Radiographie de la tristesse
plume66
Je suis une bien étrange personne. Sous cette affirmation péremptoire se dissimule en effet une sensibilté exacerbée doublée d'une aptitude au volte-face limite symptomatique de la bipolarité. Je porte en moi une tristesse dont je ne m’explique pas vraiment la cause et ce depuis ma plus tendre enfance. Une fêlure à la Zola que je ne parviens pas à faire taire. Une mélancolie qui me guette… sournoise la bête ! Incendiaire !
Je suis une bien étrange personne aussi dans la mesure où je ne possède pas un coeur mais une espèce de guimauve qui fait qu'il m'arrive de pleurer devant le journal de 20h. Oui je vous le concède c'est assez consternant, mais cette révélation est peut-être un pas vers la rédemption ?????
Trève de digression idiote (d'autant plus que mes plaisanteries ne sont pas toujours comprises de tous et que l'une d'entre elles est justement à la base de ce chagrin qui m'étreint aujourd'hui).
Revenons donc à notre bonbon, enfin à la petite guimauve qui me sert de coeur, laquelle s'est littéralement fendue en deux aujourd'hui, laissant s'épandre une mélasse bileuse et un chapelet de larmes fluides, chaudes et salées...
Cela faisait bien longtemps que ma petite personne n'avait pas été confrontée à un tel chagrin.
Oui un gros chagrin, celui qui fait que vous ne parvenez pas à reprendre votre souffle, que vous hoquetez de façon irrépressible, comme peuvent le faire les petits enfants après un colère ou une grosse frustration.
Un vrai chagrin qui fait tout chavirer en vous. Un vrai chagrin qui vous interdit de reprendre une contenance acceptable auprès d'autrui. D'ailleurs lorsque celui qui a provoqué le "sinistre" (ou dégât des eaux) revient, repentant, pour vous parler et tenter de vous calmer, il réactive malgré lui le flot des sanglots. La contrition mélée d'incompréhension se lit sur son visage.
"Non ... Ca ira mieux demain" parviens-je à articuler en dépit de la fontaine qui perle au coin de chacun de mes yeux, de mon nez "encombré" (je vous fait grâce des détails, nous verserions dans un chapitre ORL peu reluisant !) et de la grosseur qui pèse sur ma gorge et noue chacun de mes muscles. J'accompagne ce borborygme d'une main levée qui fait barrage à toute discussion tant mon état me désole... La honte s'invite à la fête. Ben pourquoi pas ? Plus on est de fous plus on rit !!!
Le cheminement de la tristesse :
Du chagrin tel que je viens de le décrire à son stade intial, on passe ensuite à un état cotonneux, une forme de langueur étrange. La boule qui opressait le larynx et gênait la respiration a disparu.
Au fil des heures, la tristesse n'est plus centrée sur le haut du corps, elle n'a cependant pas totalement disparu. Elle se diffuse à la manière d'un lent poison et envahit progressivement le reste du corps. Les membres autant que le coeur sont lourds, engourdis. Je regarde mon visage dans un miroir. La tristesse s'y lit. Les larmes ont donc contaminé l'extérieur ! Halo rouge autour des yeux: "Ceci est un hold-up de votre coeur et de votre raison ! Vous êtes cernée !" dirait le chagrin si il pouvait parler.
Les yeux luisent d'une façon intense, donnant à leur couleur une intensité différente. Les miens sont d'un vert ardent, lumineux. Une ligne irrégulière mêlée d'ocre et de brun entoure la pupille et accentue ce contraste. De petits vaisseaux rouges apparaissent en filigrane dans le blanc de l'oeil, stigmates des pleurs....
Enfin, tout finit par s'apaiser... on mesure le côté déraisonable de la situation, on accuse le coup, on mache et remache la tristesse comme un vieux chewing-gum insipide qu'on finit par recracher tant il a perdu sa saveur. Reste juste l'opprobre, l'humiliation de s'être ainsi donnée en spectacle et de ne pas avoir pu contenir ce cataclysme intérieur.
Je tairais la raison de ce chagrin dans la mesure où ce n'est pas ce qui importe. Il ne relève pas de l'amour mais de la déception, d'avoir failli, d'avoir manqué à quelquechose et présenté une image qui n'était pas celle que l'on voulait donner de soi. Il est certainement démesuré puisque né de l'incompréhension mêlée à un soupçon de sentiment d'injustice. Il a touché à l'amour-propre. Touché-coulé...
Produit d'une fatigue tant physique que morale que je traîne depuis quelques mois, il est l'implosion d'une nature à fleur de peau.
La raison de ma tristesse est superflue, lui accorder trop d'importance ne saurait rien m'apporter. L'essentiel est de la coucher sur le papier, c'est l'exorciser, démonter son mécanisme à la manière d'un orfèvre pour mieux l'appréhender, l'interpréter et la soumettre enfin.
Je vous félicite car au terme de cette lecture, vous venez d'assister à une "opération à guimauve ouverte" sur une plume. Surréaliste !
Toutefois rassurez-vous, la patiente va bien. Elle est hors de danger.
Merci pour vos commentaires, cela me va droit au coeur ;)
· Il y a presque 14 ans ·plume66
Tu rassures ton lecteur en disant que la patiente va bien... Cette opération est néanmoins très juste et émouvante. Hauts les coeurs !
· Il y a presque 14 ans ·mls