Quitte à avoir des yeux

Sania Ginzburg

"Quitte à avoir des yeux", m'avait dit ma mater, "Sois mateur amateur : vois le beau dans tes frères ..."

Alors depuis je zieute

Mes frérots dans le métro

La rue en guise d'expo d'artistes néo-rétro

Le bistrot comme musée

Quant au taf ... Un zoo

Certes, parfois, par mégarde

Mes mirettes s'arrêtent trop

Sur le fil d'une courbe

Sur le grain d'une peau

Sur ce qu'on ne cache pas

J'y peux quoi, si c'est beau ?

 

Je sais, c'est pas joli

"Jolitiquement correct"

C'en est presque un délit

Du coup je m'en délecte

Certains vont s'offenser

D'autres s'en amuser

Mais d'ici quelques temps

Tous m'auront effacé

 

Y a pas assez de place

Sur nos petits disques durs

Trop de fichiers, trop de vies

Finissent au vide-ordures

Alors cette liberté

Que je m'accorde parfois

Je crois qu'en vérité

En fait, tout le monde s'en bat

 

On est tous rêve d'un autre

Jusqu'au prochain réveil

Avant de fondre dans l'ombre

On se rend la pareille

On dégrise le brouillard

Avant de dériver

Dire qu'il y a tant à voir

D'autant plus à rêver

Imaginer l'histoire

Sans rien en connaître

Croiser des prêtres, des pleutres

Et quelques maîtres, peut-être,

Aux bras de prostiputes

De petites psychopathes

Avec, pour thérapeute,

Un voisin acrobate

 

C'est un monde là-dehors

Qui attend d'être senti

Si je le mate si fort

C'est pour en faire partie

Pour me laisser porter

Pour me sentir partir

Sur un grain de beauté

Sur la courbe d'un sourire

 

Le pire, c'est que je sais

Que ce que je croix est faux

Je suis pas Sherlock Holmes

Ou le nouveau Colombo

En fait, pour être honnête

Faute d'être un vrai idiot

En analyse de tête

J'ai toujours eu zéro

 

Maintenant, être dans le vrai

Vraiment, quelle importance ?

Moi, ce que j'en garderai

C'est nos belles différences

Nos douleurs, nos peurs

Nos erreurs, nos errances

Sept milliards de pas

Unis dans une seule danse

 

Si ce n'est nos fragrances

Corporelles du matin

Ça me fait un bien fou

De me ressentir humain

 

Voir le beau dans ses frères

Sans arrière-pensées

Sans figures imposées

Laisser les gens poser

C'est les laisser causer

De soi, et de nous tous

De nos petites faiblesses

Qui, dans l'autre, nous repoussent

Qu'est ce qui fait qu'on s'attire

S'attise, s'épouse, s'épuise

Sans comprendre qu'on est tous

Les nouilles dans la même mouise ?

 

Depuis le temps que j'y pense

J'ai pas de réponse à ça

Juste une once d'expériences

Mais je ne renonce pas

Tout ce que je sais

C'est cette loi

 

Ce qu'on donne, on reçoit

 

Quand on regarde le monde

C'est soi qu'on aperçoit

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