Ranger mes crayons
aile68
Ranger mes crayons, mon bureau qui vit depuis cent sept ans sous des piles de rêves et de songes, des projets jamais réalisés, ou si peu, valider d'une croix dans ma tête ce que j'ai fait, mon esprit porte les rêves d'une vie, un glossaire, un dictionnaire, la préface des Contes de Grimm, de Perrault, aller au-delà des vallées riantes, suivre les fleuves bondissants, courir plus vite que le train sur la colline. Me dépêcher de vivre, pour une fois laisser dire les imbéciles, les laisser dans un silence obscur, incompréhensible, ne pas me départir du bien-être dans lequel je me trouve, une espèce de brouillard qui fait bloc, qui met une distance entre les importuns et moi. Je me retrouve dans un espace de velours, de coton qui me réchauffe, me protège, me remettre aux choses que j'aime, au sublime des choses, être l'héritière heureuse d'un père spirituel, échanger mes livres avec des perles rares, une paix parfaite qui ressemble à l'air qu'on respire le matin au lever et qu'on ouvre la fenêtre sur les splendides montagnes qui me sert de vue et de spectacle permanents. Me dépêcher de me préparer, aller à la rencontre du ciel, d'une amie toujours belle, parfaite, qui a un coeur à la place des yeux, des bijoux cristallins à la place d'un sang rouge et vengeur.
Je n'aurai pas le temps de finir mon texte, l'abréger, le reprendre plus tard, le peaufiner, lui trouver la forme la plus adaptée, une fleur, une lettre, un parchemin, ne pas arriver en retard à mon rendez-vous, j'ai juste le temps de me préparer et d'y aller, à pied, à cheval, en tramway, il est loin le temps des charrettes à chevaux où il n'y avait qu'un téléphone pour tout le village. J'habite dans une ville asse importante où il arrive que les inconnus se parlent et j'aime ça mais pas pour dire n'importe quoi, les soucis des autres, leurs malheurs me polluent la tête, moi quand je leur parle c'est pour raconter un sourire, une chose jolie et vraie comme "vous avez un beau manteau!" moi on m'a dit: "ça va faire une jolie photo!" et on me parle de l'écureuil dans le parc et de choses moins belles, moins marrantes, moi j'aime quand le ciel et les gens sourient, sont contents pour un rien, un rien. Les riens sont les amis des gens simples, ils offrent des promesses de lendemains heureux, heureux.