Puisse la mort nous séparer.

era-din

Supplique pour une libération.

Il est 18 heures. La nuit vient de tomber et le froid mordant de l'hiver encore juvénile met à l'épreuve la moindre parcelle déjà usée de mes vêtements. Il est 18 heures. Les rues sont emplies de gens, insignifiants à mes yeux, s'affairant tels des fourmis, ça et là, impressionnés par les merveilles des fêtes de fin d'année, omnibulés par la nécéssité de trouver quelque présent pour leurs proches, pressés de rentrer dans leur doux et si agréable foyer. Il est 18h, et moi, je traîne.

Il est 19h. Je commence seulement à me dire qu'il serait plus que temps que je rentre. Je finis doucement mon verre, amusé par le spectacle que m'offre les terrasses de bar à cette heure un peu étrange, aussi tardive qu'elle n'est que le début de la nuit à proprement parler. Il fait déjà trop froid pour le badaud ordinaire. Les rues se vident petit à petit, le mari se hâtant de rentrer chez lui, voir sa femme qui lui a préparé un repas chaud, et ses enfants à qui il dira bonjour d'un geste détaché.

Car après tout, pour combien d'hommes la situation s'est-elle figée dans ce cas de figure ? Pour combien d'hommes, il n'est plus question d'être gentleman, mais seulement de cacher sa déception et ses regrets ? Pour combien d'hommes épouse est devenu synonyme de chef cuisinier, de pressing et de rapports sexuels ?

Et pour combien de femmes mari est devenu un synonyme d'antihéros ? Pour combien de femmes un mari est un homme qu'elles ont aimé auparavant, un homme qui les charmé, dorloté, fait rêvé, mais un homme qui aujourd'hui a disparu, petit à petit, glissant vers la seconde personnalité de sa schizophrénie latente ? Pour combien de femmes les enfants sont signes de bonheur, mais la vision de leur mari symbole de doute, de regrets ou de rêverie nostalgique sur le passé ?

Et surtout, oh oui surtout, pour combien de personnes ce n'est pas le cas ?

Jamais je ne t'épouserai. Jamais. Jamais je ne pourrai me résoudre à t'infliger le spectacle de ma décrépitude, et jamais je ne veux devenir pour toi une erreur. Ma seule et unique volonté te concernant est de dessiner ce sourire si charmeur sur ton visage si fin, doux, et tout simplement beau. Ce visage sur lequel j'aime tant poser mes mains, ce sourire sur lequel j'aime tant poser des baisers.

Il est 20h. Me voilà arrivé à quelques mètres de notre appartement, je passe en coup de vent chez le fleuriste, acheter des roses rouges qui sont tes préférées-- Tu as toujours eu un penchant pour les grands classiques maintenant que j'y pense.
Je me presse afin que tu ne m'en veuilles pas de rentrer si tardivement, tout en prenant soin de ne pas blesser le moindre pétale dans ma hâte. Ma clef rentre difficilement dans la serrure, le mécanisme engourdi par le froid et mes doigts vieillis par la rouille ont du mal à coopérer, mais par un moment d'entente aussi bref que suffisant, la porte s'ouvre, et elle s'ouvre sur une des plus belles visions que j'ai pu connaître. Toi, mi-habillée, une de mes chemises et des chaussettes pour tout vêtement, assise sur le parquet froid, un œil sur l'écran animé par la console de jeu, l'autre sur la fenêtre qui offre une vue sur la ville recouverte par la nuit froide. Tu es si concentrée que tu ne m'as pas entendu. J'approche doucement, pose les fleurs devant tes yeux, en te chuchotant doucement “Surprise.” Tu te retournes alors, tout sourire, agrippes mon cou de tes deux bras, et m'embrasses tendrement. Tu dessines en moi un sourire intérieur.

Il est 21h. Je rentre enfin chez moi.
L'appart' est vide, en bordel. Plus rien n'est à sa place, rien n'a jamais vraiment eu de place en fait. Je jette des roses écarlates, achetées de manière impulsives pour une amante imaginaire, sur la table déjà recouverte de vieilleries. Je me fraie un chemin jusqu'à mon lit. Je prends ma guitare, commence à jouer quelques notes, et m'arrête de suite : Tant de tristesse musicale. Jamais je ne retrouverai mon inspiration.

Il est 22h. Je suis seul.
Tu me manques. Ma tête, mon cœur et mon âme sont encore à tes côtés.
Eux t'ont épousé. Moi j'ai douté. Et finalement, mon unique source de regret, c'est toi en personne.

Il est 23h. Où est-elle ? Que fait-elle ?
Puisse-t-elle venir vite. Puisse-t-elle faire d'un fantôme un être vivant à nouveau.

Puisse la mort nous séparer.

Mais...
Puisse le hasard nous recréer.
Puisse la chance nous sublimer.
Puisse le futur nous étonner.

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