marche bien. Tout ça, ils vont le faire avec beaucoup de soin et de tendresse pour ne pas que tu ressentes la douleur. Et pendant qu'ils le feront, tu dormiras. Comme ça tu ne verras rien, tu ne sentiras rien. Et lorsque tu seras réveillé, Mashiro, dans ta petite poitrine, là, il y aura un cœur tout neuf plein de vie qui battra longtemps, longtemps, et qui lui ne sera pas malade. Alors, ne crois pas que ton Papa ne t'aime pas. Ton Papa tout comme ta Maman t'aiment infiniment et veulent te sauver. S'ils ne t'ont pas dit pourquoi tu devais aller à l'hôpital, c'est parce qu'ils savaient que tu allais avoir peur. Mais comme ils savaient aussi que tu dois changer absolument ton cœur avant qu'il ne soit trop malade, il ne fallait pas que tu refuses d'y aller. Parce que si tu refuses de le faire, Mashiro, c'est dangereux.


-Tu dors ? murmura Asagi après que le silence se fut installé depuis un bon moment déjà.
Mais faiblement, l'enfant secoua la tête. Il releva le visage vers lui, implorant. Asagi sentit son cœur se serrer à la vue de ce visage rond et candide qui se retenait de pleurer à nouveau.
-C'est parce que je suis méchant que mon cœur est malade ? Il ne m'aime pas, mon cœur ?

L'espace d'un instant, Asagi s'est demandé qui de l'enfant ou de lui allait pleurer le premier. Mais il s'est fait force pour ne pas montrer ses émotions.
-Bien sûr que non. C'est cruel à dire, mais c'est le hasard de la nature. Personne n'a choisi de te faire ça, c'est comme ça et c'est tout. Mais tu vois, comme personne ne veut que tu sois en danger, on va changer ton cœur.
-Toi non plus, tu ne veux pas que je sois en danger ?
-Bien sûr que non.
-Pourquoi ?
-Eh bien... je suppose que c'est parce que tu es un être humain. Tu n'es qu'un petit enfant innocent qui a encore tout plein de belles choses à vivre, alors je serais triste s'il t'arrivait quelque chose. Je veux dire... chaque être humain devrait vivre le plus longtemps possible.
-Tu veux dire que tu voudrais que tout le monde puisse vivre longtemps parce que personne ne mérite d'être comme moi ?
-Eh bien... c'est un peu simpliste, mais on va dire ça comme ça. Même si ce n'est pas forcément vrai, il y a des gens que je n'aime pas, mais je pense que même les mauvaises personnes ne devraient pas mourir comme ça...
-Et moi, je suis une mauvaise personne ?
-Non.
-Et tu m'aimes bien ?
Asagi, sur le coup, ne trouva pas les mots à dire. Il lui semblait que répondre par la positive ou la négative ne pouvait être qu'une erreur. Il s'est contenté de plonger son regard brillant d'une profonde tendresse et voilé d'émotion dans les yeux inquiets de l'enfant.
-Oui, je t'aime bien.
Comme pour appuyer ses dires, Asagi souleva l'enfant par la taille et Mashiro se retrouva assis sur ses genoux, face à face.
-Il y a plein de gens qui t'aiment énormément. C'est pour cela que tu dois être fort, Mashiro. Même si ça fait peur, et c'est normal, tu dois accepter que l'on échange ton cœur. C'est pour toi-même, et pour rendre heureuses les personnes qui t'aiment. Et quand tu te réveilleras, Mashiro, lorsque tu auras passé cette épreuve comme un grand homme, tu pourras être infiniment fier de toi.
-Fier de moi ?
-Oui.
-Pourquoi ?
-Parce que c'est une opération effrayante, et que si tu la surpasses, ça voudra dire que tu es très courageux.
-Mais... j'ai quand même peur, moi, marmonna l'enfant avec angoisse.
-Ce ne serait pas du courage si tu ne devais pas te battre contre ta peur. Et puis, il y a autre chose, Mashiro. Une autre raison pour laquelle tu pourras être infiniment fier lorsque tu te réveilleras.
-Laquelle ? s'enquit le garçon, plein d'espoir.
-C'est qu'il n'existe rien de plus noble que de rendre heureux les gens qui nous aiment.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

-Il n'existe rien de plus noble que de rendre les gens heureux qui nous aiment.

Il n'y a eu aucune réponse, pas la moindre réaction. Asagi a continué à marcher, mains dans les poches, lent et sombre.
Il était vêtu de noir des pieds à la tête et détonnait sombrement au milieu des rues interminables de maisons blanches. Mashiro le suivait si lentement qu'à chaque pas, la distance entre eux s'accroissait encore un peu plus.
Il n'y avait pas de bruit hormis le chant des oiseaux qui semblaient gazouiller juste au creux de leurs oreilles. Mashiro baissait la tête, un peu comme s'il se sentait coupable.
-Asagi, nous sommes le 20 juin.
-Oui. Et alors ? fit la voix grave de l'homme parvenue de plusieurs mètres devant lui.
-Demain, ce sera l'été.
-Tais-toi, si c'est pour dire des choses évidentes et sans intérêt.


Mashiro a voulu protester, les yeux brillants, mais s'est ravisé. Dans un soupir résigné il a un peu accéléré sa marche pour amoindrir la distance entre eux. Il regrettait presque d'être venu, ce jour-là.
D'être venu toquer à la porte d'Asagi et d'avoir rougi, embarrassé, lorsque c'est Ryô qui a ouvert et qu'il a dû demander à voir son frère.
Lorsqu'Asagi était arrivé à son tour, il avait toisé Mashiro de toute sa hauteur d'un air réprobateur et, sans rien dire, l'avait pris par le bras pour sortir. Ils ne s'étaient quasiment échangé aucun mot depuis. Asagi se contentait de marcher sans même se retourner pour seulement vérifier qu'il était bien suivi. Mashiro ignorait où est-ce que menait ce quartier fait de maisons blanches et de jardins, ignorait même si Asagi avait une idée d'où il allait.
Plus que mal à l'aise, Mashiro se sentait un peu triste.
Parce que, depuis ce jour où il avait arraché sa robe devant Asagi pour lui montrer sa poitrine, il ne s'était rien passé. Jamais il ne lui avait reparlé de cela. C'était comme s'il avait tout oublié ou ne voulait pas y penser.
C'était comme s'il reniait le passé, ce passé lointain qu'ils avaient un peu vécu ensemble.
-Asagi, mais où est-ce qu'on va ? Il fait chaud, tu ne veux pas que nous nous reposions un peu ?
-C'est toi qui es venu chez moi en disant vouloir me voir, non ? Si tu n'es pas content, rentre.
-Dis-le, si je t'ennuie !
-Tu m'ennuies quand tu joues au gosse. Ce temps-là est passé, à présent.

