Rage dedans (extrait)

jeanduvoyage

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Il est l'heure pour moi d'aller taffer, un job nullissime mais nécessaire à mon indépendance financière. Livreur de pizza, pour un étudiant en philosophie, ça ne choque personne, pas même moi. De toute façon, même avec une agrégation de philo, je ne crois pas que je pourrais faire beaucoup mieux que ça. Peut-être qu'on me laissera livrer des sushis. Bah… je ne fais pas mes études pour embrasser ce système à deux balles, je fais mes études pour moi. J'imagine que pour mes collègues, ça doit être la même chose, avec bac+4 en moyenne, livrer des pizzas, c'est pour eux aussi, une vocation avant tout.

Un soir de plus, j'enfourche ma Harley en compagnie de ma quatre fromages, qui, soit dit en passant, n'est pas à moi. Je tire sur ma mobylette (qui n'est pas à moi non plus) pour atteindre la vitesse de pointe, cinquante km/h, le casque au bras et les cheveux au vent. Non pas parce que la vitesse me grise, mais plus parce que le patron m'a fait comprendre qu'il fallait que je roule plus vite si je voulais faire carrière dans le monde de la livraison. Je ne suis pas économiste, mais je crois que plus je roule vite, plus ce mec se fait de la thune, et plus je risque de passer sous un camion. Enfin bon, je crois qu'il s'en branle, il a bien raison. Il ne se soucie pas de trop de ma santé mais au moins, il se soucie de ma vie professionnelle ce gros.

C'est par ces moments que l'on comprend assez vite que je ne pourrai jamais être pilote de ligne. Lorsque je suis retombé dans le monde réel, je suis par terre. Je ne sais pas trop si j'ai morflé, dans ces cas là on réalise pas, des fois dix minutes après, on se rend compte qu'il nous manque un membre. Pour le coup, je crois que j'ai tout sur moi, mais j'ai tâché mes habits et ça coule pas mal sur le bitume. Le gars qui m'a renversé sort de sa caisse en me gueulant dessus. Il braille que son feu était vert, et que du coup le mien devait être rouge. Ça a du sens. J'essaye de me lever, mais, même si ma jambe était accrochée au reste, je crois qu'elle avait eu son compte pour la soirée. Le mec qui m'a renversé, après son cours anthologique et interminable sur le code de la route a l'idée surprenante d'appeler du secours. Les mecs arrivent quelques minutes ou heures après, sonnette hurlante. A défaut d'idée surprenante, ils en ont une stupide, celle de découper le seul futal de princesse que j'ai dans ma garde robe. Je suis un peu en état de choc, alors j'en profite pour traiter leurs mères. Ils ne bronchent pas, les gars sont trop occupés à halluciner sur le truc qui désormais allait devoir me servir de jambe. Ils s'agitent autour de moi.

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