Puissance et déchainement
leeman
La libido est une gêne. Parfois incontrôlable, inassouvie, désespérée ; elle est le fruit de toutes nos pensées rejetées. Et l'attention portée aux femmes ou aux hommes qui font chavirer une grande partie de nos rêves ne fait que s'accumuler. Éponger les fronts, souffrir de son souffle excessif ; la chaleur dense, les émois fulgurants. On se sent jeune lorsqu'on désire passionnément. On se sent beau parce qu'on nous regarde. Et les charmes utilisés, à bon escient je crois, parce qu'on prie plus que tout accomplir l'acte de vie par excellence. Plus encore que souhaiter contempler les horizons, plus encore que pleurer les jours passés. On s'exalte infiniment par, pour et grâce à l'autre. Tant de moments si grands profondément ancrés dans le partage. Un acte qui, en somme, fonde une existence parallèle, car un autre soi s'extirpe de nous-mêmes, et vit par la jouissance de l'esprit et des corps. Un symbole de vie nonchalamment lyrique, et qui dépeint toute une absurde totalité. La démesure est insensée, mais nous l'aimons pour tout ce qu'elle peut nous offrir. Vouloir plus et encore plus, pour nous transcender par l'acte à tout jamais. Vivre, et mourir, dans une absolution indéfinie, synonyme d'une décrépitude assouvie. Rien n'a plus de fin. La libido est une grande amie, dans de tels moments où nous pouvons tout combler. Mais elle sait être une ennemie destructrice, si rien n'est exalté. Elle nous possède, malheureusement, jusqu'à la moindre parcelle de notre chair. On rit, on pleure, on soupire... Tant de réactions multiples qui transcrivent un désespoir sans fin. Sans commencement, une éternelle déception, une attente absolue. Est-ce une misère que d'en souffrir ? Je crois. Pire que la pression du temps, pire que l'étendue croissante de l'espace, la passion refoulée est envahissante, et hante à chaque fois toutes les pensées et les mots limpides de l'individu. Et puis, chacun déteste ses désirs, parce qu'il ne sait comment les contrôler. Ni comment prendre le pas sur ces derniers. On se perd dans cette seconde existence, laissant ainsi de côté la vraie personne que nous formions jusqu'alors. Car, à défaut de vouloir retrouver l'immense euphorie que tout ce plaisir-là peut nous procurer, l'être en lui-même est oublié. Qu'il soit dans l'âme ou dans le corps, la recherche est forcément dans l'autre. Le soi s'évince de sa raison, pour n'être qu'inondé par les nombreux tumultes qui le rongent. Parfois plongé dans sa dévolution la plus totale, parfois confronté à son propre chagrin et son propre désarroi. L'homme souriant parce qu'il a su déifier tout son être se sent vainqueur, et apprécie sa vie. En revanche, dans le cas contraire, il se hait, d'une force inégalée, parce ses ardeurs demeurent insatisfaites. Il n'est plus qu'un être de colère et de refoulements pathétiques. Il s'effondre peu à peu sur lui-même, comme si les bâtisses de son fort intérieur cédaient à la pression de l'amativité ravageuse. Voilà que ce vice implose en l'humain qui souffre, ne demeurant par la même qu'une conscience amochée, ruinée par tant d'états d'âme nourris par un appétit continuel. En somme, la libido nous rend lunatique en ce sens qu'elle nous aide à concevoir une autre réalité. Dans laquelle tout est luxure et jouissance lascives. Bien que parfois, les instincts s'emparent définitivement de chacun, lui faisant oublier la tendresse, en même temps que l'animalité qu'il contient est à son tour mise en valeur. Cette autre réalité est fondée par nos divers fantasmes. Car après tout, tout ce qu'on voit de réalisé dans cet imaginaire, on le quémande par la même dans la réalité primaire. Pas si simple cependant de ne pas sombrer dans sa propre folie, forgée par l'attirance. Forgée par les soupirs, les cœurs qui battent à vive allure, les regards souvent bien placés... L'homme ainsi bascule entre rêve et réel, entre ténèbres et lumières. Car le rêve est un endroit qui peut nous rendre malheureux, à trop baigner dans les fantasmes irréels et irréalisables. Le monde, lui, plein encore d'une innocente lucidité, éclaire la pensée sinistre de l'être qui souffre. Mais l'on peut voir les choses dans l'autre sens. De telle sorte que les lumières, signes d'une incapacité excessive, se transforment bien vite en un berceau de détresse subjective. Et, par seul moyen de consolation, l'homme attristé ira se réfugier dans cette bâtisse intérieure. Son monde empli de rêves. Il quitte les ténèbres de sa sordide réalité pour fermer les yeux, et ainsi contempler son royaume appétissant. Cette dimension de nature est substituée à une dimension comblée de représentations. Il s'y noie, s'y meut, y gît comme une pauvre âme errante ; ou comme la personne la plus heureuse qui puisse exister. Enfin, le désir qui le concerne et lui et l'autre propose un schéma de profonde destruction. Si dans ses rêves, il rayonne de joie et de satisfaction, il en oublie par la même qui et où il est réellement. Le voilà mort-vivant. Vivant parce qu'il s'épanouit dans cet imaginaire qui le transcende ; mort parce qu'il est inanimé, comme une poupée délaissée, pleine de poussière, les yeux clos. Et ses pulsions l'aident à creuser les catacombes parmi ses entrailles. Enseveli en lui-même comme s'il cédait au poids terrible de son propre tombeau, l'homme meurt. Exposé enfin aux lumières du monde, sa personne périt, anéantie par le désir, source de vie à l'origine.