Mashiro ravala son amertume et accéléra d'un pas martelant et décidé pour marcher aux côtés de l'homme qui ne lui adressa même pas un regard.
Ils marchèrent encore longtemps comme ça, sous le soleil de juin, l'un inexpressif et imperturbable, l'autre morose et dépité.
Et comme Mashiro avançait toujours tête baissée, il a mis longtemps avant de se rendre compte où est-ce qu'ils se rendaient.
Ce n'est qu'une fois qu'Asagi a brusquement stoppé sa marche que Mashiro a levé la tête. Et qu'il a vu.
Il a senti son cœur se serrer, ce cœur qu'il avait obtenu par miracle, et inexorablement les larmes lui sont montées aux yeux. Il a plongé son visage dans ses mains, plutôt pour ne pas risquer de fâcher Asagi que par honte.
Mais sans quitter ses yeux émus du bâtiment qui se dressait en face d'eux, Asagi a passé son bras autour de ces épaules tremblantes.
-Joyeux anniversaire, Mashiro.

Comme le jeune homme demeurait immobile, les mains sur son visage, Asagi a ri et, sans attendre, a saisi sa main pour l'amener au-delà de la barrière.
 
 
 
 
 


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20 juin 1994. Juste avant l'heure fatidique.


-Monsieur Asagi ! Monsieur Asagi !
Une dernière fois, l'enfant se libéra de la main de sa mère pour venir courir vers le garçon. Celui-ci adressa un sourire embarrassé à ses parents avant de prendre l'enfant dans ses bras.
-Ne m'appelle pas "Monsieur". Je n'ai pas encore vingt ans.
-Asagi, c'est mon anniversaire aujourd'hui.
-Quoi ? C'est vrai ?
-Oui. J'ai sept ans. Alors dis, Asagi, quand je serai réveillé, tu viendras me souhaiter mon anniversaire ?
-Je ne peux pas le faire avant ?
-Non, avant, ça ne compte pas. Asagi, je veux que tu viennes me souhaiter mon anniversaire quand je serai réveillé. Parce que, quand j'ouvrirai les yeux, j'aurai un nouveau cœur, pas vrai ? Alors si tu es la première personne que je vois quand je me réveillerai, et que tu me dis "bon anniversaire", alors ce sera comme si c'était toi qui m'avais apporté mon cœur. Tu es d'accord ?
-Mashiro...
-Oui ? murmura l'enfant, inquiet.
-Tes parents t'attendent.
-Pardon... Je te laisse tranquille. Au revoir.

À regrets, l'enfant se détacha d'Asagi et s'en retourna vers ses parents qui lui souriaient. Juste avant de pénétrer l'entrée de l'hôpital, il se retourna, et sa voix innocente se mit à vibrer dans l'air :
-Mais ne pleure pas, Asagi !
 
 
 

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-Ne pleure pas, Mashiro.
-Je ne pleure pas, fit le jeune homme en essuyant rapidement ses larmes avant de tourner dignement son visage vers Asagi. Mais crois-tu qu'on a le droit de faire ça ?
-Pourquoi pas ? Nous sommes des anciens résidents de cet hôpital après tout, non ? Et puis, nous ne faisons qu'entrer dans le jardin. Je crois qu'il est public.
-Tu crois, mais tu n'es pas sûr, hein.
-D'accord. Il ne l'est sans doute pas.
-Asagi !
-Tu t'occupes des détails, Mashiro.
-Mais non, idiot.
-Quoi ?
-Je ne parlais pas de ça. Mais Asagi, je voulais te remercier... Depuis le début, je pensais que tu avais tout oublié, ou bien que tu faisais semblant de ne pas t'en rappeler car cela t'agaçait mais... Je suis heureux que tu te sois souvenu de ma date d'anniversaire.
-Vingt-quatre ans, hein... Ciel, le temps passe si vite. Dix-sept années se sont écoulées depuis ce jour-là.
-C'est vrai. Et t'avoir retrouvé après tant d'années, c'est...
-Quand j'y repense, tu sais, j'ai toujours aussi peur.


Mashiro, intrigué, leva des yeux ronds vers Asagi qui regardait droit devant lui. Et comme dictés au même moment par la même pensée, ils se sont avancés lentement tous les deux, avec cérémonie, au fond du jardin où ils s'assirent sur le banc, ce banc où ils s'étaient déjà trouvés dix-sept ans plus tôt.
-J'étais mort de peur ce jour-là, Mashiro. Quand j'y repense, cela m'effraie encore. Je n'arrivais pas à t'imaginer, toi un enfant si frêle et si jeune, subir une si lourde opération. Je le cachais, bien sûr, mais j'étais terrorisé à l'idée que ça pouvait mal se passer, que tu pouvais ne pas en réchapper. Alors en ce temps-là tu vois, comme si ça pouvait me consoler... jusqu'à ce que tu ne te réveilles, j'essayais de t'imaginer en tant qu'adulte.

Asagi s'est tu un moment, les yeux dans le vague, avant de sourire.
-Bien sûr, j'étais bien loin de prévoir que tu deviendrais une midinette blonde à froufrous.
Mashiro tira la langue, mais au lieu de la tirer à Asagi, c'était comme s'il le faisait à lui-même.
-Merci, Asagi.
-C'est bon. Je ne t'ai même pas offert de cadeau.
-Non. Je parlais d'il y a dix-sept ans. Ce jour-là, Asagi, tu as tenu une promesse que tu n'avais même pas formulée. Tu l'as tenue quand même, tu vois. Pour moi, enfin, je suppose qu'il en est de même pour tous les enfants, une promesse est un trésor qui n'a pas de prix. Alors, quand après toutes ces longues heures comme passées dans le coma, je me suis réveillé sur ton visage, j'étais vraiment très heureux.


