QUIPROQUOS
Hervé Lénervé
« Promenons-nous, dedans le bois, pendant que loup n'y est pas. La, la, la… » Chantait la petite en sautillant de joie. De peur, elle n'en avait aucune, car toute enfant qu'elle était, elle savait tout autant que les loups ne peuplaient plus les jardins parisiens. Elle savait qu'ils avaient pris d'autres apparences, qu'ils s'étaient métamorphosés en personnes honorables, respectables bien habillées et d'apparence cordiale et débonnaire. Tel en était du monsieur charmant qui l'aborda.
- Tu chantes bien petite, tu as une très jolie voix.
- Merci monsieur, ma maman me le dit souvent.
- Eh bien, ta maman doit être une mélomane, car elle sait reconnaître le talent.
- Merci pour ma maman, alors !
- Tu es très polie aussi, ma jolie. Aimerais-tu chanter dans une chorale d'enfants de ton âge ?
- Sais pas ! Faudrait demander à ma maman.
- Bien sûr, Bien sûr, bien évidemment, mon enfant ! Mais avant n'aimerais-tu pas pousser une chansonnette avec le groupe pour entendre si vos voix s'accordent ?
- Sais pas ! Je pense qu'il n'y a pas de mal à ça. Allez d'accord ! Ils sont où les autres ?
- Là regarde ! Ils sont déjà sur le kiosque à musique.
- Ah, oui ! Je les vois. Mais ils sont plus vieux que moi.
- La chorale se compose d'enfants de huit à douze ans, c'est une question d'harmonie entre ténors et barytons, entre les tessitures… les voix aigües et les voix graves, si tu préfères.
- Ah, Oui ! d'accord, je comprends. Tient regarde voilà ma maman.
Effectivement, une femme accourait affolée directement sur eux, ce devait être la mère, car on ne fait pas de jogging en jupes et en talons. Elle prit d'autorité sa fille par la main et commença à la sermonner en lui secouant le bras comme un prunier sans s'occuper du monsieur qui géné regardait faire… c'était assurément la mère, qui d'autre secouerait pareillement un enfant.
- Je t'ai dit cent fois de ne pas t'éloigner de moi sans prévenir. Combien de fois faudra-t-il encore que je te le répète, à la fin.
Et sans adresser un seul regard à l'homme elle amorça le geste de s'éloigner en tirant sa fille par le bras.
- Bonjour madame. Je discutais avec votre fille au sujet du chant. Je dirige une chorale d'enfant et…
- Maman ! Le monsieur me demandait si je voulais bien le suivre.
- Pardon ? Dit la mère prise de panique. L'enfant continua en souriant.
- Oui ! Il m'a dit que je pourrai devenir une grande chanteuse.
- Que me chantes-tu là ?
- Oui ! j'ai une belle voix et si je suis très gentille avec le monsieur, si je fais tout ce qu'il me dit, je deviendrai célèbre, je deviendrais une tentatrice.
Pour la première fois, la femme regarda avec des yeux apeurés le monsieur en question. Elle sortit un portable de son sac à main.
- J'appelle la police !
- Enfin, madame c'est ridicule, c'est un malentendu ; je me nomme…
L'homme n'eut pas le temps de se présenter, la mère le coupa péremptoirement.
Taisez-vous ! Et surtout, ne bougez pas d'ici. On va attendre les policiers.
L'homme était bien élevé, on ne prend pas la fuite lorsque l'on est une personne respectable et innocente de surcroit.
- Calmez- vous madame, je comprends que vous soyez effrayée avec tout ce que l'on entend, mais je peux vous assurer que je suis…
Pour la deuxième fois, il ne put terminer sa phrase, deux agents sous la forme d'un gros brigadier bouledogue et d'une jeune auxiliaire de race incertaine, l'interrompirent derechef.
- Qu'est-ce qui se passe, ici ? tonna le bouledogue d'un timbre de basse.
- Cet homme a abordé m'a fille en lui demandant de le suivre.
- Mais enfin, c'est une méprise… c'est très gênant à la fin.
- Taisez-vous, monsieur et venez avec nous, s'il vous plait. On va tirer ça au clair au commissariat. Continua le bassiste.
- C'est ridicule enfin, je peux tout vous expliquer, je me présente…
- Le monsieur voulait me donner des bonbons. Dit innocemment la petite farceuse.
