Putain qu'c'est beau la vie

velvet

Lorsque la pluie passe, le soleil revient et les nuages gris volatiles disparaissent au loin traînant avec eux les âmes souffrantes.

La clope au coin d'la lèvre, elle reste assise sur le sol terreux de la forêt. Les feuilles lui collent au cul, la pluie lui colle les cheveux contre le visage, les habits contre le corps, sa main droite glisse dans la boue. Un filet de fumée monte au ciel, bientôt éteint par les gouttes polluées tombant du ciel ni gris, ni bleu, un peu blanc, un peu noir. Elle pince les lèvres, fait la grimace. Elle sort la cigarette de la bouche, lève la main droite, regarde la terre liquide dégouliné lentement de ses doigts secs, de ses ongles zébrés de couleurs craquées. Elle pousse un petit rire ironique, presque méchant, presque cruel. C'est beau la vie, elle pense, c'est beau.

Ses doigts de pieds sont bleus, elle claque des dents, alors elle allume une nouvelle cigarette pour se réchauffer, pour penser à autre chose. Pour penser à la fumée et au clac du briquet qu'on allume, pour oublier le ploc de la pluie, le bruit du vent dans les arbres, ces hurlements lugubres qui remplissent le début de la nuit d'une ambiance macabre.

Une mèche rose lui barre la vue. Ah oui, qu'est- ce que c'est beau. Elle refait la grimace et une larme roule de son œil, elle remet la mèche fuchsia derrière l'oreille, se retrouve avec une touffe dans la main boueuse et avec de la boue dans la tignasse déjà mouillée. Une autre larme coule, et puis encore une autre, encore une et encore une et encore une et encore une et encore une, ça ne s'arrête pas. Ça coule, ça coule, ça coule, ça coule et puis ça se mélange, ça se mélange avec les larmes de pluie sans goûts, ni salé, ni sucré. Avec les larmes au goût mort qui tombent du ciel.

Ça lui goutte de partout, ça tombe du menton, ça tombe sur le truc à bretelle trempée qu'elle porte, ça tombe sur son décolleté rougi, sa tombe sur ses jambes nu, sur le sol feuillu, terreux. Sur le sol dégueu. Sa main tremble un peu lorsqu'elle approche la clope de sa bouche, sa bouche hésite un peu avant d'aspirer un coup de fumée, de l'avaler de travers, de tousser, de recracher un nuage gris qui disparaît rapidement, percé comme à coup de mitraillettes par les gouttes de pluie.

Elle se passe les deux mains sur le visage, elle a un peu de la boue sur les joues, sur le menton, le front, le nez, la saleté se mélange avec les traces de mascara et de crayon noir qui dégouline le long de son visage, avec les larmes qui font coulez le maquillage et avec la pluie qui fait couler les larmes et coller les cheveux. Elle soupire et s'allonge sur le dos, laisse tomber la cigarette. Elle a de plus en plus froid. Ses jambes tremblent, ses dents claquent. Elle ferme les yeux, les larmes changent de trajectoire et tombent comme des petites perles de cristal poussiéreuses à côté des ses oreilles rougies et trempées, sur ses cheveux roses. Elle serre ses mains, les mets entre les jambes pliées. Claclaclaclaclaclac, le bruit des dents résonne inlassablement dans sa tête, martèle une mélodie étrange. Elle rouvre les yeux, regarde le ciel.

Oh, une étoile, elle se dit, j'peux faire un vœu… Malgré le froid elle se creuse la tête pour trouver quelque chose à demander. Mais elle ne trouve que du vide, un gouffre sans fin et sans merci rempli du claclac des dents et de l'insignifiance de sa propre vie qui la poursuit jusque dans ses rêves.

C'est beau la vie…

Elle referme les yeux, presse les paupières l'une sur l'autre, serrée, serrée, comme si ça pouvait changer quelque chose, comme si ça pouvait éloigner les problèmes. Maintenant elle ne sent plus ses jambes, elle ne sent plus son corps, tout ce qu'elle sent c'est son visage dégoulinant et la douleur dans sa tête. Non, elle se dit, non, non, non. Elle essaie de bouger. Marche pas. Alors elle essaie de crier. Marche pas non plus. Elle se met à pleurer plus fort, cette fois son visage se tord en grimace de tristesse sous les pleurs abondant. Elle a mal, mal, mal, mais elle a froid et elle ne peut plus bouger. Qu'est- ce que je fous là, bordel ? Mais qu'est – ce que je fous là ? Elle aimerait bien une dernière clope mais ses mains glacées glaciale sont fermement décidées à ne plus répondre à l'appel du cerveau. Elle aimerait bien que quelqu'un arrive, la prenne dans ses bras et lui dise que tout ira bien, n'importe qui, n'importe quoi, un homme, une femme, un enfant, un vieux, sa mère, son père, son frère, son ex, son chat, son nounours, n'importe. Mais que quelqu'un vienne. Mais personne ne vient, il y a juste elle, le froid, la douleur, la pluie, le vent, les arbres, les feuilles, et cette putain de boue qui s'accroche à tout son corps qui peu à peu se calme.

Tant pis, elle se dit, toute façon j'peux rien faire. Sa respiration ralenti, ses paupières se pressent moins fortement l'une sur l'autre ses mains dégueu se desserrent un peu, ses seins se relâchent, ses jambes pliées retombent au sol. Tant pis, tant pis, tant pis.

Elle ne voit pas de petit point noir qui bouge devant ses yeux, elle n'est pas engloutie dans les ténèbres, elle ne voit pas sa vie qui défile minute éclair devant ses yeux, elle ne voit pas un tunnel de lumière, elle ne voit ni d'anges ni de démons, au moment où ça bascule, où son cœur s'arrête et son corps meurt, tout ce qu'elle fait c'est soupirer. Elle ne sourit pas paisiblement. Elle n'a pas une dernière larme qui roule le long de sa joue. Il n'y a personne qui lui tient la main. Il y a juste une mèche fuchsia qui lui tombe sur les yeux, de la boue qui lui roule sur les paupières et dans sa tête, elle a pensé rapidement sans réfléchir Putain que c'est beau la vie, et puis bam, premier arrêt du cœur, mais un dernier éclair traverse encore son esprit. Donnez – moi une clope et tendez – moi un parapluie, elle pense, juste avant de crever, donnez – moi une clope et laissez – moi rêver, demain sera un nouveau jour.

  • J'ai beaucoup aimé. En particulier le début :) continuez d'écrire, vous avez du talent.

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Weekendplansnewest

    mlleash

  • C'est juste ... Magnifique. J'ai accroché du premier au dernier mot. Sans savoir pourquoi, je me suis vue dans ton personnage, j'ai beaucoup apprécié le fait que ce qu'elle vive, elle se dise encore que la vie est belle, ça change, c'est beau et d'une originalité sans surplus. Coup de coeur.

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Img 20150913 171139

    Aly.

Signaler ce texte