Une brise tiède est venue caresser leurs visages, balançant mollement les feuilles des arbres dont les ombres dansaient avec élégance sur leurs corps, et alors le bruissement végétal fut leur seul partage durant un moment.
À la fin, lorsque la brise s'est éteinte, Asagi a profondément inspiré et a renversé sa tête sur le dossier du banc, les yeux fermés.
-Quand tu as fait ça, Asagi, je me suis dit que je pouvais te croire.
Il a rouvert les yeux et l'a regardé en signe d'interrogation. Mais Mashiro, lui, avait le visage tourné vers le côté.
-Tu te rappelles ? Je t'avais demandé si tu m'aimais bien. Et toi, tu m'avais répondu oui. Je voulais te croire, bien sûr, mais au fond de moi je me disais que tu l'avais affirmé seulement par politesse, ou pour ne pas me faire de peine. Mais un enfant pas joli et pas sage comme moi, je me disais qu'il était impossible que je sois sincèrement aimé par quelqu'un, même un inconnu.
Mais tu vois, Asagi, quand malgré tout tu es venu me voir avant même que je ne sois réveillé alors que tu ne l'avais même pas promis, je me suis dit que tu n'avais pas menti. Alors, j'étais vraiment soulagé. Et pour la première fois, j'étais content d'avoir un cœur.


-Est-ce que tu regrettes ce temps ? murmura Asagi après un long instant de silence méditatif.
-Il était beau, ce temps. Mais je n'en ai aucun regret.
-C'est sûr. Je suppose que pour un enfant, les périodes suivant cette opération n'ont pas dû être faciles. D'ailleurs, tu me le racontais, ce qu'il se passait. Tu as dû bien souffrir.
-Oui. Mais ce n'est pas pour cela si cette époque ne me manque pas.
-Alors pourquoi ? s'enquit Asagi avec vigueur.
-Parce qu'à ce moment-là, j'étais beaucoup trop jeune pour toi.
Silence. Ils ont tous les deux sursauté lorsqu'un chat a bondi sur le sol derrière eux après avoir grimpé le mur ceignant l'hôpital.
Asagi a éclaté de rire.
-Ce n'est pas drôle, a marmonné Mashiro qui avait honte d'avoir crié.
Sans cesser de rire, Asagi s'est relevé et est venu attraper le félin qui s'est laissé porter en miaulant. Il s'est mis à le caresser doucement, un sourire tendre figé sur le coin de ses lèvres.
-Ce n'est pas à cause de ce chat que je ris. C'était un rire à la fois amusé et heureux, mais aussi un peu nerveux, en fait.
-Pourquoi ? s'enquit Mashiro en se levant à son tour pour venir appuyer délicatement son visage contre le pelage blanc et roux du matou.
-Parce que tu t'en souviens.
-...Je m'en souviens ? répéta-t-il sans comprendre.
-Oui, fit Asagi sans lever son regard du chat ronronnant. Si tu me dis ça, Mashiro, qu'à l'époque tu étais trop jeune pour moi, c'est que tu te souviens de ce que tu m'avais dit alors.
 
 
 
 
 
 
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Septembre 1994.


-Oui, entrez.
Après un instant d'hésitation, l'infirmière entra, confuse.
-Asagi, excusez-moi pour le dérangement. Mais un petit garçon nommé Wataame Mashiro est venu seul vous rendre visite. Il dit qu'il n'est pas de votre famille.
-Seul ? L'idiot. Faites-le entrer mademoiselle, je vous prie.
Elle acquiesça et, se tournant vers l'autre bout du couloir, appela :
-Ne fais pas le timide. Viens. Tu es sûr que tes parents savent que tu es là ?
-Oui, Madame.
Mashiro apparut à l'encadrement de la porte, timide. L'infirmière les salua avant de repartir.
-Petit imbécile, réprimanda Asagi. Qu'est-ce qui te prend de venir seul ?
-Pourquoi tu me grondes ? Je voulais te voir.
-Je ne veux pas que tu te mettes en danger pour venir me voir. Sinon, je vais m'en vouloir.
-Pardon...
-Tes parents ne le savent pas, pas vrai ?
-Je me suis enfui de l'école.
-Quoi ?!
-Je ne te dis plus rien si tu me grondes tout le temps !
Asagi poussa un soupir, exaspéré, tandis que Mashiro se mettait à larmoyer.
-Bon. Viens là et explique moi. Tu es un garçon sage, alors si tu l'as fait c'est que tu avais une bonne raison, pas vrai ?
Dans un sourire reconnaissant, l'enfant grimpa sur le lit pour venir se blottir contre les bras qu'Asagi lui tendait.
-Alors, dis-moi, fit le jeune homme d'une voix apaisante en caressant le crâne du garçon.
-Je ne veux plus retourner à l'école.
-Pourquoi ?
-Parce que les autres garçons sont méchants. Ils se moquent de moi.
-Pour quelle raison ?
-Depuis l'autre jour... En sport, on a eu piscine, et quand je me suis mis en maillot ils ont vu ma cicatrice. Alors ils ont rigolé en disant que j'étais un monstre.
-Mais ils sont idiots, ça ne sert à rien de les écouter. Ils ne savent pas que cette cicatrice est la preuve de ta bravoure. Et cette preuve restera toujours éternellement sur toi, pour montrer toujours que tu es un héros.
-Mais moi, je leur ai dit la même chose que toi, parce que tu me l'avais déjà dit avant. Et ils ont encore plus rigolé en disant que ma cicatrice était juste la preuve que j'étais de mauvaise qualité.
-Mashiro... tu crois vraiment ces bêtises ?
-Mais c'est la vérité, non ? La nature m'a mal fait. J'avais un cœur de mauvaise qualité, c'est pour ça que l'on me l'a changé.
-Non. Ce n'est pas toi qui es mal fait, Mashiro. C'est le hasard qui a mal fait les choses. Simplement le hasard. On ne juge pas la valeur d'une personne à ce que la nature lui a donné. Peut-être que ton cœur était malade, mais à côté de ça, moi, je ne connais personne qui soit aussi gentil et courageux que toi. Tu as été très fort et vaillant. Ça, c'est une grande qualité.
-Oui, mais...
-Et même avec ce cœur malade, Mashiro, tu étais génial. Tu sais pourquoi ?

