putain de miroir

Eclat De Nuire

Descellez ses doigts serrés sur mon stylo Oskar.

Descellez-les, je vous en prie, mes mots me font peur,tenez; je vous les donne. Parsemez-les avec les vôtres et écrivez-moi encore. Mais gardez loin de moi mes mots que je ne supporte plus.

Ne vous étonnez pas, mon cher, de ce mutisme auquel j'aspire, la seule chose que je suis capable de vous offrir. Ne me reprochez pas ce soupir, excusez-moi plutôt. Ce silence me dépasse.

Soyez indulgent et pardonnez à une pauvre illusion qui jusqu'à ce jour n'avait fait qu'observer les autres.

J'ai fait une erreur. Pas une de celles ridicules qui bornent le quotidien, non. Pas une de celles d'où l'on se sort toujours, tant bien que mal, parce qu'on fait, parce qu'on arrivera toujours à faire que la pièce tombe sur la tranche au lieu de tomber sur face ou sur pile. Parce qu'on s'arrange pour toucher du bois là où tout n'est que métal.

Non, évidement non. Ce serait beaucoup trop simple.

Il y avait un miroir, Oskar.

Il traînait sur mon chemin, ce n'était pas tout à fait ma faute.

Mais c'est trop tard, maintenant je sais.

Je sais que le fond de mes yeux n'est pas tout à fait bleu.

Depuis j'ai peur. J'ai vu au fond de ce qui nous sert à éveiller les figurants des jours mornes tout ce que le monde avait déjà vomi, j'ai vu les regards délavés des passants de l'Histoire. Des regards flous, de ceux qui ont trop vu ou qui regrettent de n'avoir rien fait de leurs visions. Des yeux usés, cassés, les regards de nos pères, à vous et à moi, ceux qui ont glissé sur leurs maux et dont les têtes ont quitté les étoiles. Leurs pieds se perdaient dans des cadavres ordinaires.

Lorsque nous étions vivants, vous vous souvenez ? On nous disait que nos pupilles étaient rondes et qu'elles se dilataient sous l'effet d'une trop vive lumière. Ce n'est pas vrai. Dans mes yeux écarquillés j'ai vu le regard de tout ceux que la vie oublie, toutes ces histoires vacillantes soufflées par ces deux bombes H au milieu de mes yeux ceux qu'elles avalent et digèrent plus vite que le tremblement nerveux de vos mains floues. Des milliards de victimes dans mes cils, celles de notre temps cette fois, imploraient mes yeux bourreaux, vides et creux.

Et quand j'ai voulu stopper la réflexion, je ne vous ai pas vu. Je voulais votre visage pour masquer le silence de mes yeux conscients. J'ai fermé les yeux, mais vous n'étiez pas là. J'ai senti des larmes vermeilles, je savais qu'elles étaient aussi vermeilles que le fond de mes yeux, je les ai senti rouler sur mon visage dans de toutes jeunes rides.

D'abord je n'ai pas rouvert les yeux.

Je me suis demandée pourquoi les cris primaires, apocalyptiques, ne font que ricocher sur nos dents serrées pour toujours aller se perdre dans des déglutissements pénibles.

Les rues devraient être bordées de cris. Au lieu de ça, celui qui hausse le ton fait peur et a figure d'autorité, celui qui se tait a perdu. Celui qui rit aussi fait peur, parce qu'on sait qu'il devient incontrôlable. Le silence est de mise, pour être « normal », baisser les yeux est important.

On se tait.

Parce qu'on ne sait pas pourquoi on continue de regarder. On sait qu'entre la discordance et nous, il n'y a qu'un pas. Alors on s'abstient, on fait tout pour que les cris ne dépassent jamais les façades de nos visages. Silence.

Pourquoi les rues ne sont-elles pas bordées de cris ?

Les rues elles-mêmes me répondent, à travers les yeux des passants :

« Que reste-t-il à hurler ? »

Les épaules qui s'affaissent. Les yeux_les vies_se vident. On continue, on se fiche de savoir pourquoi, silence, silence. C'est plus simple.

« Que reste-il à hurler ? »

On continue, c'est tout , on va jusqu'à se foutre de cette fuite en avant. Du moment que ce Tout étrange fait semblant de fonctionner.

J'ai rouvert les yeux. J'ai vu tous ces mots tracés aux larmes vermeilles sur mon visages.

Mes mots.

Je vous les donne.

Au moment où mes yeux se sont rouverts, le vermeil accroché à mes paupières a nuancé mes visions. De lourds rideaux rouges sur les cadavres de l'oubli.

Tout Oskar.

Moi, je sais qu'il reste tout à crier.

Prenez mes mots.

Le poète avait raison, les verres ne se brisent que dans les éclats de rire.

Un éclat discordant, cette sorte de cri, celle que je préfère.

Venez avec moi, vous me l'aviez promis ; allons-y, comme vous l'aviez dit, allons danser sur les âmes mortes des espoirs disparus.

Allons-y.

Inès.

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