Quête insatiable

blackfeather

Regarde moi que je me toise.

Penses-tu que c'est ton âme que je tente de percer à jour lorsque je te contemple ? Crois-tu que je m'apprête à saisir toute la complexité que peut suggérer ton être dans le but de combler ce vide ? Ne te laisses point happer par les méandres de la naïveté. Je suis en quête, certes, nous le sommes tous d'ailleurs, mais nous tombons sans cesse dans l'aveuglement le plus total lorsqu'il s'agit de définir la nature de cette quête. Celle-ci n'est pas altruiste, tournée vers l'autre tout comme l'éthique et la morale le voudraient. A ma grande déception, je constate que cette quête est de nature égocentrique, trait spécifique à l'Homme. Nous naissons avec la sensation immédiate d'un manque indéterminable. Une sensation qui ne cessera de croître au fil du temps. C'est notre vérité, notre vérité personnelle, propre à chacun, que nous cherchons. 

Je sais que je suis un être dont je ne perçois guère de façon réaliste et objective toutes les facettes. Impossible alors de saisir ma réalité, auquel cas j'aurais résolu le mystère d'une vie. Je n'ai pas une influence aisée sur l'image que mon miroir ou que mes actes me renvoient et je ne sais si la symbolique que je parfais de mon "moi" découle de ma pleine volonté. Dimension duelle de l'imaginaire et du symbolique de mon « moi » dont la conception est empreinte de toute ma subjectivité m'empêchant ainsi de comprendre ma réalité.

Ce n'est pas toi que je regarde, ce n'est pas ton âme que je tente de saisir, de percer à jour en te contemplant de la sorte. C'est la mienne. C'est mon reflet en toi que j'étudie, c'est ma réalité en toi que je veux comprendre. Tu n'as pas ma subjectivité, tu as la tienne et c'est tout aussi risqué. C'est peut être pour cela que tu as tout de même l'impression que je te contemple. Parce que j'ai choisi ta subjectivité et pas une autre sur le moment. Ta subjectivité, étreinte par mon désir de te plaire ou plus exactement par la parade que j'ai dû adopter pour que tu acceptes de réfléchir ma réalité, mais également par les contraintes sociales, économiques et politiques qui façonnent mon être, me plaît et me convient. C'est ce que j'aime, admirer ma symbolique en toi. Elle est le fruit de ton inconscient et viendra préciser ou corriger mon imaginaire. Mes mots et mes actes paramètrent les tiens. Tu es sous influence, tu deviens moi, comme je peux devenir toi. Parce que tu me contemples comme je le fais. Au final, c'est peut être cela la quête d'une vie ; passer son temps à regarder son âme miroiter dans les yeux de l'autre.

Par ceci, j'espère faire jaillir, un jour, ma réalité. Or, il est évident que le réel ne peut découler du reflet de ma symbolique chez un être qui ne parviendra jamais à saisir toute la densité de mon être et dont je ne parviendrai jamais à saisir la sienne. Le réel est impossible. C'est évident mais nous persistons tout de même. A croire que nous nous acharnons sur la définition de notre symbolique à défaut de la définition de notre réalité. Il s'agit là d'une quête insatiable. Ainsi, nous sommes condamnés à ressentir ce manque.

Tu me regardes de la même façon mais tu n'as pas la même emprise. Tu te sens démuni parce que tu ne te perçois pas de la façon dont tu le voudrais en moi. C'est en cela que nous sommes bancals, que notre relation qu'elle soit « amicale », « amoureuse » ou autre est déséquilibrée. Tu réfléchis ce que je veux que tu sois : moi. Aujourd'hui j'ai l'ascendant sur toi, peut être que demain ce sera toi. Une relation s'établit rarement d'égal à égal, il y a le dominant et le dominé, il y a le dominant et le reflet du dominant. Un rapport de forces inévitable est à négocier.

Que cherchons nous en faisant ceci ? L'aval d'un esprit que l'on juge correct, quant à l'entité que nous incarnons ? Un jugement positif quant aux choix, aux décisions qui ont généré le produit que nous sommes ? Une quelconque bénédiction, une légitimité d'existence ?

Je suis Homme, je suis Narcisse.

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