L'enfant a secoué la tête, affichant une mine chagrinée tandis qu'au fond de lui, il espérait.
-Parce qu'en même temps que le cœur qui battait dans ta poitrine, tu en avais un autre.
-Un autre cœur ?
-Oui. Un cœur qui ne bat pas et qui ne peut pas se voir parce qu'il est invisible à l'œil. Ce cœur dont je te parle, c'est ce qu'on appelle la sensibilité d'une personne. Toi, Mashiro, tu as une très grande sensibilité.
-Qu'est-ce que ça veut dire ?
-Que tu peux comprendre beaucoup de choses comme les sentiments des gens. Et ça, ça a beaucoup d'importance. Parce que lorsqu'on comprend les sentiments des gens, ça veut dire qu'on peut ressentir de la compassion pour eux et ne pas les juger sur de simples apparences. Autrement dit, tu vois plus loin que le bout de ton nez, tu accordes de l'importance à ce qui en a vraiment. Cela fait de toi quelqu'un de très gentil qui, je le sais, quand il sera assez grand pour ça, voudra venir en aide à toutes sortes de personnes.
-Tu veux dire, comme venir en aide à ceux qui nous aiment ?
-Par exemple, oui.
-Asagi, le jour où tu m'as rencontré, tu m'as dit qu'il n'existait rien de plus noble que rendre heureux les gens qui nous aiment.
-C'est vrai.
-Alors ça veut dire que je vais être noble ?
-Oui, fit Asagi dans un petit rire attendri. Tu l'es déjà, en un sens, mais plus tu grandiras, plus tu le seras. Car alors tu auras appris et compris encore plus de choses.
-Donc, je vais devenir noble, a conclu Mashiro d'un ton péremptoire.

En disant cela, il s'est mis à fixer la table de chevet sans vraiment la voir d'un air radieux, le sourire aux lèvres.
-Et je vais devenir un Prince ? ajouta-t-il en fixant Asagi, les sourcils froncés en un arc de doute.
-Ce n'est pas exactement le sens que j'entends par "noble", rit Asagi.
-Une Princesse, alors ? insista Mashiro, un peu déçu.
-Mais... bon, d'accord, si tu veux.
-C'est vrai ? s'enjoua l'enfant plein d'espoir.
-Oui, oui. Tu seras un Prince ou une Princesse, si tu le désires.
-Alors, je veux être une Princesse maintenant.
-Tout de suite ? Pourquoi ?
-Parce que je veux que tu m'épouses, Asagi.

-Non, Mashiro. Je suis désolé, mais tu confonds tout, déclara Asagi après qu'un long silence de malaise ait été imposé.
-Tu ne veux pas m'épouser ? fit l'enfant d'un air profondément attristé.
-Eh bien... ce n'est pas possible, de toute façon.
-Mais pourquoi ?
-Parce que, comme tu dois le savoir... deux hommes entre eux n'ont pas le droit de se marier. C'est comme ça. Normalement, ce sont les hommes et les femmes. Et puis, tu es beaucoup trop jeune. Sept ans, ce n'est pas un âge pour se marier, qu'on soit une fille ou un garçon, un Prince ou une Princesse. Moi, je suis beaucoup plus vieux que toi, et on risquerait de me reprocher de t'épouser, tu vois.
-C'est mal d'épouser un plus vieux ?
-Non, mais il peut l'être d'épouser un plus jeune. Pour l'instant, tu dois attendre. L'âge légal du mariage au Japon est seize ans.
-Alors, quand j'aurai seize ans, tu te marieras avec moi ?
-Je t'ai dit que c'est impossible entre deux hommes.
-Asagi...
-Ne me regarde pas comme ça. Je suis désolé. Et puis, quand tu grandiras, tu n'auras sans doute plus envie de te marier avec moi.
-Je peux te dire un secret ?
-Bien sûr.
-Mais, ne le dis à personne.
-Je te le promets.


Avec un sourire en coin, Mashiro se redressa légèrement, chevauchant les genoux d'Asagi avant de se pencher au creux de son oreille.
-Quand je serai grand, je serai devenu une fille, Asagi. Alors, à ce moment-là, si tu veux bien, on pourra s'épouser.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 



Ça avait tout du dégoût. Le frisson qui l'a assailli, ses membres tendus, sa mâchoire crispée, ses yeux révulsés, ses mains qui tremblaient, et les sons aigus qui sortaient de sa bouche exprimaient tout le dégoût qu'il avait.
Inquiet, Satsuki, installé sur le fauteuil, a levé les yeux de son roman et a regardé avec circonspection le journal froissé sur le sol.
-Qu'est-ce qu'il y a ?
-Je ne peux pas... ça me dégoûte, a fait Kyô d'une voix rauque et méconnaissable.
-De quoi parles-tu ?
-Ce mec ! a hurlé Kyô en se jetant brusquement au sol et tapant furieusement du poing.
Il a saisi le journal et l'a réduit en boule avant de le jeter à l'autre bout de la pièce.
-Ce mec me ressemble trop ! On nous prendrait pour des frères ! Je ne peux pas l'accepter ! Ça me dégoûte !
Satsuki est resté immobile, intrigué, et a considéré longuement Kyô prostré sur le sol. Il a lâché un rire anxieux.
-Oui, c'est vrai. Il te ressemble. Tu veux que je te dise la vérité ? La première fois que nous nous sommes rencontrés, Kyô, cette fois où tu étais immobile devant ma porte, j'ai pensé que c'était lui. Je t'ai confondu avec Mao, pensant qu'il était sorti de prison et revenait me voir pour une raison douteuse.
-C'est inutile de me le dire ! N'envenime pas les choses ! Ce mec... cette ordure, je ne veux pas lui ressembler ! Je ne tolérerai pas que quiconque me compare à lui uniquement parce que nos visages sont presque semblables !
-Excuse-moi, je comprends ton désarroi mais... pourquoi est-ce que tu penses à cela, si soudainement ?


