Qu'un trait de plume l'existence
Jean Claude Blanc
Qu'un trait de plume l'existence
Impitoyable la vie s'arrête
S'acharne sur les frêles humains
Qui prennent la poudre d'escampette
Quand arrive le bout de leur chemin
Mauvais moment, mauvais endroit
De tous ces maux, traitres sournois
Les plus âgés en sont la proie
En cet hiver où se meurent de froid
Comme symbole à ces malheurs
A la pendule sonnent plus les heures
Coutume héritée du passé
Que de stopper le balancier
Quand l'un des nôtres disparait
Début d'année malédiction
Qui va premier ouvrir la terre
Encore une de nos traditions
Pour honorer le moribond
Qu'étrenne bravement le cimetière
Triste saison où tout est gris
Où les journées sont toutes en nuit
Même qu'au-delà des maladies
Les petits vieux en crèvent d'ennui
65 ans âge limite
Pour braver ce malin cancer
80 ans, rester couvert
Vaccination contre la grippe
Dans mon village, quelle tragédie
5 des nôtres on dit Amen
Sûrs de gagner le Paradis
« Ainsi soit-il, Requiem »
Quelques costauds à voir leur air
De bons vivants qui font bonne chair
Battent le record des centenaires
Quand la plupart mordent la poussière
Croyant trouver une bonne bière…
Car fait pas chaud, dans la glacière
Mais la Faucheuse passant par là
A l'improviste fait son choix
« C'est les meilleurs qui se barrent »
Mais pas avare, se les accaparent
Mais grâce à Dieu, pas de tracas
Pour ceux qui touchent au nirvana
Facile pour moi d'en plaisanter
Tandis que je pète la santé
Voyant filer mes jeunes années
J'aurais tendance à m'inquiéter
Que de parlottes d'humour en vain
En vérité, j'ai les chocottes
63 ans début de la fin
Je ne veux pas avoir la côte
Près du Bon Dieu être son hôte
Autour de moi, ce qu'il en tombe
De mes tas de potes qui succombent
Suis épargné jusqu'à présent
M'en vante pas, d'être bien portant
Ça porte malheur, gueule d'enterrement
La neige efface toutes les traces
De cette mémoire qui nous tracasse
Si une page blanche se propose
M'empresse l'écrire à l'encre rose
Le Ciel se charge de larmes en pluie
Pour ces amis qui sont partis
Tant impatient de les accueillir
En son jardin du souvenir
Drôle de mariole, je compte les points
Moi qui raffole des nénés
J'envie ceux qui lorgnent les saints
Un de moins de mes potes sur l'échiquier
Pas invité près du divin
Tellement amer, d'avance, jugé
La jalousie est un péché
Pompes funèbres et chrysanthèmes
Logique hommage pour ceux qu'on aime
Pour oublier que viendra notre temps
De les rejoindre, fumer les champs
Fatal destin, la messe est dite
Qu'on se répète entre païens
Pas question d'avaler la chique
Encore solides épicuriens
N'empêche qu'on se cache pour prier
On ne sait qui, ma foi tant pis
Pourvu qu'on soit ressuscités
On fait confiance aux curés
Plaçant quelques billes chez Jésus Christ
Même chez la chère Vierge Marie
Qu'évidemment n'a pas de prix
Peur de mourir nous donne des ailes
A fréquenter toutes les chapelles
Mais faut se prêter au rituel
Apprendre par cœur le missel
Tout en latin, mais avec zèle
Le deuil se porte avec noblesse
Le voile est mode en Orient
Où il n'y a plus de princesses
Que des silhouettes aux yeux charmants
Après le mystère de la Création
Vient l'authentique Extrême Onction
Que nous décerne le grand Patron
Tirant lui-même la conclusion
Si l'on est digne d'attention
Pour être reçu en sa maison
Insensiblement la vie s'achève
De ses promesses on fait la grève
Qui la croyions si éternelle
Alors on doit se montrer rebelles
Tant que l'on en rit, on n'est pas morts
S'agit d'avoir le diable au corps
Pour çà on manque pas de ressort
D'affabuler on sort plus fort
Emprunté à Ferré ce vers tristement lucide
« Ne chantez pas la mort, c'est un sujet morbide »
A moi de rajouter pour dormir tranquille
Sur cette existence, seulement un jeu de quilles
Qui nous laisse prostrés quand elle nous tombe dessus
Alors qu'y a mieux à faire, pour n'être jamais déçus
Sachant qu'on est toujours le défunt de quelqu'un
Trahi en amitié, et d'amour le cocu
Gardons en nous caché, notre art souverain
Ce discret « cercle des poètes disparus »
Qu'un trait de plume notre existence
On sait comment elle commence
Mais n'osant pas s'imaginer
Qu'elle se termine inachevée
Même que se morfondre, se lamenter
Et de faire part de nos regrets
C'est à nous-mêmes qu'on s'adresse
Nous pauvres âmes en détresse
Pour ces pays de mon enfance
Qui vont me manquer en leur absence
Je leur dédie cette souffrance
Afin qu'ils veillent sur notre conscience JC Blanc janvier 2017 (pour les miens)
« C'est pas la mort que je crains, que la soif de plus pouvoir vivre » Albert Cohen