Réflexion sur la création littéraire.

leternelle-insatisfaite

4 novembre 2010 17h35. On se bat contre la prostitution, on s’invente des cancers pour faire de l’argent, on désaccuse un pédophile atteint d’Alzheimer, on fait des menaces de terroristes dans les avions. Y’a des gens qui meurent de faim, y’en a d’autre qui meurt d’amour. Tous les cœurs de la terre meurent tranquillement, seconde par seconde.

4 novembre 2010,  18h34. Il pleut sur Hochelaga-Maisonneuve. Elle est assise sur un coussin violet au fond de son appartement froid.

L’incohérence court les rues. De jeunes filles de 13 ans marient des hommes de 54 ans. Des enfants se cachent au fond de leurs lits. Des bébés n’ont pas mangé depuis leur naissance. Des vieillards n’ont pas parlé à autrui depuis des lunes. Les politiciens se paient des voyages au Costa Rica avec les fonds publics. Et une mère monoparentale se feint à payer des bottes à sa fille de 5 ans en dansant.

Moi, je suis là dans mon salon chauffé, mais frisquet, entouré de quatre murs et de sécurité. J’ai mangé mes trois portions de fruits et j’ai bu assez d’eau. J’ai mal d’amour, de solitude. Je pleure le manque de temps, le manque d’argent.  Je n’ai pas le courage d’abandonner mon mal, je me guéris en rêvant. Mes pensées vagabondent du passé au futur, sans jamais croiser le présent. Je me plains de devoir travailler pour payer la facture de téléphone, d’Internet, d’électricité. La facture d’épicerie, le loyer et la nourriture de mon chaton. J’ai la chance de me lever tous les jours pour faire vivre mon intellect et d’apprendre. J’ai la chance d’avoir un travail qui ne m’exploite pas et qui me rend presque bien…  Je sors les vendredis soirs avec mes amis et on parle de partir en voyage cet été, tout ça en buvant des martinis, jamais assez forts. Je me plains continuellement, je suis une éternelle insatisfaite.

Elle, elle est assise dans le sable, le corps sale, les idées encore plus. Elle prend un bâton pour tracer des coeurs. Elle s’imagine pouvoir donner à sa mère et ses frères un bon repas. Sa mère qui se bat depuis 35 ans pour nourrir les enfants qu’elle met au monde chaque année. La fillette rêve de pouvoir aller à l’école comme ses frères, d’apprendre à écrire son petit nom. Zeïma. Ce soir, elle s’endormira dans les bras de son frère, sur les pieds de sa grand-mère et sous la tête de son cousin, mais le cœur au chaud d’amour. Zeïma attend un homme. Un homme venu d’Amérique, l’endroit où on peut se permettre d’avoir une maison, une auto, une carrière, une famille et même d’être beau. L’homme qui pourtant a tout veut Zeïma. Zeïma dans son petit corps d’enfant,  dans ses pensées chaotiques, dans l’injustice qui baigne ses pleurs. L’homme a veston-cravate veut le corps de Zeïma, qui elle ne demanderait qu’à habiller ce petit corps.

J’ai soif de cohérence.

Je voudrais être fière. Fière de ma personne, fière du monde auquel j’appartiens. J’aimerais aimer la personne que je suis, aimer les gens qui m’entourent. Aimez la société dans laquelle je vis. Il y a des mots, des gestes, des blessures qui ne réussissent pas à se frayer un chemin dans mon coeur. J’étouffe.

L’air est pollué. Pollué de corruption, de mensonge, de guerre, de cicatrices aux sourires des gens. La fumée noire brûle mon coeur, elle irrite mes parois, elle m’empêche de respirer clairement.

Aussi égoïste que cela puisse paraître pour certains, l’écriture est un baume sur mon coeur. La littérature m’évade. Elle envole avec elle, tous les oiseaux pourris qui volent dans mes songes. Elle fait migrer les douleurs qui dorment en moi. Des personnages comme Holden Caulfield, Madame Rosa, Dorian Gray permettent à mon âme d’évaporer les larmes qui se noient toutes entre elles. J’aimerais être pour qui contre, le réconfort d’une vie malsaine.  Écrire est mon remède pour survivre, pour me guérir de l’incohérence qui m’habite. L’écriture m’aide à anéantir le poison qui gigote dans ma tête.