Kyô a levé vers Satsuki un visage ruisselant de larmes. Lorsque l'homme s'est redressé pour venir le réconforter, Tôru l'a immobilisé d'un geste de la main.
-Je ne veux pas ressembler à quelqu'un condamné au crime et au malheur...

Il n'en a pas fallu plus à Satsuki pour comprendre.
D'un bond, il a saisi la boule de journal qu'il a dépliée avec précipitation.
Ses prunelles papillotantes ont parcouru la page des yeux et il a replié soigneusement le journal, tremblant.
-Mao...
-Pourquoi ? s'est étranglé Kyô en levant vers Satsuki un regard brillant de reproche.
-Pardon ?
-Pourquoi est-ce que tu sembles inquiet ?
-Mais... il est...
-Qu'est-ce que ça peut te faire ?! Il est un criminel, non ? Tu es même le premier à me l'avoir dit ! Tous ceux qui le connaissent le savent, moi-même à l'époque du lycée je savais qu'il était irrécupérable !
-Ce n'est pas vrai !


Kyô s'est figé sous le choc. C'était la première fois qu'il entendait Satsuki crier aussi fort, de manière incontrôlée. C'était la première fois qu'il voyait autant de colère et de désarroi sur son visage.
-Quoi ?
-Ne décide pas si péremptoirement si Mao est récupérable ou non !
-Tu te moques de moi ? l'a défié Kyô.
-Qui se moque de quelqu'un, ici ?
-C'est bien toi qui m'as dit qu'il n'était qu'un criminel !
-Il n'a tué personne !
-N'as-tu donc pas lu le journal ?! Il a en tout et pour tout escroqué cinq cent millions de yens, et cela à tout le monde ! Allant à de grandes entreprises jusqu'à des personnes retraitées ! Ce n'est pas un criminel, ça ?!
-C'est toi qui n'as rien compris !
-Pourquoi est-ce que tu le défends ?
-Je ne veux pas que ça lui arrive !
-Je n'y crois pas ! Il est condamné à la Fourrière à cause de ses crimes et parce qu'on l'accuse de mythomanie, alors pourquoi est-ce que tu prends son parti ?! Tu l'aimes, ou quoi ? Ce mec, il est bon à crever, non ?

Le coup est parti tout seul. Kyô a été propulsé en arrière et s'est étalé contre le fauteuil, sonné. Il a levé vers Satsuki un regard translucide et sans vie.
-Tu m'as fait ça...
-Ne t'inquiète pas, Kyô. Tu ne ressembles pas à Mao. Je l'espère, dis. J'espère de tout cœur que quelqu'un d'ignoble comme toi ne ressemble à personne.
 
 
 
 
 
 
 
 

                                                      ~~~~~~~~~~
 
 
 
 
 
 
 
 


4 juillet 2011.

-Borderline, borderline, je t'avais vu dans le journal... Tu es plus beau que sur la photo. Borderline, borderline, vois où cela mène de mentir, dès lors tu ne connaîtras pas pire...

"Je ne suis pas un phénomène de foire."

-Ce n'est pas drôle, a tristement murmuré Natsuki en resserrant ses mains autour des barreaux. Traiter les gens de borderline à tort et à travers, ce n'est plus drôle du tout. De toute façon, toi, il est clair que tu n'es pas borderline. Tu ne réagis même pas. Je me demande si tu m'entends.

"Faites-le taire. Ou que quelqu'un me dise pourquoi."

-Nous sommes inconnus, mais je ne sais pas pourquoi, lorsque je t'ai vu dans le journal... j'ai voulu venir te voir à la Fourrière. Je me demandais si tout ce qu'ils disaient sur toi était vrai. Mais je ne pense pas, dis. Je ne pense pas que ce soit vrai. Tu as un visage de voleur, voire de criminel, mais je n'arrive pas à t'imaginer en train de mentir... Mentir pour voler, oui, je suppose que tu as dû le faire...


"Dites-moi pourquoi est-ce que la première personne qui vient me voir est un inconnu totalement fou. Dites-moi pourquoi celui que je veux voir, plus que quiconque, dites-moi pourquoi il n'est toujours pas venu."


-Qu'est-ce que tu disais, déjà ? Ah, oui... Tu disais que si tu volais de l'argent, c'était sous la menace de cet homme... Il t'obligeait à voler, sans quoi il te menaçait de te mettre à la Fourrière, n'est-ce pas ? Mais au final, tu as dû subir les deux tortures. Celle du crime, et celle du châtiment. Lorsque tu leur as dit ça, que tu volais par obligation, c'est là qu'ils t'ont traité de mythomane. Or la mythomanie est une maladie psychologique. Tous ceux qui ont une maladie psychologique qu'ils considèrent comme nuisible à l'entourage sont enfermés ici. C'est comme cela. Tu n'as pas eu de chance. Mais je suppose que tu n'as pas menti.


"Avant de mourir. C'est ici que je vais mourir, non ? Alors qu'il vienne me voir, au moins une fois, une seule, avant que je ne meure comme un chien."

-Hakuei m'avait interdit de venir te voir. Enfin, Hakuei ne m'interdit rien, il déconseille plutôt. Il disait que c'est malsain. Aussi bien pour toi que pour moi. Je suis d'accord avec lui. Pénétrer dans cette Fourrière, que ce soit pour voir les prisonniers ou en être un soi-même, il n'y a rien de plus nocif et malsain. Pourtant je voulais te voir. Toi.


"Que je leur aie dit que je volais par obligation, ce n'est pas pour cela qu'ils m'ont mis l'étiquette du mythomane néfaste. Ça, c'était ce qu'il y avait marqué dans le journal. Si je leur avais dit seulement ça, que c'est lui qui m'y obligeait, peut-être m'auraient-ils cru ? Seulement, je n'aurais pas dû leur dire... tout le reste."

-Ah, désolé, je suppose que tu ne sais pas qui est Hakuei. Eh bien, Hakuei est mon petit ami. Ou presque. Disons mon meilleur ami. Non, en fait il est mon fiancé. Euh, mon ami d'enfance. Un peu mon grand frère plutôt. Bien, je ne sais pas, voilà.


"Je voudrais qu'il vienne... En même temps, j'en ai terriblement peur. Je ne sais même plus... J'ai besoin de le voir, c'est tout. Ce serait tellement beau et doux que je puisse le voir sans être vu de lui. Je ne veux pas qu'il me voie dans un état de déshumanisation."

