Puzzle ô bazar du monde

blandyne

Le monde… Un mot qui veut tout et rien dire. Une idée que tout le monde a, quelque part, dans un coin de sa tête, dressée comme un planisphère personnel. C'est l'assemblage de tout ce qu'on connaît, ce qu'on a appris, ce qu'on a vu. Un puzzle confus que l'on cherche à reconstruire, désespérément.

Certains n'ont que deux ou trois pièces à leur jeu, et parviennent aisément à les emboîter. Pour eux peu importe que les traits ne se joignent pas, que les couleurs jurent et les styles divergent – puisqu'il n'y a qu'un assemblage possible. Ils doivent être bien aveugles, ou aveuglés par leur ignorance. Et pourtant, ils crient haut et fort qu'ils ont trouvé la solution, que c'est très simple et qu'il n'y a qu'à les écouter pour résoudre tous les problèmes ! Leur puzzle est enfantin, fait de pièces immenses et mal dégrossies ; et pourtant il fait l'effet d'une révélation chez bien des gens, qui abandonnent le leur et suivent ce courant. C'est qu'il est plus aisé de se laisser ainsi aller, plutôt que de se torturer l'esprit à tenter de comprendre l'incompréhensible.

Ceux qui ont mille et une pièces entre leurs mains désespèrent de les voir ainsi triompher, et contestent ces solutions toutes faites. Mais lorsque le public leur demande « Vous qui critiquez, montrez-nous votre solution et peut-être alors nous vous écouterons ! », les voici désemparés, nus, leurs assemblages décousus et incertains entre les mains. Sans cesse des pièces nouvelles pleuvent sur eux, venant compliquer, emmêler, brouiller davantage toutes leurs pistes. Ils n'ont que des idées vagues du chef d'œuvre que devrait donner le puzzle, ils parlent de bien commun, de solidarité, d'amour. On leur rit au nez, en voilà assez de ces rêveurs ! Ils ne produisent rien de concret, ne sont bon qu'à philosopher et à chanter au pays des bisounours. Ce n'est point eux qui guideront le peuple.

Et pourtant parmi eux certains se sont focalisés sur une part du puzzle, sur un sujet qu'ils ont conquis peu à peu, tout en étant conscients qu'un simple élément nouveau pouvait renverser leurs hypothèses. Ils avancent avec précaution, affirmant leurs convictions avec une pointe de doute et un brin de fougue. Ils comparent avec ceux des autres, s'ajustent en fonction pour trouver l'idéal. C'est un but inatteignable, ils le savent ; mais l'important est d'y tendre, pour s'en rapprocher. Ceux-là sont écoutés, parfois. Ils proposent des solutions concrètes pour améliorer d'un poil la situation, pour apporter leur pièce au puzzle. Plus ils sont suivis, plus ce morceau prend de l'importance et devient visible. Néanmoins ce bout n'est pas à confondre avec le tout, le but n'est pas de croire en quelque chose de facile ou de se fondre dans une idéologie. De toute façon, on ne comprendra jamais tout. Et peut-être même, jamais rien.

Si l'on se sent perdu dans ce monde, si tant de pièces nous paraissent morbides et indignes de considération, ce n'est pas pour autant qu'il faut le ranger dans des cases fictives. Accepter que les causes de nos maux dépassent l'intelligence et la perception fait mal, mais cela ne veut pas dire accepter cet état pitoyable du monde. Il y a toujours quelque chose que l'on peut changer. Une poussière à transformer en cristal. Car ne l'oublions pas, ce sont les gouttes qui forment les océans.

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