Oui, la vie vacille entre rires et larmes. Entre mort et vie. Des images de bisous curieux sur mes oreilles, des soupçons d’amour qui dansent sur les frissons de mon dos. Des cris brisés entre des murs trop minces, des souvenirs lancés, des mains qui s’envolent et des mots, des mots qui courent, crient, meurent, s’élancent. Des mots méchants, des mots douceur, des mots slogans. Des mots qui soulagent mes maux. Vous, humain, moi, humaine, tous vous me décevrez. Vous ferez de mes sourires des fantômes. Vous ferrez de mes nuits froides, des souvenirs de chaleur. Vous créez de vos mains des flocons d’éternelle histoire sans début, des histoires sans fin. Humain, humaine, vous m’effrayez. La douceur de ma peau, la pureté de mes yeux, la rage de votre sollicitude momentanée, les tremblements de mes peurs. L’idée du toi sur le moi, le concept du nous ou du vous se perd dans des images idylliques, dans des mots impossibles. Rien. Je donnerais ma vie pour vivre celle qui ne me fera pas de mal. Je donnerais ma vie pour écrire la vie qui effacera la macabre idée que j’ai de la mienne. De la nôtre.

Écrire, parce que le corps le désire, écrire parce qu’on est paresseux, écrire parce qu’on est amoureux des crachats de son âme. L’écriture peut être vue comme inutile, je le sais, je le vois dans vos yeux, quand je prononce les mots création littéraire. Ces mots-là fondent dans les partys de Noël, des mots qui vous ramènent à ma jeunesse. Des mots qui pour vous, notaires, docteurs, infirmiers, barbiers, résonnent comme des fables. À 19 ans, on ne se résolut pas à écrire. À 19 ans, c’est le temps d’apprendre ses molécules, de connaître le nom de tous les présidents des États-Unis, il faut aussi apprendre à travailler et écrire ce n’est pas un travail. Écrire, c’est la paresse de l’esprit. Et vous avez tout à fait raison, tout cela semble être de la paresse et de l’ennui. Mais, il faut des gens qui s’arrêteront sur la couleur des arbres, sur le brillant de ses yeux, sur l’horreur écrite sur leurs visages. Des gens qui semblent paresseux d’écrire assis sur leurs lits, café et cigarette à la main. Ces gens-là sont les plus courageux.  Ce sont les gens qui feront du parcours une promenade délicate. Écrire et fixer la vie du regard, c’est gardé en soi, gardez en nous, peuple, la richesse et la beauté de notre laideur. Vraie. Je ne sauverais jamais de femme au cou brisé, d’enfant atteint du cancer ou de vieillards diabétiques, mais j’essaierais de les aider à se sentir compris. Que la solitude qui flotte nos âmes s’évapore quelques instants, que chacun retrouve un peu de soi dans mes écrits, dans ses écrits, dans les mots.

J’ai autant l’amour de l’écriture que l’amour de la propagande de la littérature. Le livre naît seul. Sa création se fait sous une force céleste. Chaque livre correspond à quelqu’un, quelqu’un qui ne le lira peut-être jamais. Nous avons tous un livre, une phrase, un point ou une virgule qui est là pour nous. Je voudrais que ce fait, cette beauté soit réalité, que la jeunesse, cette bête sauvage, réapprenne le plaisir de lire et de n’être plus seul. Que nos nuits froides soient abrillées d’un soupçon de réconfort.

Écrire ce n’est pas le parcours de mon père, ni de ma mère. Papa a bouclé la ceinture de ses sentiments et a permis à son estomac de se nourrir sans cafards. Ma mère s’est laissé envelopper par une confiance absolue, par des valeurs sûres. Par un travail qui m’a donné amour, mitaines, soupes, nutriments, soutien-gorge et manuels de géographie. Maman m’a permis tout cela, sans mourir de peur, sans se mordre les lèvres, sans craindre l’échec, mes parents ont fait le choix d’être des moules, des gens forts. Maman et papa sont des héros dans mon coeur et dans mes songes. Ils mettent un filtre entre être et aimer. Je n’y arrive pas. Je suis un bébé gâté. Une insoumise, une petite princesse que l’on doit prendre par les ailes.