-Hakuei, il m'a sauvé la vie. Alors je l'aime. Ou bien est-ce parce que je l'aime qu'il m'a sauvé la vie ? Je ne suis pas très sûr. Quoi qu'il en soit, je l'aime, cela est indéniable. Et dis, il n'y a personne que tu aimes, toi ? Il n'y a donc personne qui t'aime ? Il le faudrait. Il le faudrait, pour que tu aies la vie sauve.

"Mais que raconte ce fou ? Je ne peux même pas voir son visage... J'ai tellement faim que je ne peux pas bouger. Depuis combien de temps ai-je le visage contre le sol, comme ça ?"


-Ne te laisse pas avoir. Tu n'as pas menti, non ? Ne les laisse pas te faire crever ici comme un rat alors que ce n'est pas ce que tu mérites.

"Tu ne sais pas, toi. Mais mourir ici, c'est finalement ce que je mérite. Non pas parce que j'ai manipulé un nombre incalculable de personnes, non pas parce que j'ai escroqué en tout cinq cent millions de yens, non pas parce que je ne suis plus qu'une épave souillée par les caresses obscènes et gangrenées de cet homme qui a profité de moi. Non, si je mérite de mourir ici, c'est parce que j'avais été prêt à détruire la vie de Ryô et Asagi."

-Mao... C'est bien cela, ton nom ? Allez, Mao, réveille-toi. Tu ne peux pas rester ici. Alors, dis-le moi. Dis-le moi, que tu n'as pas menti, ni aux juges, ni à la Police. Moi, j'en suis certain, tu sais pourquoi ? Parce que si tu avais agi de ton propre fait, Mao, si depuis le début tu étais voué au crime, alors tu aurais réussi. Mais la manière dont tu t'y es pris était assez grotesque, à la fin. C'est que tu en avais marre, pas vrai ? Si tu t'y es si mal pris, c'est que ce n'était pas pour toi. Tu sais ce que je me dis ? Qu'au final, tu as dû faire exprès de te faire prendre pour échapper à cet homme qui te condamnait. Même si tu savais que tu serais condamné à un sort dont il ne vaut mieux pas parler.


"Qu'est-ce que ça peut te faire ? Que j'aie dit la vérité ou non, qu'est-ce que cela changera pour toi ? Et pour moi ? Tu penses que je sortirai un jour d'ici parce que je suis prétendument innocent ? Non. Même les véritables innocents ne réchappent pas à cet endroit. Alors moi..."


-Je devine ce que tu es en train de te dire. Qu'il est impossible que tu sortes d'ici, quelle que soit la vérité. Parce que même les innocents ne sortent pas d'ici. C'est vrai, malheureusement. Mais il y a toujours l'exception qui confirme la règle. Moi, j'ai connu cette exception.


"Quoi ? Ce garçon était à la Fourrière ? Ça ne m'étonne pas... Aux yeux des autres, il a tout pour paraître fou. Mais c'est idiot que je pense une chose pareille."


-L'hiver dernier, je l'ai rencontré. Il était arrivé dans la même chambre d'hôpital que moi. Je ne sais pas pourquoi est-ce que l'on m'a mélangé, moi, un ancien anorexique névrosé, avec quelqu'un comme lui. Toujours en est-il que je l'ai rencontré. Il s'appelle Matsumoto Takanori, avait été condamné à la Fourrière, et en est ressorti. Et lui, il était innocent.


"Je le sais. Je le sais que Takanori était innocent ! Asagi l'était aussi, d'ailleurs ! Et si Asagi n'avait pas été innocent, je ne me serais pas moi-même retrouvé ici ! Alors, ce garçon connaît Takanori ?"


-Alors pourquoi pas toi, dis ? Je réitère ma question, Mao. N'y a-t-il personne que tu aimes ?

"Mais je me mens à moi-même. Au final, même si Asagi avait été un criminel, je me serais vendu à cet homme pour le sauver. Je le savais depuis le début. Que si je ne parvenais pas à faire retourner Asagi à la Fourrière pour empocher les dix millions de yens, alors cet homme s'en prendrait à moi. Mais au final, je n'ai pas pu. J'ai dû attendre la limite pour ressentir que ce n'était plus ce que je voulais. C'est pour cela que je me suis vendu à lui en échange. Qu'importe qu'Asagi eût été innocent ou non ; je devais finir par prendre sa défense. Dans le fond, je crois que j'ai trouvé quelque chose de plus précieux que l'argent."


-Alors, dis, réponds s'il te plaît. Tu en as la force, non ? Je veux savoir qui tu aimes.


"C'est juste que je ne me serais jamais pardonné le malheur de Ryô."


-Mao, tu ne seras pas sauvé si...
-Tais-toi !


Natsuki n'a pas pu comprendre alors ce qu'il se passait. Mais en l'espace d'un battement de paupières, le visage maigre, crasseux et ruisselant de larmes de Mao lui faisait face juste derrière les barreaux.
-Alors pourquoi je ne suis pas libre ?! hurlait-t-il, décomposé par le désespoir.

Natsuki ne disait rien, les yeux écarquillés, tandis que l'homme devant lui tirait avec un acharnement démentiel et vain sur les barreaux.
-Fais-moi sortir ! Je t'en supplie ! Je veux le voir ! Je veux le voir !

Mao continua à crier et gémir durant quelques instants sous les yeux incrédules de Natsuki, avant de se laisser glisser le long des barreaux et de finir prostré au sol, effondré.
-Même si j'ai voulu le rendre heureux... je ne suis pas assez pur pour accepter qu'il m'oublie... Alors, je veux le voir, je veux pouvoir lui dire adieu une dernière fois.

Mao a senti ses paupières se fermer, son esprit s'embrouiller, et puis, une sensation douce, quelque chose qui passe à travers les barreaux et lui saisit les mains. Mao a seulement le temps d'apercevoir les lèvres de l'inconnu bouger, sans en entendre le moindre son, et puis, le rideau tombe.
 
