R-E-S-P-E-C-T

Lucie Labat

J'aimerais faire passer ce texte pour un message plus pacifiste et moins affecté mais je n'aime pas mentir. je sais qu'ici on peut hurler de temps en temps, alors j'hurle. tiens bon ma belle

        Ça passe ça passe ça passe. Et surtout n'oublie pas, le regard dans le béton, les épaules rentrées, des pas discrets, ni trop grands, ni trop petits, dignes d'une équilibriste. Regarde personne, ne souris pas, sois triste, ça compensera le short.

        Il fait chaud, une chaleur à crever, et tu le sais que t'es bonne dans ce short, on te l'a dit. Et pourtant tu le mets quand même ? Faut pas chercher comme ça, ça aussi on te le dit. Mais hier y a rien eu, alors aujourd'hui peut-être que ce sera pareil, que ça va passer. A peine le pied dehors un sifflement retentit, c'est le début des hostilités. Les chiens, en meute, sont dehors, et pourtant c'est toi qu'on siffle.

           La rue c'est fini, maintenant le métro. La cohue bien sûr ne t'épargne pas. Tu te transformes en sainte, tu pries pour que la main que tu sens ne soit pas une main mais plutôt un bout de sac, avec des doigts, mais un bout de sac quand même. Généralement c'est à ce moment que tu vas te sentir coupable de dire quoi que ce soit à ce pauvre individu qui n'est sûrement que victime de la foule qui vous entoure, comme toi. Sauf que toi t'as pas un sac en forme de main. La libération quand tu sors à ta station c'est la bouffée d'oxygène de ta journée, si tant est qu'il n'y ait pas les chiens qui te retrouvent à la sortie.

             C'est raté puisqu'ils sont un peu partout, à la sortie, aux terrasses des cafés. On te la fait plus à toi tu sais les reconnaitre maintenant. T'aimerais bien pouvoir dire comment tu différencies les clebs des autres mais ça se sent juste, et c'est ça qui est insupportable. Parce que tu sais que quand tu iras à la soirée à laquelle tu vas à pied puis en métro puis à pied puis (peut-être) en courant, y en aura toujours un pour te dire que « si on a plus le droit de sourire aux jolies filles ». Et quand tu diras qu'un « t'es bonne » n'est pas un sourire on te répliquera que les compliments c'est pas interdit, sinon où va le monde et comment faire des rencontres, et puis des bébés aussi, parce que si on peut plus draguer.

              Celui qui te répliquera ça c'est Jean-Eude, tu sais celui que t'as pas envie de dire que c'est un cliché mais en fait si, celui qui a sa carte d'étudiant science Po ET électeur du front national. En fait ce qui est triste avec Jean-Eude c'est qu'il aurait des couilles, ce serait lui le sac à main, mais au lieu de ça il préfère mater du porno, c'est plus propre, à part pour sa mère qui ramasse les mouchoirs derrière. Il se contente juste, de temps à autres, de remarquer les différences purement génétiques entre les deux sexes, l'air de dire que la seule attitude contre nature qu'il accepterait ce serait qu'elles l'attachent au lit. Parce que oui Jean-Eude il est juste poli et il a intégré que c'était mal vu d'exprimer ses opinions controversées en public, mais tu peux l'entendre si tu tends bien l'oreille parader auprès de Jean-Etienne à propos de la petite bobo parisienne qu'il a serrée en boîte, tu sais un peu capricieuse mais qui demande que ça, et même qu'il va lui donner que ce qu'elle mérite.

              Cette bobo c'est toi et c'est ce même Jean-Eude à qui on pardonne quelques idées mal placées sous couvert de politesse, et c'est celui-là que tu vas épouser, et c'est celui-là qui un jour te gueulera que quand tu pisseras debout t'auras le droit de protester. Ouvre tes cuisses pas ta bouche. C'est Jean-Eude qui entretiendra un air de connivence avec ton père, qui, même par amour, te traite comme une princesse, et même par amour, te fait comprendre que sa fille a besoin de protection parce que c'est une proie et qu'il le sait pertinemment, et qu'il commence à se sentir mal d'avoir participé à ce gâchis.

           Bien sûr tu seras pas aussi bien payée que Jean-Eude. Mais pour moi ça c'est juste un détail. Parce que l'argent ne fait pas le bonheur. Et on continuera à se battre pour que les personnes pour qui ça compte soient payées également, mais moi ce qui me blesse, c'est les raisons de cette différence salariale, qui se traite davantage comme un symptôme. Pour soigner un mal faut le prendre à la racine, pour le prendre à la racine, faut écouter les victimes de ce mal. Sauf que le mal c'est justement qu'on ne les écoute pas, donc comment se fait-on entendre ? J'espère un peu par des initiatives imaginaires comme celle-ci.

 

Un peu de respect maintenant.

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