Écrire, c’est déranger. Mettre des mots sur des choses que l’on ne voit même plus. Arrêter le temps. Écrire c’est sentir l’amour égratigner notre peau, c’est sentir l’odeur des marguerites dans ses mains. Écrire c’est se soigner, se soigner d’un monde qui ne prend pas la peine d’être humain.

Un monde sans artifice qui continuerait sans moi, un monde où mon corps est passager, où mon esprit est temporel. La vie, l’art, l’amour, tout est que de passage! Écrire c’est mettre sur stop des gens, des émotions. Écrire c’est se mettre soi-même sur stop, écrire c’est faire ce que dont tout le monde rêve. L’art aussi. Écrire c’est repousser la mort.

Il y a beaucoup de rigueur dans l’esprit d’un écrivain. Il faut sans cesse digérer nos sentiments. Les écrire.

Je dois écrire. Les mots qui vivent sous les couleurs de mes vernis. Des mots bleus, roses, rouges, jaunes, verts, noirs. Des mots noirs qui côtoient mes idéaux. Des mots que j’ai laissés agrippés à mes pores, des mots qui rient du délire de mes syntaxes. Des mots mélancoliques de la place que je ne leurs est pas donné. Des mots tristounets, des mots abandonnés par mes mains. Des mots qui ne se sont pas rendus aux papiers. Des mots qui sont restés en moi, grandissant nuit et jour, mangeant tous la chair qui les englobe. Je suis enceinte de mots, qui ne veulent que sortir, s’épanouir. Être à la grandeur de leurs désirs, de leurs chairs, de leurs capacités. ÊTRE, aussi beau et grand que la force poétique qui se noircit en eux. Il y a des mots beaux, des mots tristes, des mots qui mentent, des mots oubliés qui griffent mon estomac. Ils pleurent le destin qui est le leur. Ils croquent dans mon âme et mangent la confiance que les mots choyés me procurent. Des millions de parcelles de mots sont en moi. Des mots qui ont oublié de sauter sur le crayon. Des mots trop patients. Je veux qu’ils se rebellent, qu’ils sautent dans tous les sens. Qu’ils empêchent mon corps de fonctionner. J’ai envie de les vomir. D’être coincé des heures et des nuits, des virgules et des points, je veux être attachée à mon clavier. Que le violet de mes doigts noircit la page blanche que reflètent mes songes. Les mots se noient en moi, ils ramollissent perdent de leurs saveurs, comme des vieilles céréales oubliées sur un comptoir.

L’esprit d’un écrivain n’est jamais en paix. Il faut sortir de soi pour écrire, il faut éloigner le filtre qui se crée entre la censure et l’esprit. Souvent, j’ai eu envie de me cacher dans un trou, de déchirer en milliards de morceaux l’horreur de mes mots. D’effacer à jamais ce goût d’écriture. Il n’y a pas de recette miracle à l’écriture, il n’y a pas de solution aux  tourments des apostrophes et aux malheurs de mes points. Les questions se tourmentent dans ma tête. À quoi ça me sert d’écrire ? Écrire c’est être continuellement en remise en question. Écrire, c’est ma manière à moi, de prendre ma place dans l’immensité du monde. C’est surtout trouver ma place dans l’immensité de mon cœur.

6 novembre 2010 : Les enfants soldats sont diffusés à la télévision comme de vulgaires objets. Des fusillades se font dans des bars pour des histoires d’amour, les Haïtiens se préparent à l’arrivée de Thomas, Zeïma ferme les yeux très très forts et rêve à être aussi belle qu’une princesse.

Elle est toujours dans son appartement froid, son chaton endormi dans ses bras … Et elle écrira. 14h29

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