 
 
 
 
 


                                                ~~~~~~~~~~~~~
 
 
 

-Il n'était pas là.
La porte a claqué, Satsuki est entré en trombe dans la maison. Un éclair blanc est passé devant les yeux baissés de Kyô. Tôru, allongé sur le canapé, genoux repliés, qui ne disait mot. Tôru au regard éteint.
Les volets fermés, l'éclair blanc est venu les ouvrir d'un geste hargneux. Aussitôt la lumière violente a inondé la pièce, et Tôru a passé son bras devant ses yeux.
-Il n'était pas là !
En guise de réponse, Tôru s'est retourné, dos à Satsuki, et a saisi un coussin de velours rouge pour y enfouir son visage.
-Ne m'ignore pas !
-Je n'ai pas envie de t'écouter, murmure Kyô, imperturbable.
-Alors que fais-tu chez moi ? Va-t'en ! Ne me prends pas pour un idiot !
-Je dormais. Tu pourrais au moins être délicat en rentrant.
-Je fais ce que je veux dans ma maison !
-Ce n'est pas une raison pour ne pas respecter ton entourage.
-Et toi, est-ce que tu me respectes ? Tu viens sans cesse chez moi ! Ça ne me dérangeait pas jusqu'à ce que tu deviennes un gamin odieux et sans savoir-vivre ! Tu fais la tête depuis des jours, j'en ai marre ! Je me suis déjà excusé, non ? Le lendemain de ce jour où je t'ai frappé, je me suis excusé ! Alors cesse d'agir comme un enfant !
-Je ne t'ai pas excusé, moi.
-Alors pourquoi restes-tu ? Tu n'es pas digne de rester ici !
-Toi, Satsuki, tu n'étais pas digne de me frapper.
-Regarde-moi quand tu me parles ! Si tu as quelque chose à dire, dis-le en face !

Dans un long soupir, Kyô a balancé le coussin à l'autre bout du canapé et a tourné la tête vers lui. Son regard trahissait toute sa colère et son agacement.
Ils se sont dévisagés comme ça un moment, comme deux loups prêts à bondir l'un sur l'autre, mais lorsque la glace des yeux de Satsuki s'est mise à fondre, le cœur de Kyô s'est ramolli.
-Dis...
-Il n'était pas là, a-t-il dit d'une voix étranglée. Ça t'est si indifférent ?
C'était trop douloureux de voir Satsuki pleurer. Alors malgré sa rancœur, Kyô s'est redressé et est venu l'étreindre. Il a levé son visage vers lui, le regard brillant, a posé ses paumes sur ses joues diaphanes et humides.
Satsuki lui a adressé un pâle sourire de reconnaissance mais son désarroi ne disparaissait pas.
-Satsuki, je suis désolé...
-Pourquoi ? s'indigna l'homme tout en contenant ses émotions. Pourquoi est-ce auprès de moi que tu t'excuses ?
-Non. Satsuki, quand je disais vouloir sa mort, je ne le pensais pas.
-Tu le pensais.
-Non ! fit Kyô, éploré.
-Tout en toi le criait, Tôru. Tu as toujours haï Mao, tu l'as toujours méprisé, cet homme que tu accuses de te ressembler, et tu as voulu sa mort.
-Ce n'est pas vrai !
Kyô le suppliait du regard. Le suppliait de le croire, de ne pas lui en vouloir. Satsuki a détourné la tête.
-Ce n'est pas vrai, hein ?
C'était Kyô qui avait murmuré cela. Comme vidé de ses forces, il s'est laissé effondrer contre Satsuki qui est resté immobile, bras ballants.
-Qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'il n'était pas là, Satsuki, qu'est-ce que ça signifie ?

"Pourquoi ? Pourquoi est-ce que tu restes silencieux ?"

-Tu crois qu'ils aient pu me mentir ?
Kyô l'a fixé, interrogateur. Si Satsuki avait arrêté de pleurer, si ses yeux étaient devenus d'un vide translucide, son visage n'avait rien perdu de sa détresse.
-Ils m'ont dit qu'il avait été envoyé à l'hôpital pour sous-nutrition. Lorsque je leur ai demandé le nom de l'hôpital, et le véritable nom de Mao, j'ai été éconduit.
-Tu crois que ce n'est pas la vérité ?
-Qu'auraient-ils craint à me donner son nom ? S'ils ne voulaient pas que j'aille le voir, c'est qu'il n'est pas là-bas, je me trompe ? De plus, il n'arrive jamais qu'ils conduisent un de leurs prisonniers à l'hôpital. Depuis quand leur attribuent-ils des soins ?
-Mais ils ne l'ont pas tué, pas vrai ?


 
 
 
 
 
 
 


"Non. Ils ne m'ont pas tué. Qui aurait pu, dites ? Qui aurait pu me tuer, moi ?
Puisque dans le fond,
j'étais déjà mort."


 
 
 
 

-Dieu soit loué.

Sur son visage émacié reposent les traits tranquilles du sommeil. Ainsi, il ressemble vraiment à un enfant paisiblement en train de dormir sous le regard bienveillant de sa mère.
Cette main que pose l'homme sur sa joue en a toute la tendresse, toute la douceur. Mais il y a quelque chose de plus, aussi. Même à travers une vision brouillée par les larmes, le visage endormi ne perd pas de sa splendeur.
-C'est mon meilleur ami Satsuki qui m'a informé. On lui a dit que tu étais à l'hôpital. Lui, il ne le croyait pas, il me disait que c'était un mensonge, mais je suis quand même venu voir. J'ai fait tous les hôpitaux de Tôkyô avant de te trouver. Et tu es là. Satsuki, tu te souviens de lui, n'est-ce pas ? Il était déjà venu te voir, une fois, avec cet homme nommé Kyô, et puis Mashiro... Satsuki était ton voisin, tu t'en souviens ?

"Dieu soit loué. Il a dit "Dieu soit loué." Pourquoi ?
Moi, je n'ai pas envie de louer Dieu.
S'il existe en ce monde un être à louer, alors ce n'est autre que..."

-Moi aussi, quand Satsuki m'a raconté ce que les gardiens de la Fourrière lui avaient dit, j'ai vraiment cru qu'en réalité ils t'avaient tué. Quel bonheur quand je t'ai retrouvé. Je crois n'avoir jamais été aussi heureux de ma vie, si l'on oublie le jour où j'ai su qu'Asagi demeurerait libre pour toujours. Je suis désolé. Cette fois-là, dans la rue, alors que je te suivais avec insistance, tu as fini par me dire "adieu"... Je comprends que tu n'aies plus voulu me voir. Malgré cela, moi, je n'ai pas pu m'en empêcher. Alors pardonne-moi.
 