- Mais c'est faux ! C'est insensé. Jamais de la vie je n'ai parlé de…
- Taisez-vous immédiatement et avancez ! c'était la stagiaire, à présent, qui avait beaucoup plus d'autorité que sa frêle constitution de lévrier abâtardi ne l'aurait laissé supposer.
- Il devait m'acheter une poupée aussi ! dit la petite chipie.
- Mais que dis-tu là ma petite ? C'est incroy…
Cela devenait une habitude de ne jamais laisser l'homme terminer une seule de ses phrases.
- Tais-toi ! Tend les bras ! Tonna le bassiste.
Et le monsieur débonnaire se retrouva menotté et conduit sous escorte au poste de police devant un attroupement, composé principalement de femmes à poussettes, qui s'était formé en cercle dans la configuration des colons qui se protègent contre une attaque de sauvages emplumés et peinturlurés. On entendait monter de toute part comme dans un cœur de chorale : « c'est incroyable, on aurait dit un homme comme il faut ! »… « - Que se passe-t-il, ici ? - Encore un pédophile, mon Dieu, mais ils sont partout ! »… «- Il faudrait remettre la peine de mort pour ces monstres ! C'est sûr ! Et ce serait encore trop doux pour eux… »
Quelque temps après la mère courroucée, tirant toujours son enfant espiègle par la main, sortait de l'administration policière.
- Dis, maman ! Tu me l'achètes cette poupée ?
- Plus tard, plus tard… On verra, on verra !
La gamine esquissa un sourire et reprit joyeuse. « Promenons-nous, dedans le bois, pendant que loup n'y est pas. La, la, la. »
L'homme était resté au commissariat, en garde à vue, il était interrogé sans complaisance par une capitaine flanquée de la même stagiaire qui le dévisageait comme s'il c'était agi du Diable en personne, le Mal personnifié. Et cet homme qui œuvrait bénévolement depuis des années dans des associations caritatives, respecté par son entourage pour ses compétences musicales son intégrité et sa patience, fut traîné en justice pour attouchements sexuels et viol, car la coquine avait prétendu « qu'il lui avait mis une chose en elle ». L'affaire n'alla pas jusqu'aux assises, il y eut un non-lieu, pourtant le monsieur se vit interdit de toutes activités avec des enfants et il ne dirigea jamais plus aucune chorale. Il ne dirigea même plus sa vie d'ailleurs, il perdit ses collègues qui, il y avait si peu, le respectait tant, il perdit ses amis, ses relations, il perdit jusqu'à sa femme, il perdit tout ce qu'il possédait, même l'estime qu'il avait de lui-même, il devait être bien distrait, cet homme-là, pour perdre autant en si peu de temps et pour finir, il perdit jusqu'à la vie, car il y mit fin trois mois plus tard après ce léger incident. Il mourut d'un malentendu.
Bien plus tard encore, la petite innocente devenue grande entama une carrière de soliste qui devait l'amener au succès et à l'admiration enviée pour sa virtuosité par toute la profession. Elle remercia souvent en pensée le gentil monsieur qui lui avait révélé sa vocation.
Les enfants d'aujourd'hui ne craignaient plus les loups, ils avaient appris à les tuer d'une très jolie voix… La, la, la…
J’espère pour toi que ce n’est qu’une impression. :)
· Il y a plus de 7 ans ·Hervé Lénervé
J'ai relu.
· Il y a plus de 7 ans ·Une impression de déjà vécu ou vu.
C'est drôle.
unrienlabime
Curieux!
· Il y a plus de 7 ans ·unrienlabime
Si on veut ! Pourquoi pas ?
· Il y a plus de 7 ans ·Hervé Lénervé
Votre style d'écriture me rappele étrangement un auteur que j'aime beaucoup.
· Il y a plus de 7 ans ·unrienlabime
Attend ! Un auteur reconnu qui aurait mon style, c’est un auteur qui a couché avec son éditeur. Merci ! Le mien est moustachu comme ma mère.
· Il y a plus de 7 ans ·Excuse ma familiarité, mais je tutoie les personnes qui aiment bien mes textes et ne vouvoies pas les autres, ce serait précieux de se vouvoyer pour s’insulter.
Hervé Lénervé