"Tu ne sais pas. Tu ne sais pas, toi, à quel point je voulais te voir lorsque j'étais là-bas. De tout temps ; lorsque j'étais à la Fourrière, et aussi avant lorsque j'étais chez ce monstre qui abusait de mon corps et de mon âme, et puis peut-être même avant encore, alors que je complotais contre toi et ton frère... je n'ai jamais cessé de vouloir te voir.
La seule différence est que maintenant, je ne me mens plus en me disant que tu es aussi détestable que les autres.
Et tu sais pourquoi ?
Parce que Mashiro.
Parce que Mashiro, oui. Il faut croire que Mashiro est à l'origine de beaucoup de choses. Mais si je l'ai réalisé, ou plutôt si je l'ai accepté, c'est parce que Mashiro est le premier à avoir remarqué cette évidence et à l'avoir mise sous mes yeux : parmi vous tous, je veux dire parmi lui, parmi Asagi, et parmi toi, tu étais le seul pour qui je ne témoignais aucune haine manifeste, le seul que je ne disais pas ouvertement mépriser et détester, le seul que je n'essayais pas de faire souffrir de manière directe.
Mais cela, Ryô, ce n'est pas ce qui compte le plus."

-Pour l'instant tout va bien. Tu dors. Mais je t'avoue que j'ai un peu peur. J'ai peur du moment où tu te réveilleras. Parce qu'à ce moment-là, tu te mettras sans doute en colère et me diras de partir.

"Ce qui compte, c'est cette autre évidence, Ryô. Celle que Mashiro a étalée devant mes yeux comme un flash éblouissant.
C'est idiot, pourtant, non ? Que je n'aie pu le reconnaître plus tôt. Que pour ça, il ait fallu que ce soit Mashiro qui me le dise.
Mais tu vois, Ryô, je dois te le dire.
C'est la vérité. Mashiro une fois de plus avait raison.
Ryô, même si tu avais tort, même si tu étais bête, même si tu en étais irritant,
puisque tu me faisais confiance malgré tout,
j'étais vraiment touché."


-Même si j'ai peur, tu vois, pourtant j'ai envie que tu te réveilles.


"Il... pleure ?"


-Parce que quand je te vois dormir comme ça, je me dis que c'est un Miracle. Alors je veux entendre ta voix. Que tu m'invectives, que tu me dises de partir, finalement, même ça je voudrais l'entendre. Pour vérifier que c'est bien toi. Vérifier que c'est bien un Miracle.

"C'est de ma faute si il pleure."

-Je me demande qui est cet homme. Je voudrais le rencontrer pour pouvoir le remercier. D'après ce que Satsuki m'a rapporté de ce que les gardiens lui ont dit... Le jour où tu as été envoyé dans cet hôpital, il y avait un homme qui était venu te voir. Lorsque tu t'es effondré, inconscient, il était là. Et il paraît que c'est lui qui a tout mis en œuvre pour qu'ils acceptent de te faire sortir de cette prison afin de te soigner. Il a dit qu'il se chargerait des frais de soins durant tout le temps d'hospitalisation. Si ce qu'on a raconté à Satsuki est vrai, il paraît que cet homme a fait un énorme scandale. Il ne voulait pas te lâcher, dis. Remarque, je le comprends un peu.

"Alors, c'est lui ? Cet homme étrange que je traitais de fou, celui qui disait des choses sans queue ni tête... C'est grâce à lui que je suis ici ? Il est vraiment fou, au final."


-J'étais fou d'inquiétude, depuis ce jour où j'ai appris dans le journal... Toute cette affaire dont parlaient tous les médias. Ils t'ont condamné, non parce que tu étais un escroc, mais parce qu'ils te considéraient comme un mythomane. C'est vrai, Mao, tu es un fieffé menteur, et tu as cherché à profiter de tous ceux que tu croisais sur ton chemin. Mais Mao, cette fois-là, tu n'as pas menti, pas vrai ?

"Tais-toi, je t'en prie. Ce n'est pas la peine de parler. J'ai tellement envie de te voir mais je ne peux pas. Je n'oserai pas ouvrir les yeux tant que tu seras là.
Même si je sais que je risque de ne plus jamais te revoir après ça... te regarder, je n'y arrive pas."


-Je te demandais où est-ce que tu vivais. Je t'ai demandé si seulement tu vivais heureux. Je réalise à quel point ma question était idiote, et à quel point elle a dû te faire du mal. Pardonne-moi. Je comprends pourquoi tu n'as jamais voulu me répondre. Mao, cet homme dont tu parlais à la Justice, disant qu'il t'avait obligé à voler... il s'agit de ce même homme avec qui tu as tenté de m'escroquer, pas vrai ? Le Directeur de la Fourrière...


"Oui. C'est la vérité. Même si je ne te l'avouerai jamais, tu sais que c'est la vérité, non ? Alors, je t'en prie, ne me demande pas pourquoi."


-Je pensais que lui et toi étaient associés. Alors, pourquoi Mao ? Pourquoi et depuis quand te faisait-il du chantage ?

"Je te hais."
 

Le soliloque a pris fin. Avec anxiété, Mao a attendu que Ryô ne se remette à parler mais rien n'est venu. Rien n'est parti non plus. La main de Ryô était toujours posée sur sa joue.
Il a entendu une respiration sifflante et saccadée. Ryô a lâché un petit cri de douleur et, n'y tenant plus, s'est penché jusqu'à ce que son visage se retrouve enfoui au creux de son cou. Mao a senti l'humidité des larmes contre sa peau.

-Mao, dis-le moi, toi. Je suis certain que tu le sais. Dis-moi pourquoi est-ce que d'un seul coup, il a été décrété qu'Asagi était libre.
 


"J'aimerais bien que tu me haïsses aussi. Que tu me haïsses, et que tu penses que je n'ai eu que ce que j'ai mérité.
Ainsi, tu arrêterais de souffrir."
 

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